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raisonnable; le premier est préférable. Je finis sur cet objet par quelques éclaircissemens de l'objection qui nous a été faite, tirée du passage de Glastown. Ce passage est aux pages 18 et 19 du discours de M. Tronchet. Il a cité en preuve : Il y a des cas et des tribunaux en Angleterre où l'écriture est admise dans la procédure par jurés, et il conclut que l'écriture des preuves est donc praticable avec le juré. M. Tronchet s'est trompé sur la conséquence qu'il a tirée de ce de Glastown. L'auteur ne dit point là ce que passage M. Tronchet a entendu, et c'est Glastown lui-même qui va constater la méprise. Ce passage est extrait du chapitre qui traite du jugement par jurés au civil. Glastown commence ce chapitre par expliquer la différence de la déposition orale, qui est propre à l'examen parjuré, et de la déposition écrite, qu'il dit être la méthode établie par le droit civil. Je prie l'assemblé de fixer son attention sur cette opposition que met l'auteur entre le caractere de l'écriture, qui est la méthode de la procédure civile, et entre la déposition orale, qui appartient à l procédure criminelle. Glastown fait valoir ensuite les avantages de la déposition orale; il l'éleve, suivant la doctrine constante de l'Angleterre, bien au-dessus de la déposition écrite. Il fait remarquer ensuite des inconvéniens de ce juré où le témoin n'est entendu que viva voce et sans écritures, et c'est-là que se trouve le passage qui nous est objecté. L'inconvénient qu'y trouve Glastown est que le juré ne recevant que des dépositions orales, il devient impossible de faire prendre par écrit celles des vieillards on des voyageurs, par précaution contre le cas de leur mort ou de leur absence pour s'en servir ensuite, s'ils menrent ou partent, avant le tems où le juré pouvoit les entendre. Cependant, dit l'auteur, l'usage de l'écriture dans ces cas est fréquemment admis lorsque les parties y consentent, c'est-à-dire quand les parties procedent légalement et ne tiennent pas à la rigueur des formes. Glastown continue: On le pratique aussi dans les cours d'équité; mais cela ne peut point être admis dans les cours de commune loi, si ce n'est dans le cas d'un procès né dans l'Inde, et dont la procédure est faite dans les cours du banc du roi.

Premiere observation: Il s'agit là seulement des procès civils, et nullement des procès criminels; il s'agit de simples enquêtes qui ne sont suivies d'aucuns débats.

La suite demain.

LE HODEY,

Suite du discours de M. Thouret.

Seconde observation. Ce sont deux cas extraordinaires, & hors de l'ordre commun. Il s'agit de se prémunir contre la perte prochaine d'un ou de deux témoins précieux. Il n'est pas question là d'écrire les dépositions de 20 à 30 témoins, & tous les détails d'une confrontation. Ainsi les témoins dont il s'agit dans ce passage seroient entendus littéralement devant les jurés ; on n'en pourroit conclure ni la pratique ni la possibilité d'écrire devant eux toute l'instruction criminelle. Mais je dis plus: dans ce cas comme dans la pratique des cours d'équité, quand les dépositions se font par écrit, ce n'est pas devant des jurés, mais devant des commis jurés enquêteurs. J'ajoute enfin, que quand les cours d'équité autorisent les dépositions écrites, ce n'est que dans les matieres légères, & que quand les faits contestés sont importans, elles envoient déposer oralement devant les jurés..

Il faut maintenant constater le fait par Glastown lui-même. Au chapitre qui traite des cours d'équité, on trouve que quand les parties sont contraires en faits, on ordonne l'enquête. Ceci s'opêre, dit-il, par l'examen des témoins & en prenant leur déposition par écrit, conformément au droit civil, conformément au droit commun, mis en opposition avec la pratique d'équité. Il arrive rarement que le premier décret, dans ces cours d'équité, soit final; car si le fait est fortement discuté, cette cour est si vraiment persuadée de la défectuosité de l'examen par des dépositions écrites, qu'elle ne condamnera pas les parties par là, mais renverra l'examen de l'affaire aux jurés, & particuliérement les faits importans, comme la validité d'un testament, ou un arrentement réel & immé→ morial pour des dîmes; mais comme on ne peut sommer les jurés de comparoître à cette cour, il est ordonné que les faits seront examinés à la barre de la cour du banc du roi ou aux assises, sur une feinte issue. Ainsi, messieurs, voilà les différences du fait réel à la supposition qui a été faite par M. Tronchet. D'abord, c'est qu'il n'est question que des dépositions prises par écrit. Secondement, qu'il n'en est ques tion que dans deux cas extraordinaires; encore faut-il pour cela le consentement formel des parties. On voit aussi que, dans les cours d'équité, cela ne se pratique que quand les faits sont légers & de peu d'importance; mais se pratique par la méthode du droit civil, & devant des commissaires dont Glastown lui-même ordonne la formation. Quand au contraire les faits sont importans, ces tribunaux sont tellement cone Tome XX.

B

1.

vaincus du vice de l'imperfection des dépositions écrites, qu'ils n'admettent pas alors cette forme, mais renvoient, aux jurés. Comme il n'y a point de jurés dans ces cours, par le moyen d'une feinte issue, on renvoie pour faire entendre les dépositions oralement devant les jurés. L'erreur de M. Tronchet sur le fait du passage qu'il a cité & sur le fait réel de la pratique angloise, reste donc parfaitement démontrée Il n'a donc point l'autorité de l'exemple & de l'exécution pour montrer que son systême soit praticable.

Si chacun de nous est bien intimement convaincu que les jurés ne pourront pas soutenir long-tems les longues & fastidieuses séances qui se passeront à écrire & le dégoût que 9 inévitable d'une telle corvée fera bientôt haïr & déserter ce service; proposer les écritures, comme le fait M. Tronchet, c'est proposer obliquement la destruction des jurés. Quoique M. Tronchet se soit montré l'antagoniste de cet établissement lorsqu'il fut question de le décréter, nous avons été tous persuadés au comité qu'il ne pouvoit pas entrer dans ses vues, dont la loyauté ne nous est pas douteuse, d'ensevelir un germe certain de la ruine du juré dans le mode de son établissement. Je suis chargé par mes collègues, & par chacun d'eux particulièrement, & même personnellement, de rendre cette justice à notre estimable adversaire. Mais nous devons à la conscience de l'assemblée, à nos consciences même, de dire contre son systême pris en lui-même, & abstraction faite de toute application personnelle, que, s'il existe des moyens indirects d'anéantir par le fait le décret constitutionnel de l'établissement des jurés, c'est précisément celui de l'écriture de toutes les procédures en leur présence. (On applaudit. )

Une seconde raison d'incompatibilité des écritures avec le juré, & celle-ci doit être sentie particulièrement par une assemblée législative, c'est que l'effet de l'écriture altérera inévitablement la moralité qui fait de l'institution du juré le mayen le plus voisin de l'infaillibilité qui soit parmi les hommes; je dis le moyen le plus voisin de l'infaillibilité, car les facultés humaines ne peuvent pas aller plus loin. Dans quelque systême que ce soit, dès que ce sont des hommes qui vérifient des faits qui leur sont étrangers, par le témoignage d'autres hommes, il reste toujours des chances à l'erreur. Mais que doivent faire les législateurs? Etablir le mode de vérification qui donne pour la découverte de la vérité le plus haut dégré de probabilité; & voilà ce que nous devons tous rechercher de concert dans la sincérité de nos cœurs & par

toutes les puissances de notre entendement. (Applaudissesemens.)

Ici se présente la nécessité de bien éclaircir les idées sur la distinction des preuves légales & morales. On appelle preuve légale ce que la loi, ou une doctrine ayant acquis la même force que la loi, déclare être probant. Ainsi la preuve légale est factice & artificielle; elle peut en bien des cas n'avoir rien de commun avec la vérité intrinsèque du fait. La preuve morale, au contraire, est celle qui, indépendante de toutes règles ou de toutes précautions étrangères à la vérité intrinsèque des faits, se puise sur chaque fait particulier dans toutes les circonstances qui produisent par l'assentiment libre une conviction uniforme sur le très-grand nombre des hommes impartiaux. (Applandissemens.)

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Tout le discours de M. Tronchet & les opinions qu'il propose ont pour base cette vérité qu'il reconnoit & professe, que la preuve morale est la seule qui mérite confiance, & qui doit déterminer la conscience des jurés. En effet, s'il propose des écritures judiciaires, tout aussi-tôt il les rend indifférentes pour la conviction, en laissant le juré maître de n'avoir à ces écritures, quoique rédigées sous ses yeux, que tel égard que de raison. Je prie ceux de mes collègues dont je sais que l'erreur a été portée sur ce point, jusqu'à penser que dans la conviction morale étoit renfermé un arbitraire destructif de la sûreté judiciaire, de se rallier avec nous autour de la vérité reconnue de M. Tronchet. Ses connoissances on législation l'ont autorisé à dire, que la preuve légale n'est établie par aucune loi politique; nous en sommes convaincus comme lui. Son éloignement naturel pour les procès criminels, l'ayant peu instruit de la pratique des Tournelles, il ne lui a fallu que son bon esprit, pour rester dans la persuasion que cette doctrine qui lui paroit monstrueuse n'existoit pas. Mais mettons, Messieurs, en fait positif qu'elle existoit, qu'elle vivoit dans le plus grand nombre des tribunaux détruits &, ce qui est bien plus facheux encore, qu'elle vit dans le préjugé commun &. vulgaire des habitans des 83 départemens, chez cette classe de citoyens qui scroit le plus fréquemment appellée à remplir les fonctions de juré; & certainement ce n'est pas nous qui avons inventé ici le systême de la distinction des deux consciences, celle de l'homme & celle du juge. Comment n'auroit-elle pas existé, cette doctrine funeste, quand elle étoit le premier fonde

ment nécessaire de tout jugement porté sur des dires qu'on n'avoit pas entendus & sur la foi d'écritures qu'on n'avoit pas vu rédiger? Cette confiance que les juges étoient obligés de donner non-seulement aux minutes, mais même aux copies de l'instruction, qu'étoit - elle autre chose elle-même qu'une preuve légale ? Si deux témoins positifs, uniformes non valablement reprochés, faisoient une conviction légale, le systême existoit donc. Pour vous en convaincre de plus en plus, rappellez-vous, Messieurs, les mémoires imprimés dans les affaires les plus célèbres. Ouvrez les regitres de la Tournelle de Toulouse, dans l'affaire de Calas; ceux de la Tournelle de Paris, dans l'affaire des Bradier & consorts, dits les trois roués › parce qu'ils ont failli l'être. Apprenez que l'un de nos collègues au comité, (M. Duport) qui étoit au nombre des juges, qui résistoit à la condamnation par la force de l'évidence morale; contraire aux témoignages d'ailleurs très-suspects, fut réprimandé par le président qui lui dit que c'étoit une prévarication dans son ministère que de ne pas céder à la preuve faite par deux témoins non reprochés, & à qui la loi donnoit confiance. Qu'on lise, si on doute encore, le réquisitoire de M. Seguier, dont toutes les pages sont saturées de tout le systême des preuves légales, de sa défense & même de son éloge. On connoît le réquisitoire en réfutation du mé- ́ moire de M. du Paty, en faveur de ces innocens. Il étoit question d'apprécier quelle valeur devoient avoir pour les juges les témoignages de dénonciateurs en la personne desquels on prétendoit que le délit avoit été commis, suspects par les témoignages, suspects par toutes les circonstances. Le réqui

sitoire dit:

Condamner sur la foi d'un témoin qui peut être suspect, mais qui n'est pas jugé tel, ce n'est pas condamner sans preuve; sa déposition fait foi lorsque la loi a permis de l'entendre, & que rien ne détruit sa déposition. Eh! que signifie que rien ne détruit sa déposition? C'est quand il n'y a pas de reproches tellement prouvés qui soit possible de juger la vérité du reproche. M. Dupaty a dit dans l'hypothèse actuelle : Oui, le mari & la femme se plaignent d'un délit : indépendamment de cette alliance générale de leurs intérêts communs, qui engage réciproquement leur parole, elle se trouve engagée ici par le motif particulier de leurs intérêts personnels. Comment donc veut-on qu'au milieu de tant d'intérêts qui touchent leur conscience, ils ayent une voix, à plus forte raison une

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