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CHAPITRE XV.

Continuation des hostilités; lettre du général en chef de l'armée française au prince Charles; armistice de Léoben; signature des préliminaires de paix.

MAITRE de deux places importantes, Buonaparte sentit la nécessité de profiter de ses avantages, et de presser son ennemi par la rapidité de ses mouvemens et la hardiesse de ses entreprises. Des bataillons ennemis, nouvellement arrivés du Rhin, défendoient les gorges d'Inspruck le général Joubert les attaqua, les força, tua deux cents hommes, fit six cents prisonniers, enleva deux pièces de canon.

En même temps trois divisions françaises, commandées par le général Massena, passèrent les gorges qui de l'État Vénitien conduisent en Allemagne, et, dans l'espace de quelques jours, elles se trouvèrent sur la Drave. Willach, où l'ennemi avoit quelques forces, ne fit aucune résistance, et, le jour même, nos troupes entrèrent à Clagenfurth.

Cette ville n'est pas à 60 lieues de Vienne. L'effroi devint extrême dans la capitale. On

se hâta d'emballer le trésor public et toutes les richesses que renferme une grande ville; on appela au secours de la patrie tous les hommes en état de porter les armes ; des ingénieurs se rendirent dans la vaste plaine de Neustadt, pour y tracer un camp : les étrangers eurent ordre de s'éloigner.

Buonaparte écrivoit au directoire : « Si les >> armées du Rhin secondent mes opérations, » j'irai à Vienne ; si elles ne le font pas, j'irai

» encore ».

Cependant l'empereur, moins effrayé que ses sujets, étoit loin de perdre toute espérance, et paroissoit résolu de soutenir la guerre avec une nouvelle énergie. Trois cent mille Hongrois, alarmés des dangers de la patrie, se levèrent pour la secourir (1). Les Tyroliens, naturellement fiers et belliqueux, s'armèrent de toutes parts. L'ardeur n'étoit pas moindre dans les autres états de l'empire. La levée en masse de l'Autriche avoit produit près de quatre cent mille hommes. Les Croates et les Esclavons

(1) L'auteur des Campagnes des Français en Italie, affirme que la noblesse hongroise, pour assurer le succès de cette levée, déclara que quiconque ne suivroit pas le ban seroit coupé par morceaux. C'est une odieuse calomnie qui ne mérite point l'honneur d'une réfutation.

couroient au combat dans le dessein de couper la retraite aux républicains. Chaque jour de nombreux bataillons se rendoient à l'armée du prince, que fortifioient aussi des corps considérables venus de l'armée du Rhin.

On évaluoit les pertes de l'armée autrichienne à douze ou quinze mille hommes. Elles alloient être réparées par des secours

immenses.

Buonaparte se trouvoit engagé dans un pays où les communications étoient difficiles; ses positions pouvoient être attaquées séparément par des forces supérieures ; il laissoit loin de lui l'armée du Tyrol, qui n'avoit pu s'avancer encore au-delà de Botzen et de Brixen. Le général Joubert, qui commandoit un corps de vingt-cinq mille hommes, avoit perdu une grande partie de sa colonne; un régiment autrichien sous les ordres du colonel Casimir avoit attaqué et repris Fiume: la fermentation étoit extrême dans les États Vénitiens; un soulèvement général pouvoit mettre l'armée dans la situation la plus critique, et lui faire perdre en quelques semaines le fruit de près de deux ans de combats et de victoires.

Buonaparte sentoit tous les dangers de sa position, et se livroit avec inquiétude aux moyens de l'améliorer, lorsque tout à coup il

se vit tiré d'embarras, par un de ces événemens imprévus qui lui ont donné depuis tant de confiance dans son étoile. Le marquis de Gallo, gentilhomme de la chambre du roi de Naples, venoit d'être nommé ambassadeur à la cour de Vienne. Il traversa le camp de Buonaparte, et s'y arrêta pour en obtenir des passeports. Le général saisit habilement cette occasion, entretint l'ambassadeur napolitain, et affectant le ton d'un vainqueur généreux et modéré, lui laissa entrevoir le désir d'arrêter l'effusion du sang, et de sauver la monarchie autrichienne. Le marquis de Gallo se chargea des premières négociations à cet égard, et les conduisit si heureusement que, peu de jours après, il revint au camp sonder les dispositions ultérieures du général français.

Buonaparte, charmé d'un succès si prompt, avide de tous les genres de gloire, et ravi de pouvoir se montrer à l'Europe comme le pacificateur de l'Italie, après en avoir été le vainqueur, se hâta d'adresser au prince Charles la lettre suivante :

« Les braves militaires font la (૯ guerre et dési>> rent la paix: celle-ci ne dure-t-elle pas depuis >> six ans? avons-nous assez tué de monde et >> fait de maux à la triste humanité? Elle ré>> clame de tous côtés .L'Europe, qui avoit pris

>> les armes contre la république française, les a » posées. Votre nation reste seule, et cependant >> le sang va couler encore plus que jamais : cette >> sixième campagne s'annonce par des présages >> sinistres ; quelle qu'en soit l'issue, nous tue»rons de part et d'autre quelques milliers >> d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on » s'entende, puisque tout a un terme, même » les passions haineuses.

>> Le directoire exécutif de la république fran>>çaise avoit fait connoître à sa majesté l'empe»reur, le désir de mettre fin à la guerre qui >> désole les deux peuples; l'intervention de la » cour de Londres s'y est opposée : n'y a-t-il » donc aucun espoir de nous entendre? et faut» il, pour les intérêts ou les passions d'une na» tion étrangère aux maux de la guerre, que >> nous continuions à nous entr'égorger? Vous, » monsieur le général en chef, qui, par votre » naissance, approchez si près du trône, et êtes >> au-dessus de toutes les passions qui animent >>>souvent les ministres et les gouvernemens, » êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfai>>teur de l'humanité et de vrai sauveur de l'Alle>> magne? Ne croyez pas, monsieur le géné>> ral, que j'entende par-là qu'il ne vous soit pas >> possible de la sauver par la force des armes; » mais, dans la supposition que des chances

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