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les anciens fonctionnaires publics. On formoit des assemblées populaires, on fatiguoit les autorités de plaintes et de dénonciations.

Le député Butta-Fuoco crut devoir dénoncer ces excès, et demanda que le roi envoyât des commissaires dans l'île, pour comprimer les factieux et rétablir l'ordre. Les factieux avoient des amis à l'assemblée nationale; on s'éleva contre Butta-Fuoco, et la révolution continua sa marche triomphante dans la Corse.

L'évêque d'Ajaccio avoit quitté son siége, pour se rendre à Rome. C'étoit un ancien directeur du séminaire de Saint-Sulpice, M. de Verclos, homme aussi recommandable par la droiture de son esprit que par ses lumières et sa piété. On songea aussitôt à lui donner un successeur. L'assemblée des électeurs se réunit à Bastia pour nommer un évêque constitutionnel. M. de Verclos y reparut avec des instructions du souverain pontife, et s'efforça d'éviter le schisme dont l'église lui paroissoit menacée.

Sa présence ne fit qu'irriter les patriotes. On rassembla des troupes; Paoli se mit à leur tête, et parvint, à l'aide de deux mille hommes, à installer son évêque constitutionnel.

L'exaltation des esprits étoit à son comble. On en peut juger par l'adresse suivante que

douze ou quinze cents patriotes venus des montagnes présentèrent au général Paoli.

« Général, si le tonnerre du ciel n'écrase pas >> l'ennemi de la patrie, le malfaiteur, c'est que >> l'homme fier et juste est destiné à remplir ce >> noble ministère. Nous venons donc pour » que, réunis à tous les bons, tu nous mènes à >> Bastia. Il ne faut pas y laisser pierre sur pierre. >>> Les habitans de cette île sont tous coupables; >> car le bon qui laisse faire le méchant, n'est » pas plus digne de la vie que celui-ci..... La >> liberté n'a jamais rien coûté aux Bastiaques... >> Ils n'ont pas, comme nous et nos pères, versé » leur sang pour elle. Général, tu le sais, ces >> Bastiaques ont toujours été ennemis de la pa>> trie. Il faut donc détruire leur ville sans ré>> mission, c'est le vœu de toute la Corse ».

Heureusement, le vœu de la Corse ne fut point accompli. Paoli comprit bientôt qu'il falloit renoncer au parti demagogique, ou se condamner à partager toutes ses fureurs. Il s'appliqua, mais trop tard, à modérer l'effervescence de ses compatriotes, à faire revivre l'enipire des lois, et pendant près de deux ans, son nom ne fut plus entendu à la tribune de nos assemblées nationales.

Une partie de l'ile dut jouir alors de quelque

repos; mais ce calme ne fut pas de longue durée.

Le 4 avril 1793, le représentant du peuple Escudier se leva au milieu de la convention, et lut avec beaucoup de chaleur une adresse de la société populaire de Toulon. C'étoit un acte d'accusation contre le général Paoli. Les patriotes l'accusoient de n'ètre plus à la hauteur des événemens, de servir les aristocrates, et de trahir la cause sacré des sans-culottes.

Quand on lit aujourd'hui ces adresses, on a peine à concevoir qu'il ait existé en France une époque où l'on ait écrit avec tant de grossièreté et de fanatisme.

La Source, député de la Gironde, appuya les patriotes de Toulon, et rappela que Paoli avoit autrefois fait construire un petit trône sur lequel il avoit eu l'insolence de s'asseoir. Il vit la monarchie relever sa tête altière dans l'ile de Corse. Barrère et Marat confirmèrent les alarmes de la Source, et l'on décréta, au milieu des vociférations des tribunes, que le traître Paoli seroit tenu de se rendre à la barre de la convention nationale, pour justifier sa conduite.

Paoli répondit qu'il étoit trop vieux pour entreprendre un si long voyage; il offrit, si l'on vouloit, de quitter l'île, et continua, en attendant la réponse du peuple souverain, de

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réprimer le fanatisme et le brigandage révolutionnaire.

Paoli, devenu sage par l'expérience, ne vouloit ni assignats, ni proconsuls, ni pillage de propriétés. Il s'étoit surtout montré fort sensible à la mort du roi dont il révéroit les vertus. On lui envoya Lacombe, Saint-Michel et Salicetti, pour le mettre à la raison. C'est une observation digne de remarque que, de toute la députation de l'île de Corse, il n'y eut que Salicetti qui vota pour la mort de ce prince. Les autres méritent d'être cités avec honneur; c'étoient : Andrei, Cazabianca, Chiappe, Motedo, Porzio.

La convention avoit autorisé ses deux commissaires à se saisir, s'ils pouvoient, de la personne de Paoli; c'étoit le point de leur mission le plus difficile à remplir. Paoli venoit d'être nommé généralissime. Il présidoit la Consulta, et comptoit sous ses ordres de nombreux bataillons, qui pouvoient lutter avec avantage contre les proclamations de Lacombe et de St.-Michel.

Il fallut avoir recours à de nouveaux décrets. On lutà la convention un rapport des commissaires; ou lui peignoit, d'une manière énergique, les dangers des patriotes et les maux affreux dont l'île étoit affligée. Barrère joignit son éloquence à celle des commissaires, et, sur ses

conclusions, Paoli fut déclaré traître à la patrie et mis hors la loi. On lança un décret d'accusation contre le procureur-général du dépar tement, M. Pozzo-di-Borgo, et l'on chargea le pouvoir exécutif d'envoyer dans l'ile des forces suffisantes pour faire triompher la cause sacrée de la liberté et de l'égalité.

Au milieu de ces événemens, Napoléon Buo naparte étoit resté fidèlement attaché au parti révolutionnaire le plus ardent, et s'étoit fait nommer lieutenant colonel de la garde nationale. Quoiqu'il n'eût presque aucune connoissance de la poésie, il entreprit un poëme en l'honneur de la liberté. Ce poëme n'existe plus ; mais ceux de ses amis qui ont pu en lire quelques morceaux, conviennent que c'étoit une très-misérable production, où la mesure des vers n'étoit pas même observée (1).

On ne sait s'il la dédia à Paoli; mais on est sûr qu'il s'appuya long-temps de sa protection, et qu'il eut soin de le ménager.

(1) Buonaparte, comme on l'a déjà observé, parloit très-mal la langue française. On a remarqué qu'à chaque ouverture des séances du corps législatif, il n'a jamais manqué d'employer le mot de section pour celui de session. Il disoit : Voilà les objets dont vous aurez à vous occuper dans cette présente section.

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