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CHAPITRE XII.

Fétes à Milan et à Gênes pour l'anniversaire de la fondation de la république; reprise de la Corse; traité de Paix entre la France, Naples et Parme; bataille d'Arcole.

C'ÉTOIT le 1 17 fructidor que l'armée française étoit entrée à Trente, c'étoit le 18 qu'elle avoit gagné la bataille de Roveredo; elle avoit emporté le 21 le camp retranché de Primolan et le fort de Covelo; le 22, l'ennemi avoit été battu à Bassano, et le 29 à S.-Georges: il étoit difficile de terminer l'année républicaine avec plus d'éclat.

L'année suivante commença par des fêtes; madame Buonaparte étoit depuis quelque temps en Italie, elle s'étoit montrée successivement à Livourne, à Florence, et étoit revenue à Milan : c'étoit une occasion pour accorder quelques délassemens aux guerriers, et offrir à l'épouse du général en chef des spectacles moins terribles que celui des batailles.

Le 22 septembre, Napoléon se rendit à Milan, pour y célébrer l'anniversaire de la fondation de la république ; il vouloit donner aux

Italiens une idée de ces fêtes révolutionnaires si célèbres en 1793 et 1794. Les rues, les places publiques furent décorées de guirlandes et de feuillages. Les autorités constituées se rendirent en grande pompe sur la place principale, précédées de musiciens et de nombreux détachemens d'infanterie et de cavalerie; on planta en cérémonie un nouvel arbre de la liberté, plus vert, plus élevé que le premier; on chanta des hymnes; on prononça des discours; on fit défiler les troupes devant le général en chef et le commissaire Garreau, qui étoient, dit une gazette italienne, les principaux ornemens de cette fête. Madame Buonaparte eut aussi sa part des hommages publics; elles les reçut du haut de la grande loge du Casino di recreazioni, d'où elle voyoit toute la fête.

On avoit élevé à la liberté une statue et un temple particulier en face de la cathédrale de Milan; mais on ne se contenta point de ces emblèmes inanimés. Sur un char triomphal, attelé de six chevaux pareils, on vit paroître une Liberté vivante, légèrement vêtue d'une robe grecque, le front couronné de lauriers, agitant à la main le drapeau tricolore. Autour d'elle étoient groupés six jeunes gens qui folàtroient, dit la même gazette, avec la déesse, et portoient divers emblèmes de la liberté et

de l'égalité. Sur des banderoles chargées de broderies, se lisoient les noms des armées qui avoient foudroyé les trônes et dissipé la ligue des tyrans.

Le char parcourut toute la ville au bruit des acclamations et des cris de Viva la Republica Francese, et après s'être arrêté au palais du général en chef (car les généraux républicains ne dédaignoient point les palais), il revint à l'hôtel municipal, tandis que Buonaparte faisoit les honneurs d'un banquet splendide auquel on ne jugea pas à propos d'admettre la déesse (1).

Au festin succédèrent des exercices gymnastiques, des courses de chevaux, des représentations théâtrales, des illuminations, des danses qui ne finirent qu'avec la nuit.

Gênes et beaucoup d'autres villes voulurent se signaler par des fêtes semblables; le sénat et les riches négocians de Gênes étoient peu favorables aux principes de la révolution, mais la multitude les accueilloit avec enthousiasme.

(1) Ces divinités étoient pour la plupart des filles publiques ou des filles de théâtre; dans quelques sections de Paris, et dans plusieurs villes, on les fit paroître nues, c'est-à-dire avec un simple gilet de tricot et un pantalon couleur de chair, qui dessinoient parfaitement les formes.

Le ministre de la république française étoit M. Faypoul: il donna, dans son hôtel, une fête splendide, où les devises et les emblèmes de la liberté et de l'égalité n'étoient pas épargnés. Dans ses jardins s'élevoit, au-dessus de tous les autres arbres, l'arbre de la liberté ; il couvroit de son ombrage la statue et les autels de la déesse. Des orchestres composés des plus habiles musiciens exécutoient successivement des airs patriotiques (1). La soirée se passa, comme à Milan, en festins, en danses champêtres, en bals, en illuminations. L'ambassadeur de Sardaigne n'osa point se dispenser d'assister à cette fête, mais il se retira d'assez bonne heure pour faire croire qu'il sacrifioit plutôt à la crainte qu'à l'amour de la république.

Tandis qu'on dansoit à Gênes et à Milan, tout étoit dans la confusion à Ferrare, à Bologne, à Modène. Au mois de septembre, les

(1) Les patriotes d'Italie, pour imiter les patriotes français, avoient composé, à l'instar de l'hymne marseilloise, une hymne républicaine qu'on chantoit dans les fêtes, dans les camps et dans les clubs, et dont le refrain étoit :

Del despotico potere

Ite al favio ivi qui editti;
Son del uomo primi drittî,
Egualianza e libertà.

habitans de Reggio s'étoient soulevés, avoient pris les armes et chassé les troupes du duc de Modène, leur souverain, et proclamé leur indépendance. Bologne et Ferrare avoient appuyé ce mouvement. La régence de Modène effrayée crut devoir prendre quelques précautions pour la sûreté de la capitale, et s'occupa de relever à la hâte les fortifications. C'étoit ce que Buonaparte attendoit; cet acte de prudence fut regardé comme un crime : il se présenta devant la ville, déclara l'armistice rompu; institua, au nom de la république française, un nouveau gouvernement; fit arrêter les membres du conseil, et les envoya prisonniers à la citadelle de Tortone.

Le premier acte des nouvelles autorités fut l'abolition de la noblesse, la création d'une garde nationale, et la formation d'une commission militaire. Reggio, Bologne, Ferrare et Modène s'unirent par un pacte fédératif, et déclarèrent cette confédération permanente et indissoluble. On arbora sur les citadelles l'étendard tricolore, et la république fut instituée aux cris de Vive l'armée française, vive Buonaparte. Mais ces triomphes de la liberté et de l'égalité s'obtenoient rarement sans désordres et sans confusion; le jour même où les Bolonais avoient planté l'arbre de la liberté, la ville étoit

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