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blé de fourrures, couvert d'une vaste perruque, d'un chapeau retroussé, à large bord, portant au côté une longue épée à l'espagnole, et à la main une canne à bec de corbin, qui lui servoit de sceptre.

Il apportoit avec lui deux cents fusils, autant de pistolets, quelques sabres, des souliers, fort peu d'argent, mais beaucoup de pro

messes.

Les Corses crurent voir un libérateur, et Théodore fut élu et proclamé roi dans un congrès de la nation, assemblé le 15 avril 1736. On rédigea une constitution que le nouveau monarque jura d'observer (1). La cérémonie

(1) Élection et proclamation du roi Théodore.

Au nom et à la gloire de la très-sainte Trinité, père, fils et saint-esprit, et de l'immaculée vierge Marie.

Aujourd'hui, dimanche 15 du mois d'avril de l'année 1736, dans l'assemblée générale du royaume de Corse, dûment convoquée, après de longues et mûres délibérations des principaux et de tous les peuples du royaume, il a été déterminé et arrêté de choisir un roi et de vivre sous sa dépendance.

Et le seigneur THÉODORE, baron de New-Hoffen, a été reconnu et proclamé pour tel, sous les pactes et conditions qui suivent, à l'observation desquels ledit seigneur devra s'engager par serment, tant pour lui que pour ses successeurs, l'intention des peuples étant qu'il ne puisse

de son couronnement se fit dans une église de Franciscains; et, comme on n'avoit point de couronne d'or à lui donner, on se contenta de lui en donner une de laurier.

Le premier soin de Théodore fut de se former une cour, de lever un régiment des gardes, de créer des comtes, des barons, des marquis; Giafferi et Paoli furent déclarés Excellences. On frappa des monnoies d'argent et de cuivre à l'effigie du nouveau souverain, et, pour essayer

faire aucun acte de royauté que, préalablement, il n'ait accepté lesdits pactes et conventions, juré de les observer, et signé de sa propre main, scellé de son propre sceau le présent acte, afin qu'il soit à jamais stable.

Art. 1er. Le seigneur Théodore, baron de New-Hoffen, est déclaré souverain et premier roi de ce royaume, et, après lui, ses descendans mâles, par ordre de primogéniture, et, au défaut des mâles, ses filles, suivant le même ordre, à condition que ceux qui succéderont au trône seront de la religion catholique, apostolique et romaine, et qu'ils résideront toujours dans le royaume, comme doit

y résider le seigneur Théodore.

2. Dans le cas où le seigneur Théodore n'auroit pas de descendant, il pourra se choisir et nommer un successeur dans sa famille, pourvu qu'il réside dans le royaume et professe la religion catholique.

3. Si la ligne descendante, tant masculine que féminine, dudit seigneur Théodore ou de celui qu'il auroit

sa puissance, il fit pendre deux Corses qui s'étoient battus en duel. Dans le premier moment d'enthousiasme, il rassembla facilement beaucoup de troupes, et remporta divers avantages sur les Génois. Il n'approchoit jamais des côtes sans être armé d'une grande lunette, qu'il braquoit pour reconnoître en mer les secours qui devoient lui arriver; il affectoit d'expédier beaucoup de paquets pour les principales puissances de l'Europe; il recevoit des couriers sans nombre, qui lui apportoient les nouvelles

choisi pour son successeur, venoit à s'éteindre, le royaume rentrera dans tout le droit de se donner un roi, ou de se choisir telle forme de gouvernement qu'il jugera à propos.

4. Il sera établi dans le royaume une diete composée de vingt-quatre sujets les plus qualifiés et les plus méritans, lesquels résideront toujours à la cour, et que le roi sera tenu de consulter, sans pouvoir rien résoudre sur les impôts, la paix et la guerre, que par leur consentement.

5. Les dignités, charges et emplois, ne pourront être conférés qu'aux nationaux, à l'exclusion perpétuelle de tout étranger, quel qu'il puisse être.

6. Ne pourra le roi entretenir d'autres troupes que celles du royaume, à l'exception néanmoins de sa garde, qu'il pourra composer également de Corses ou d'étran

gers.

7. Aucun Génois, de quelque état et condition qu'il

les plus satisfaisantes. Cette comédie dura huit mois. Les Génois en furent d'abord alarmés, et mirent sa tête à prix; mais leur effroi ne fut pas de longue durée. Le monarque commençoit à se trouver dans la détresse, et l'enthousiasme public diminuoit avec ses finances. Pour éviter des suites plus sérieuses, il prit le parti de quitter ses états afin d'aller en personne

soit, ne pourra séjourner ou s'établir dans le royaume, et le roi ne sera pas même libre de le permettre.

8. Les produits du royaume qui seront exportés, ne paieront aucun droit de sortie.

9. Il sera formé dans le royaume une université publique pour les études, tant du droit que de la philosophie. Le roi et la diete pourvoiront à son entretien, en Jui assignant des revenus suffisans, et la feront jouir de tous les priviléges accordés aux autres universités publiques.

10. Le roi établira incessamment, pour l'honneur et la gloire du royaume, un ordre de noblesse parmi les nationaux les plus qualifiés.

11. Tous les bois, terres, domaines et propriétés nationales continueront à demeurer dans l'état présent, sans que le roi puisse y prétendre d'autre droit que celui dont jouissoit la république.

Ainsi conclu le dimanche 15 avril 1736.

Les Génois effrayés de la résolution des Corses, firent publier contre le roi Théodore un manifeste dans lequel

accélérer les secours qu'il attendoit. Arrivé à Amsterdam, un de ses créanciers le fit mettre en prison; mais il soutint sa disgrace en roi, et traita si habilement avec un Juif, qu'il obtint d'une compagnie une somme de cinq millions avec laquelle il paya ses dettes, et chargea un vaisseau d'armes, de poudre et de munitions de tous les genres. Les Juifs se flattoient de

ils prétendoient donner les détails secrets de sa vie privée. Ce manifeste fut répandu avec beaucoup de profusion. Il y étoit dit :

Qu'il tiroit son origine d'un canton de la Westphalie, et se faisoit nommer le baron Théodore de New-Hoff; qu'il se vantoit d'être fort éclairé dans la chimie, la cabale, l'astrologie, et que par le moyen de ces sciences, il prétendoit avoir découvert les secrets les plus importans; mais que ce n'étoit en effet qu'un vagabond, d'une fortune très-médiocre.

En errant par le monde, disoit la république, il a déguisé son nom et son origine. A Londres, il étoit Allemand; à Livourne, Anglais; et à Gênes, Suédois; prenant tantôt le nom de baron de Naples, de Sminher ou de Nissen, et quelquefois celui de Smithberg, ainsi qu'on peut s'en convaincre par les passe-ports et autres papiers authentiques.

A l'aide de ses différens noms, et de ses tours de souplesse, il a trouvé le moyen de vivre aux dépens d'autrui; on sait qu'il a dissipé en Espagne, il y a dix aus,

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