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horrible; enfin le vénérable archevêque se montre de nouveau, les habitans consentent à une capitulation, et les Français entrent dans la ville.

Cette malheureuse cité fut livrée au pillage pendant vingt-quatre heures. Rien ne fut épar gné; palais des nobles, églises, monastères, magasins des marchands, boutiques des artisans, tout fut abandonné à la rapacité du soldat. C'étoit le général Rusca qui présidoit à cette déplorable et terrible exécution; elle ne se borna pas à la ville de Pavie, elle s'étendit sur les bourgs et les villages voisins. Sept à huit cents paysans avoient paru vouloir se défendre à Binasco. Le général Lannes les chargea, en tua une centaine, et réduisit le village en cendre. Les hommes pris les armes à la main, les officiers municipaux de ces malheureuses communes, furent impitoyablement fusillés; six cents victimes furent égorgées à Milan. Après cette sanglante expédition, la Lombardie ne présenta plus que des monceaux de ruines.

Le général en chef écrivit au directoire : « J'ai fait mettre le feu aux villages. Ce spec>> tacle, quoique nécessaire, n'en étoit pas > moins horrible. J'en ai été douloureusement » affecté ».

Mais tandis qu'il s'exprimoit ainsi, il publioit une proclamation, dont les termes peuvent

donner une idée de ses heureuses dispositions à la sensibilité :

« Les nobles, les prêtres, les agens de l'auto» rité, égarent les peuples de cette belle con»trée. L'armée, généreuse, aussi généreuse » que forte, traitera avec fraternité les habitans » paisibles et tranquilles. Elle sera terrible » comme le feu du ciel pour les rebelles et les >> villes qui les protégeroient; les généraux fe>> ront marcher contre les villages les forces >> nécessaires pour les réprimer, y mettre le feu, » et faire fusiller tous ceux qu'ils trouveront » les armes à la main. Tous les prêtres et les >> nobles qui seront arrêtés dans les communes » rebelles, seront arrêtés comme otages et en» voyés en France.

>> Tous les villages où l'on sonnera le tocsin » seront sur-le-champ brûlés; tout homme » trouvé avec un fusil ou des munitions de » guerre, sera fusillé de suite. Toute maison » où l'on trouvera un fusil, sera brûlée, à » moins que le propriétaire ne dise à qui il » appartient. Les nobles, les riches, qui seront >> convaincus d'avoir excité le peuple à la révol»te, soit par des propos contre les Français, soit >> en congédiant leurs domestiques, seront » transférés en France, comme otages, et la » moitié de leurs revenus confisquée ».

La proclamation du général en chef fut suivie d'une adresse du général Despinoy aux ha→ bitans de Milan. Il leur reprochoit leur insen→ sibilité pour les bienfaits dont les Français vouloient les combler, et pour les punir de leur aveuglement, il leur ordonnoit, sous peine de mort, de déposer, dans le délai de vingt-quatre heures, les armes et toutes les munitions de guerre qu'ils avoient à leur disposition. Il enjoignoit à tous les étrangers de sortir de Milan, dans le jour même, et défendoit à toute personne de l'arrondissement de leur donner asile. Il prescrivoit la clôture de tous les clubs, de toutes les réunions de quelque nature qu'elles fussent; il rendoit responsables de l'exécution de ses ordres, les municipalités, les tribunaux, le clergé, la noblesse.

Le commissaire Salicetti voulut encore renchérir sur le général, et dans une affiche répandue avec profusion, il promit des vengeances terribles, le ravage et la mort. C'étoit la législation et le langage de 1793; c'étoit la répétition des désastres de Lyon, de Toulon, de la Vendée.

Les massacres et le pillage de Milan, de Pise, de Lodi, de Binasco et des villages insurgés avoient duré cinq jours. Après ces terribles exemples, Buonaparte parut au spectacle, le front

calme et serein. On donnoit l'opéra de Caton, de Métastase. Les spectateurs, encore glacés d'ef froi, encore frissonnant d'horreur au souvenir du sang qu'on avoit répandu, cherchèrent à fléchir, par la soumission et la flatterie, le courroux d'un homme dont rien n'égaloit le pouvoir, que l'amour du sang et de la vengeance. On applaudit avec transport une foule de vers dont on luit fit l'application, et, à la fin du spectacle, on vint lui poser une couronne de laurier sur la tête. Le général reçut cet hommage froidement, et l'immobilité de sa figure ne laissa rien deviner de ce qui se passoit dans l'intérieur de son âme.

Cependant il étoit occupé de nouveaux desseins, et bientôt Rome et Naples apprirent que c'étoit sur elles que devoit tomber la foudre ré volutionnaire. Mais la république de Venise devoit auparavant voir flotter l'étendard natio nal sur les tours de ses villes.

CHAPITRE VIII.

Passage du Mincio; Entrée des Français à Vérone; Louis XV111 obligé de quitter cette ville; Détails sur ce Prince.

La république de Venise étoit loin de voir une amie dans la république française; car les Français poursuivoient avec un égal fanatisme l'aristocratie et la royauté, et Venise aristocrate n'avoit rien de fraternel à attendre de sa sœur démocrate. Incertaine sur le parti qu'elle devoit prendre, redoutant également et les victoires et les défaites de notre armée, elle avoit cru trouver son salut dans une prudente neutralité, et paroissoit disposée à tout sacrifier pour conjurer l'orage qui grondoit sur ses frontières.

Le roi de France habitoit alors Vérone, et attendoit, dans le silence de la vie privée, l'heure marquée pour remonter sur le trône de ses aïeux. Rien n'étoit plus pacifique que la vie de ce prince. Il se levoit tous les jours de bonne heure, étoit habillé, et décoré de ses ordres à huit heures du matin. Il passoit une partie de la matinée à écrire, et n'étoit visible que pour

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