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cruelle politique, qu'un de ses propres historiens, Filippini, ne craint pas d'avouer qu'elle fitbrûler plus de cent vingt des plus riches villages, de crainte qu'ils ne se révoltassent, et qu'elle força quatre mille habitans de quitter leur pays.

Ces excès suscitèrent, en 1550, un vengeur à la Corse, ce fut Sampietro de Bastelica ; il étoit doué des plus hautes qualités ; il avoit été élevé dans la maison du cardinal Hippolyte de Médicis, neveu du pape Clément vii, et s'étoit distingué au service de France, où il commandoit un régiment. Après la mort de François "., il étoit rentré dans sa patrie, et avoit épousé Vannina, héritière de la maison d'Ornano, l'une des plus anciennes, des plus riches et des plus illustres de la Corse. Il prit même le nom de Sampietro d'Ornano. Touché de l'état malheureux de sa patrie, il résolut de la secourir ; il intéressa au succès de ses desseins Henri II, qui avoit des prétentions sur Gênes, et lui montra les avantages d'une pos session telle que l'île de Corse. Le roi de France entra facilement dans ses vues. On prépara une expédition pour la Corse, et l'on en donna le commandement au général de Termes, ayant sous ses ordres Sampietro d'Ornano, Jourdaindes-Ursins, et plusieurs autres habiles officiers.

Henri n avoit pour allié l'empereur des

Turcs, Soliman, surnommé le Magnifique. Le sultan équipa une flotte, et se disposa à seconder le roi de France. Cette expédition devoit effrayer les Génois; cependant ils se disposèrent à soutenir courageusement la guerre. André Doria, malgré ses quatre-vingt-dix-sept ans, sentit renaître son ardeur guerrière et tout le feu de sa jeunesse. Il s'embarqua intrépidement à la tête d'un armement considérable.

La guerre fut soutenue de part et d'autre avec vigueur. Plusieurs places furent d'abord emportées par les Turcs et les Français, et particulièrement Ajaccio, dont l'opulence offroit au soldat l'espoir d'un riche butin. Ornano eut soin de répandre le bruit que les Français ne venoient que pour affranchir l'île de la tyrannie de Gênes; une foule de Corses se joignirent à lui, et bientôt une grande partie de l'île fut délivrée de ses tyrans. Mais le génie d'André Doria, les forces considérables que les Génois obtinrent de l'empereur Charles-Quint, arrêtèrent les progrès des Français. On fit de part et d'autre des efforts incroyables, les deux armées se signalèrent par les actions les plus éclatantes. La fureur des Corses étoit telle qu'ils juroient de se jeter plutôt dans les bras des Turcs, que de retourner sous le joug des Génois. Il fallut cependant y rentrer. Le roi

de France, appelé par d'autres soins, termina cette guerre par un traité avantageux et honorable pour les Corses, et s'en rendit garant.

Mais les traités n'étouffent pas les haines nationales. Après la mort de Henri 11, la tyrannie de Gênes devint plus violente que jamais; la haine des opprimés s'enflamma avec une nouvelle fureur. Ornano ayant inutilement sollicité le secours des Turcs, résolut de sauver seul sa patrie. Il rassembla ses forces, livra plusieurs combats, prit des villes, les perdit, et fut enfin lâchement assassiné par un misérable nommé Vitolli. On imputa ce crime aux Génois : il roit constant que Pietro Vivaldi, qui commandoit leurs forces, avoit pris la résolution d'exterminer les chefs des Corses par le fer, le feu et le poison. Cette guerre fut conduite avec une férocité inouie; on tuoit de part et d'autre les prisonniers; on pendoit les garnisons, on incendioit les villages; il est probable qu'un assassinat de plus n'effraya pas le général génois.

pa

Sampietro d'Ornano étoit un homme d'une âme élevée', d'un rare courage et d'une constance inaltérable. Il joignoit de grands vices à de grandes qualités : il étoit jaloux et cruel à l'excès. Sa femme ayant quitté l'île de Corse, pour se retirer à Marseille, Sampietro, dans l'accès de sa fureur, tua celui qui lui en ap

porta la nouvelle, courut à Marseille, se saisit de sa femme et l'étrangla de ses propres mains.

La mort de Sampietro ne rendit point le calme à la Corse; son fils, à peine âgé de dix-huit ans, se mit à la tête des insurgés, et les Corses jurèrent de mourir avec lui. Gênes sentît le besoin de capituler, proposa une amnistie, fit des propositions raisonnables qui furent acceptées. Lejeune Ornano quitta la Corse pour se rendre en France, et s'y montra d'une manière si honorable qu'il fut élevé au grade de maréchal de France.

que

Il ne s'agissoit, pour le bonheur de la Corse, de continuer à y entretenir les principes de la modération et de l'équité; mais, si d'une part il étoit difficile de gouverner les Corses de l'autre, il étoit presque impossible de se laisser gouverner par les Génois. L'île étoit ruinée, ils exigèrent d'elle des contributions excessives. Le désespoir enfanta de nouvelles révoltes; des deux côtés on s'attaqua avec rage, les Génois aggravant tous les jours la tyrannie, les Corses s'obstinant de plus en plus dans l'esprit d'insurrection. On exigeoit d'eux qu'ils n'exportassent leurs productions que dans les ports de Gênes, où ils étoient réduits à les vendre à vil prix. Dans une famine, on leur enleva tous leurs blés pour Gênes, et on les abandonna

eux-mêmes à toutes les horreurs de la disette.

La manière de procéder contre les prévenus de crimes capitaux, étoit digne des temps les plus barbares. Le juge, les condamnoit, ou les acquittoit, suivant ses caprices ou son entendement. Il en étoit quitte pour alléguer sa conscience. Ex informatá conscientiá.

On condamnoit aux galères sur les plus légers prétextes; et, comme le juge pouvoit remettre la peine, il faisoit un trafic honteux de ce privilége. On envoyoit un gouverneur pour deux ans; c'étoit presque toujours un noble avide et ruiné; il se livroit, pour s'enrichir, à tous les genres d'exactions envers ses malheureuses victimes: adressoient-elles leur réclamations au sénat? Il étoit convenu d'avance que les Corses étoient un peuple indomptable dont on ne pouvoit écouter les cris. Comme il falloit diviser pour réguer, on entretenoit à dessein les haines de famille, on suscitoit tous les jours de nouveaux sujets de division, on tenoit les esprits dans un état d'exaspération continuelle, et l'on favorisoit en quelque sorte les assassinats; c'est un fait malheureusement avéré, que l'on compta, au commencement du siècle dernier, dix-sept cents assassinats dans l'espace de deux années. Ces assassinats n'étoient point sans intérêt pour le fisc; car, comme la loi

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