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politesse et d'égards, ces devoirs d'urbanité que les nations civilisées ont établis entre elles, et que l'exaltation d'un républicanisme ombrageux et farouche sembloit avoir fait oublier. Le prince et le général en chef se visitèrent mutuellement, se donnèrent des témoignages d'une estime réciproque, et le 18 avril on signa à Léoben les préliminaires d'une paix également nécessaire à la France et à l'Autriche, Par ce traité, l'empereur renonçoit pour lui et ses successeurs à toute prétention sur la Belgique.

Il reconnoissoit les limites de la France telles que les avoit décrétées le gouvernement républicain.

Il consentoit à l'établissement et à l'indépendance d'une république dans la Lombardie.

On s'étonna en 'Allemagne de la célérité avec laquelle ce traité avoit été conclu. Jusqu'alors la cour de Vienne avoit montré des dispositions beaucoup moins favorables, et le général Clarke, envoyé par le directoire auprès du cabinet d'Autriche pour y porter des paroles de paix, n'avoit pu obtenir une audience. On se flattoit que dans la position où se trouvoit l'armée impér riale, on pourroit obtenir des conditions plus favorables; on soupçonnoit qu'un résultat si inattendu étoit l'effet d'intrigues puissantes, et

le baron de Thugut ne paroissoit point à tout le monde au-dessus de tout soupçon.

L'Autriche faisoit en effet des sacrifices immenses. Elle renonçoit à l'une de ses plus riches et de ses plus importantes possessions sur les frontières de France. Elle perdoit l'Italie, et laissoit auprès de ses états s'établir une république démocratique, foyer de discordes et d'insurrection. Mais on n'avoit rien oublié pour Fintimider. Le directoire avoit ordonné de démolir la forteresse de Mantoue et de combler le port de Trieste.

Le sort de la république française étoit bien différent. Par ce traité, elle entroit en paix avec toutes les nations du continent. Les brillantes victoires de ses armées animoient le soldat d'une nouvelle audace; l'établissement d'une république en Lombardie, mettoit toute l'Italie à sa disposition; et l'Anglererre, réduite à ses propres moyens, ne lui donnoit plus que de légères inquiétudes. Ainsi, au-dehors, la France sembloit n'avoir plus rien à redouter : il n'en étoit pas de même au-dedans. Le gouvernement soupçonneux et tyrannique du directoire grossissoit chaque jour le nombre des mécontens et lui suscitoit des ennemis redoutables. La nation française, naturellement fière, ne pouvoit s'accoutumer à être gouvernée par des

hommes qu'elle n'estimoit pas. On se rappeloit encore avec un regret amer ce gouvernement doux et paternel des Bourbons sous lequel la France avoit joui de tant de bonheur. Le vœu de la nation se manifestoit de toutes parts et inspiroit au directoire les plus vives alarmes. D'un autre côté, il ne voyoit qu'avec une extrême inquiétude un général, jeune, ambitieux, entreprenant, qui n'attendoit pas ses décrets pour se décider, et sembloit aspirer à l'autorité suprême.

Placé ainsi entre les royalistes et ses propres armées, il combattoit les royalistes par les jacobins, et quand ceux-ci s'emportoient au-delà du but, il les réprimoit en suspendant le cours de ses proscriptions contre les royalistes.

Cette politique timide et ambiguë, l'obligeoit à chercher de nouvelles guerres pour occuper les soldats, et à multiplier les actes de despotisme pour contenir les partis. Il étoit méprisé des uns, haï des autres. Dans cette situation critique, il employoit l'adresse au défaut de la force, et pour occuper les armées sans avoir trop à craindre de leurs triomphes, il avoit l'art de suspendre leur activité par des négociations qu'il prolongeoit à dessein, reculant toujours le terme sans ôter toute espérance.

Lorsqu'on apprit à Paris que Buonaparte avoit

fait des propositions au prince Charles, Barras se hâta de lui expédier son secrétaire, Botto, pour lui ordonner de suspendre toute négociation (1). Mais Buonaparte n'étoit pas homme à se départir de ses projets pour plaire au directoire, dont il lui étoit facile de prévoir la chute prochaine. Il répondit avec hauteur, qu'il savoit ce qu'il avoit à faire, et qu'il s'y connoissoit mieux que le directoire.

Forcé de se soumettre, Barras et ses collègues ne virent de salut pour eux qu'en se jetant dans une nouvelle guerre. Venise offroit à l'avidité du vainqueur une conquête riche et facile; elle avoit à la vérité gardé jusqu'à ce jour la plus exacte neutralité; ses déférences pour la république française alloient jusqu'à l'abaissement: mais l'intérêt des directeurs exigeoit sa ruine, et sa ruine fut résolue.

(1) C'étoit à Barras que Buonaparte devoit sa fortune. Barras l'avoit d'abord protégé vivement; mais les succès de Napoléon l'épouvantoient. On savoit qu'un ministre étranger ayant insinué à Napoléon qu'il pouvoit s'assurer une souveraineté dans le duché de Milan, il avoit répondu : Je connois un trône vacant plus beau que celui-là.

CHAPITRE XVI.

Insurrection de Bergame, Brescia et Créma; massacres à Vérone; entrée des Français à Venise; Destruction de cette république.

Tour étoit depuis long-temps préparé pour l'accomplissement de ce projet. Dès le premier de mars, Buonaparte avoit fait signifier au sénat de Venise l'ordre de retirer ses troupes et ses employés de Brescia, Bergame, Créma, et de tout le pays qui se trouve en-deçà de l'Adige. Son dessein sembloit être de réunir ces provinces à la république cisalpine dont il jetoit alors les fondemens (1).

En faisant cette demande, Buonaparte étoit sûr du succès. Des émissaires secrets avoient d'avance attisé le feu de la discorde et de la révolte tout étoit prêt pour une explosion. Elle eut lieu en effet, Le 14 mars, Bergame se déclara libre, et les républicains se livrèrent,

(1) On ne parloit encore que des républiques Cispadane et Transpadane; mais dès lors le déssein de Buonaparte étoit de réunir ces deux républiques sous une dénomination commune.

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