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adopta en entier les principes qui régissoient la république française.

Ainsi s'étendoit partout l'incendie des principes démagogiques. Amis, ennemis, peu importoit le directoire confondoit tout dans ses projets de conquête et d'asservissement.

:

Les cantons suisses possédoient en propriété et gouvernoient quatre bailliages italiens situés au-delà des Alpes. Lugano étoit le plus considérable. Jamais peut-être le gouvernement n'avoit moins pesé que sur ces bailliages: c'étoient de vraies républiques où le peuple avoit des représentans, où l'administration s'exerçoit avec douceur et paternité. Eh bien ! des prédicateurs forcénés, sortis des écoles révolutionnaires de Milan, se répandirent dans les bourgs et les villages de ces heureuses provinces pour y souffler l'esprit d'insurrection. Les habitans jouissoient au plus haut degré de cette liberté, de cette égalité qu'on venoit leur annoncer comme un nouvel évangile; cependant ils se laissèrent enivrer du poison de ces mots magiques, et bientôt ils ne parlèrent plus que de briser leurs fers, de conquérir leur indépendance, de se donner une constitution fondée sur la liberté et l'égalité. Lugano, Locarno, Bellinzona et Mendrisio furent les villes où cette funeste épidémie se manifesta avec l'énergie la plus effrayante. La gazette de Lugano se dis

tinguoit précédemment par la sagesse, la décence et l'impartialité; elle devint, en peu de temps, comme celle de Milan, le dépôt des plus fougueuses déclamations de la démagogie.

Pour assurer le succès de ces mouvemens d'insurrection, Buonaparte s'empressa de réclamer auprès des Suisses le droit de navigation sur le lac Lugano. Il prétendoit que ce droit appartenoit aux Lombards, et que les Francais étant maîtres de la Lombardie, ils devoient jouir de toutes les prérogatives du peuple conquis. Il soutenoit que le refus qu'on avoit fait d'admettre les bâtimens français étoit une violation manifeste de ces droits, une sorte de déclaration de guerre. Il se plaignoit d'actes de violence, d'insultes faites au pavillon tricolore, et notifioit au gouvernement suisse qu'il alloit établir une croisière sur le lac, et qu'au moindre signe de résistance il sauroit venger l'honneur du pavillon national.

Le gouvernement helvétique, toujours disposé à la paix, incapable d'injustice et de violence, mais également incapable de foiblesse, fit examiner avec un soin particulier les prétentions du général français. On reconnut que les Lombards n'avoient aucun droit sur le lac; et, comme s'il eût été, dans cette affaire, question de justice, on crut qu'une simple résolution suffisoit pour satisfaire le général en

chef. Étrange méprise d'une nation confiante et vertueuse! Le courroux de Buonaparte ne fit que s'exalter davantage. Il répondit avec toute la hauteur d'un homme accoutumé à parler en despote : « Qu'il voyoit bien que la >> Suisse étoit influencée par les ennemis de la >> France; que plusieurs cantons avoient publi» quement manifesté leur haine pour les prin» cipes de la révolution; qu'ils en avoient » protégé les ennemis; que la république >> française avoit bien d'autres griefs contre » l'Helvétie, et notamment contre le canton » de Berne; que si les états helvétiques ne >> changeoient pas de conduite, il sauroit bien » les armes à la main obtenir la satisfaction » qu'il demandoit ».

Cette réponse menaçante jeta la terreur dans les cantons. Celui de Berne surtout éprouva les plus vives alarmes, et, pour épargner à la Suisse les horreurs de la guerre et de la révolution, on se hâta d'envoyer auprès du redoutable général une députation chargée de fléchir son courroux. Mais que pouvoit une députation? la guerre étoit décidée. Buonaparte avoit été chargé d'allumer les premiers brandons de la discorde; il fut réservé à un autre d'incendier ces malheureuses contrées.

CHAPITRE XIX.

Etat de la France pendant les conquêtes d'Italie; adresses des armées au directoire; journée du 18 fructidor.

TANDIS

ANDIS que la république étendoit ses conquêtes au dehors, et que les victoires de ses armées portoient au loin la gloire du nom français, l'intérieur de la France étoit livré à tous les déchiremens de l'esprit de faction et de révolte.

Le directoire, jaloux de sa puissance, effrayé de l'avenir, parce qu'il conservoit le souvenir du passé, divisé avec lui-même, également en hutte aux jacobins qui regrettoient la licence de 1793, aux républicains qui lui reprochoient son despotisme, et aux royalistes qui aspiroient à le renverser, cherchoit par des efforts multipliés à conserver une autorité fondée par la violence, et désavouée par la nation.

Il ne pouvoit se dissimuler que le vœu public rappeloit au trône cette famille issue de saint Louis et de Henri iv, qu'une faction impie avoit proscrite, et dont l'amour s'étoit conservé dans le cœur de tous les Français.

On voyoit avec horreur les assassins du meilleur des princes, revêtus du manteau royal;

on avoit encore présent à la mémoire ces horribles prisons où la vertu avoit été précipitée; ces échafauds où le sang le plus pur avoit coulé par torrens.

En vain les directeurs luttoient contre tant d'obstacles, le torrent de l'opinion les entraînoit; le peuple rendu à la liberté s'étoit donné des représentans dignes de sa confiance, et dépositaires de ses sentimens; les idées révolutionnaires cédoient aux idées d'ordre, de justice et de bienfaisance; la raison reprenoit son empire; la prospérité publique, croissant au milieu de ces nouveaux principes, augmentoit chaque jour les partisans de l'ancienne monarchie et les terreurs du directoire.

Les restes de l'ancienne convention s'épuroient tous les ans, et le corps législatif, renouvelé deux fois, ne comptoit plus dans son sein qu'un tiers de ces hommes de terreur et de sang, que les baïonnettes du 13 vendémiaire avoient conservés sur leurs chaires curules. Deux fois aussi le directoire s'étoit renouvelé, et la dernière élection lui avoit associé un homme étranger aux excès de la révolution, et justement considéré pour ses principes de sagesse et de modération. Ainsi, l'édifice révolutionnaire menaçoit ruine de toutes parts.

Les directeurs ne pouvoient porter sans effroi leurs regards dans l'avenir, et le vieux

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