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confisquoit les biens de l'assassin, ces meurtres engraissoient les coffres publics.

De pareils excès auroient transporté d'indignation le peuple le plus patient et le plus résigné; la colère des Corses finit par se tourner en rage; en 1729, ils s'armèrent de toutes parts, se donnèrent des chefs, et se livrèrent à tout ce que le fanatisme de la vengeance peut inspirer à une nation naturellement vindicative et féroce.

Les Génois appelèrent à leur secours l'empereur Charles vi, qui leur donna des troupes et des généraux.

Les Corses, vaincus de nouveau, consentirent à livrer leurs chefs en ôtage. C'étoient André Ceccaldi, Louis Giafferi et Dominique Rafelli. On les conduisit à Gênes où l'on délibéra, contre la foi des traités, si on les mettroit à mort; l'ambassadeur génois sollicitoit à Vienne le consentement de l'empereur, lorsque le prince de Wirtemberg, jeune héros du plus noble caractère, envoya un exprès pour représenter à S. M. combien l'honneur de sa couronne seroit flétri, s'il permettoit qu'on mit à mort des hommes qui ne s'étoient rendus que sur la foi de sa parole sacrée. Le célèbre prince Eugène joignit sa médiation à la sienne, et les Génois eurent ordre de mettre en liberté les trois chefs corses. Giafferi revint dans sa pa

trie; Rafelli se retira à Rome, et Ceccaldi en Espagne.

De nouveaux sujets de mécontentement ne tardèrent pas à produire de nouveaux troubles. Les Corses mirent à leur tête Giafferi qui s'adjoignit Hiacynthe Paoli.

Paoli étoit un gentilhomme d'une ancienne famille, mais plus distingué par son mérite que par son rang. Il étoit instruit, brave et religieux, également capable de servir sa patrie dans la paix comme dans la Le secours guerre. les Génois avoient obtenu de l'empereur, leur avoit coûté cher; ils y avoient dépensé trente millions, sans compter les présens qu'ils avoient faits au prince de Wirtemberg et à d'autres généraux.

que

Ils ne furent point tentés de renouveler cette épreuve, et se préparèrent à soutenir la avec leurs propres moyens.

guerre

Les Corses étoient décidés à conquérir enfin leur liberté. Ils cherchèrent d'abord quelque appui parmi les souverains d'Europe, et s'adressèrent à l'Espagne qui les refusa ; ils sollicitèrent quelques autres puissances qui ne les accueillirent pas mieux. Désespérés de ne pouvoir trouver de secours sur la terre, ils en cherchèrent dans le ciel. Ils convoquèrent une assemblée générale de toutes les paroisses, et,

après avoir juré une haine éternelle aux Génois, ils se mirent solennellement sous la protection de l'immaculée conception de la vierge Marie. André Ceccaldi, Hiacynthe Paoli et don Louis Giafferi furent élus primats du royaume et décorés du titre d'altesses royales. L'acte fut proclamé la 30 janvier 1735 (1).

On entra aussitôt en campagne. L'artillerie manquoit; on enleva les cloches et l'on fondit des canons. On tomba sur les Génois partout où

(1) Cette pièce est assez curieuse pour être rapportée. Acte d'élection de la Sainte-Vierge, comme reine de Corse.

1. Le royaume élit pour sa protectrice l'immaculée conception de la Vierge Marie, dont l'image sera empreinte sur les armes et les drapeaux, et l'on en célébrera la fête, dans tout le pays, par des salves de mousqueterie et de canon, conformément à ce qui sera prescrit par la junte.

2. Tout ce qui peut rappeler le gouvernement génois est aboli; les lois et statuts seront brûlés publiquement. 3. On frappera des espèces au nom des primats du royaume,

4. Les terres et fiefs appartenant aux Génois sont confisqués ; les primats en disposeront et les feront affermer. 5. Quiconque refusera de reconnoître la junte et de lui obéir, d'accepter des charges et emplois, sera déclaré rebelle et condamné à mort. Ses biens seront confisques.

ils se présentèrent, on en tua un grand nombre, on s'empara de plusieurs places fortes; l'habileté et le courage de Giafferi déconcertèrent toutes les mesures des généraux et des commissaires de Gênes; la cause de la liberté triomphoit partout, lorsqu'un événement inattendu vint encore relever les espérances de la Corse.

On vit débarquer dans le port d'Aleria un homme d'une apparence imposante, amenant

6. Seront traités de même ceux qui oseront mépriser ou tourner en ridicule les titres et qualifications donnés, soit aux primats, soit à la junte, soit à tous les officiers et ministres de la diéte.

7. Seront également sujets à la peine de mort ceux qui proposeront, de quelque manière que ce soit, de traiter avec les Génois.

8. La junte fera un nouveau code, qui sera publié dans quinze jours, et aux lois duquel tous les sujets du royaume seront tenus de se conformer.

9. La junte donnera des brevets à chaque officier, depuis le commissaire général des armées jusqu'au dernier grade, et nul ne pourra exercer sa charge sans ces brevets, sous peine de mort.

10. Deux magistrats seront chargés de veiller à la tranquillité du royaume, et notamment de rechercher les traîtres à la patrie ou soupçonnés tels, avec pouvoir de leur faire leurs procès en secret, et de les condamner. Conclu et arrêté dans l'assemblée générale des Corses, le 30 janvier 1735.

avec lui quelques hommes, dix pièces de canon et des malles qu'on disoit remplies d'argent. Le héros inconnu promettoit de délivrer l'île, pourvu qu'on lui conférât l'autorité nécessaire, et qu'on lui décernât le titre de roi.

Cet aventurier se nommoit Théodore de New-Hoffen. Il étoit fils d'un baron westphalien qui étoit venu s'établir en France. Il avoit été dans sa jeunesse page de la duchesse d'Orléans, s'étoit ensuite retiré en Suède, puis en Espagne, puis en Italie. C'étoit un homme d'une imagination ardente, un peu voisine de la folie. Sa tête active enfantoit tous les jours de nouveaux projets. Dans un voyage à Tunis, il persuada au Bey que, s'il vouloit lui donner un vaisseau de dix canons, quatre mille fusils, un peu d'argent et quelques munitions, il le rendroit maître de l'île de Corse. Le Bey eut la simplicité de l'écouter; Théodore s'embarqua pour Livourne, vit quelques Corses en Italie, et leur fit dire que, s'ils vouloient le reconnoître pour roi, il délivreroit l'île, et leur assureroit le secours des puissances de l'Europe.

Les idées les plus folles sont presque toujours sûres de réussir dans les révolutions. La proposition du baron westphalien fut acceptée; il aborda, au mois de mars 1736, au port d'Aleria, vêtu d'un long habit d'écarlate dou

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