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Objets d'une fureur insensée, les nobles et les prêtres ne trouvèrent plus d'asile dans leur propre patrie.

En vain les Français, témoins de ces excès, s'efforcèrent-ils d'en suspendre le cours, il ne fut point en leur pouvoir d'éteindre l'incendie qu'ils avoient allumé; et lorsque Buonaparte quitta l'Italie, tout ce qu'il put donner de consolation à ces malheureuses contrées, ce fut d'exhorter les bourreaux à la modération, et les victimes à la patience.

sans de la révolution p'oublierent rien pour lui rendre son séjour agréable. Madame Anne de Brignole, parente du doge, fit les honneurs de la ville. M. J. C. Serra, précédemment détenu à la tour comme chef d'un parti révolutionnaire, donna un bal brillant. L'assemblée étoit de douze cents personnes; mais on n'y avoit invité presque aucun noble. C'étoient des négocians et des bourgeois, tous attachés au système révolutionnaire. On y voyoit figurer en masse le club patriotique qui se rassembloit chez l'apothicaire Morando. Comme la fête avoit lieu le jeudi, il étoit probable qu'elle se prolongeroit jusqu'au vendredi. Ce jour étoit alors sacré : point de spectacles, de bals, d'alimens gras. Le sénat, pour lui conserver sa sainteté, rendit un décret qui enjoignoit à M. Serra de terminer son bal à minuit; mais ce décret avoit besoin d'être porté au tribunal des suprêmes pour être exécuté. Le tribunal eut peur, remit au lendemain, et les républicains s'applaudirent de pouvoir donner le scandale de danser et de manger gras un vendredi.

CHAPITRE XVIII.

Réunion des Fiefs impériaux; mouvemens en Italie et en Suisse.

Il étoit impossible que la révolution exerçât ses ravages sur la république génoise sans les étendre sur les états voisins.

Les fiefs impériaux savoient déjà, par une cruelle expérience, ce qu'il en coûtoit pour provoquer le ressentiment des Français. Les cendres d'Arquata, brûlé quelques mois auparavant, étoient encore fumantes, et l'ancienne constitution subsistoit toujours. Ces petits états, au nombre de trente-quatre, offroient une population de quatre-vingt mille âmes. Depuis long-temps on prévoyoit qu'ils échapperoient difficilement à la révolution générale. Les apòtres de la liberté et de l'égalité s'y étoient introduits, et tout étoit disposé pour le succès de leur entreprise. La régénération de Gênes fut le signal de la révolution des fiefs. Le parti démocratique se souleva, mit les nobles en fuite, proclama la liberté et l'égalité, et demanda sa réunion à la république ligurienne. Buonaparte se hâta d'accéder à leurs vœux, et cette nouvelle proie alla grossir le nombre des vic

times que dévoroit chaque jour le genie de la révolution.

Lucques et Saint-Marin conservoient encore leurs institutions, mais trembloient de tomber sous le joug. Le sénat de Lucques avoit comblé d'honneurs l'épouse du général en chef lorsqu'elle étoit arrivée dans leur ville. Cette ville étoit prête à tous les sacrifices pour conserver sa liberté; mais les progrès rapides de l'anarchie renouveloient chaque jour ses alarmes. Une députation envoyée à Buonaparte le trouva dans des dispositions favorables. Il assura le sénat de Lucques qu'il n'avoit rien à craindre, et que, n'ayant jamais donné de sujet de plainte à la république française, il ne pouvoit douter de son amitié et de sa protection. Vaines et trompeuses promesses! Tandis que le sénat de Lucques s'endormoit sur la foi des traités, on publioit dans le Moniteur une violente diatribe contre l'aristocratie Lucquoise.

On y disoit que, dès le commencement de la révolution d'Italie, les aristocrates de Lucques avoient employé leur infàme politique pour inspirer au peuple la haine de la république française; qu'on avoit institué une magistrature inquisitoriale pour sévir contre tous ceux qui manifesteroient quelque attachement à la France; que les tyrans de Lucques avoient fait usage de toutes les ressources de la

perfidie aristocratique pour tromper le général en chef; que, pour comble de trahison, tandis qu'ils rendoient à madame Buonaparte toutes sortes d'honneurs, ils faisoient répandre le bruit que c'étoit pour la dernière fois qu'ils s'abaissoient devant les enseignes d'un barbare, et que bientôt ils jouiroient du bonheur de voir les hordes françaises fugitives et détruites. Le directoire déclaroit qu'il étoit impossible à la république française de protéger plus longtemps la tyrannie de Lucques, et que, depuis la révolution de Gênes, le bonheur des peuples réclamoit hautement un nouvel ordre de choses.

On envoya, en conséquence, ordre au général Berthier d'entrer à Lucques, et de demander à la république une contribution d'un million. La surprise du sénat fut extrême ; mais il obéit, et les apôtres de la révolution étant venus s'établir à Lucques, il fallut bientôt reconnoître la souveraineté du peuple, renverser la noblesse, et abolir l'ancien gouvernement.

Le sort de la république de Saint-Marin ne fut guère différent. Buonaparte lui avoit envoyé au mois de février M. Monge pour l'assurer de son amitié, lui proposer la protection de la république française, et l'augmentation de son territoire. Les discours avoient été de part et d'autre fort éloquens. La république de Saint

Marin paroissoit singulièrement flattée d'un honneur qu'elle n'avoit jamais reçu : elle ne vouloit point augmenter son territoire; mais elle exprimoit le vif désir de resserrer les liens de l'amitié entre elle et la grande nation qui avoit daigné s'apercevoir de son existence. Le député français et les chefs de la république se quittèrent fort satisfaits, et pour donner à la république un gage solennel de sa bonne amitié, Buonaparte lui fit présent de quatre pièces de canon. Tout sembloit donc présager l'avenir le plus heureux, et Saint-Marin paroissoit destiné à rester seul debout sur les ruines des autres républiques. Le directoire en avoit autrement ordonné.

Au mois de juin suivant, le peuple réclama l'exercice de sa souveraineté. La constitution de Saint-Marin étoit à la vérité démocratique, mais on représentoit qu'elle n'en étoit pas moins infectée d'aristocratie; qu'elle comptoit vingt ou trente familles qui se disoient nobles; qu'il étoit nécessaire de faire cesser une usurpation si contraire à l'égalité et à la souveraineté nationale, et que les progrès des lumières ne permettoient pas de souffrir plus long-temps un pareil scandale. En conséquence,'le peuple, s'étant assemblé, déclara l'ancienne constitution abolic, supprima tous les titres de noblesse, et

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