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dans l'espace de quelques années, la population pays s'accrut de seize mille âmes.

du

Il prépara les Corses aux bienfaits de la civilisation, en s'appliquant à cultiver leur esprit. Il fonda une université à Corte, et ne négligea rien pour établir des écoles dans tous les villages. La fureur et l'habitude de la guerre avoient inspiré aux Corses une aversion singulière pour les arts de la paix. Il réforma leurs idées et leur apprit à aimer le commerce, l'agriculture et l'industrie. Enfin, il perfectionna si bien toutes les branches de l'administration, que ces insulaires, livrés auparavant à tous les déchiremens de la discorde, à tous les désordres des factions, se réunirent dans un même esprit et un même intérêt; et, si la France ne fût point intervenue dans leur querelle, il est probable que le grand œuvre de leur libération eût été consommé, et qu'ils eussent à jamais chassé leurs oppresseurs.

Mais les résolutions de la cour de Versailles déconcertèrent toutes leurs mesures. La France devoit aux Génois six millions, qu'elle ne pouvoit payer. Elle proposa, pour s'acquitter, d'envoyer en Corse sept bataillons, et de garder pendant quatre ans les places fortes que la république occupoit encore. Les Génois acceptèrent cette proposition avec empressement.

Ces troupes ne devoient point, à la vérité, agir hostilement; mais Gênes se flattoit que, la France étant chargée de garder ses places fortes, il seroit facile à la république de réduire l'intérieur du pays.

Le commandement de l'expédition fut donné à M. de Marbœuf, qui débarqua dans l'île en 1764. Les Corses agirent en cette occasion avec beaucoup de circonspection; ils tinrent assemblée générale, et prirent des résolutions plus modérées qu'on n'avoit lieu de l'espérer. Ils adressèrent en même temps un mémoire au roi de France, et se disposèrent à la guerre contre les Génois. Paoli ne précipita rien, et prit les mesures les plus propres à assurer le succès de ses opérations. Il avoit un frère brave et expérimenté ; il lui confia le commandement d'une partie de ses forces, et donna le reste aux chefs les plus courageux et les plus habiles.

Au moment où le comte de Marboeuf débarquoit, il ne restoit plus aux Génois que six

sept places dont ils osoient à peine franchir les murailles. Paoli, qui s'étoit flatté de les leur enlever bientôt, vit l'armée des Français avec le plus vif chagrin ; mais il sentit qu'il falloit le dissimuler.

Il s'appliqua à entretenir la bonne intelligence entre l'armée française et la sienne; il lia

avec M. de Marbœuf une correspondance trèsactive et pleine d'intérêt; car il parloit et il écrivoit d'une manière très-distinguée, et savoit bien le français et l'anglais.

M. de Marbœuf ayant témoigné le désir de se rendre à Bastia par la Corse, Paoli donna tous les ordres nécessaires pour le recevoir d'une manière digne de lui. Il entra dans cette capitale au bruit du canon, y trouva un repas somptueux et élégant, des appartemens meublés avec goût, et toutes ces attentions délicates qui semblent n'appartenir qu'à une nation anciennement civilisée.

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Paoli tenoit des consultes pour délibérer sur les intérêts publics. Ce n'étoient plus ces assemblées sauvages, où l'on n'apportoit que le tumulte des passions, la rudesse du langage la grossièreté des habits: on s'y présentoit avec décence; on y délibéroit avec calme. Dans la consulte de 1764, les députés, pour plaire à leur général, avoient affecté avoient affecté un luxe inconnu jusque-là. La plupart avoient substitué des habits de drap fin à la bure dont ils étoient habituellement vêtus, et quelquesuns avoient même poussé la magnificence jusqu'à mettre un peu de poudre sur leurs che

veux.

On a parlé beaucoup des deux trônes de

Paoli. Voici à quoi se réduit toute cette pompe royale. Les assemblées du grand conseil se tenoient dans le palais du général; car il avoit un palais. Au milieu de la grande salle s'élevoit un trône de damas cramoisi, orné de crépines d'or, et entouré de neuf autres fauteuils de même étoffe, également galonnés en or: c'étoit le trône de la liberté. Dans une salle voisine, mais plus petite, où l'on s'assembloit aussi quelquefois, étoit un autre trône moins grand, mais plus riche et plus élégant; le dernier étoit chargé des armes de la Corse, surmontées d'une couronne, et brodées en relief. Paoli n'y monta qu'une seule fois pour haranguer l'assemblée.Il étoit vêtu d'un habit magnifique et avoit l'épée au côté. Lorsqu'il s'y fut placé, on n'aperçut plus que la couronne, qui se trouvoit si bien à la hauteur de sa tête, qu'on imagina qu'il avoit eu quelque intention: on murmura, et Paoli renonça au petit trône.

Tout continuoit de se passer pacifiquement entre les Français et les Corses; mais Paoli n'étoit pas tranquille sur les desseins du docteur Abbattuccei, médecin d'un grand esprit, d'un talent remarquable, et fort considéré dans la Corse : c'étoit le seul homme peut-être dont il dût craindre la rivalité.

Le mérite commençoit à lui devenir suspect; il fit d'abord arrêter Abattuccei, le relâcha ensuite, en lui ordonnant de quitter le pays. Le docteur refusa d'exécuter l'ordonnance, leva des troupes et se disposa à donner lui-même

des lois.

Paoli, obligé de recourir à la force, créa une junte de guerre, et la chargea de rétablir l'ordre dans la province. Le docteur marcha contre la junte, la fit prisonnière, et convoqua un congrès. Il y parla de lui avec beaucoup de modestie, justifia sa conduite; et, sacrifiant ses prétentions à l'intérêt public, il termina par la soumission une affaire qui pouvoit mettre en péril la puissance de son rival. Vicit amor patriæ.

Les Corses étoient désolés de ne pouvoir satisfaire leurs ressentiniens contre les Génois; mais Gênes n'ayant pas une seule place dans l'intérieur de l'île, ils étoient réduits à une colère impuissante. Un habitant du village de Centuri, nommé Paul Mattei, revenant de France, et ayant été obligé de relâcher à Capraïa, s'aperçut que cette île étoit mal gardée; il en donna avis à Paoli, qui résolut aussitôt de s'en emparer; il équipe à la hâte une petite flotte, embarque deux cents hommes et deux

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