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les Grecs habitent de préférence; et comme leurs femmes sont jolies, Ajaccio est le séjour le plus recherché de toute la Corse.

Les grandes routes étoient inconnues en Corse avant l'établissement des Français. De puis ce temps on a construit des chaussées, ouvert de larges chemins pour la facilité et la sûreté des communications. La Corse possédoit autrefois cinq évêchés et soixante-dix-sept monastères.

La langue des Corses est un mélange de grec, d'arabe, de latin et d'italien. Les habitans sont la plupart pauvres, mal vêtus, mal nourris et ennemis du travail. Les hommes sont d'une taille médiocre, mais robustes, intrépides, capables de soutenir les fatigues, la faim, la soif et toutes les misères de la vie humaine. Quoiqu'ils battent habituellement leurs femmes, ils en ont cependant la meilleure opinion; ils disent que lorsque Dieu créa le monde, il jetta douze onces de vertu sur la terre; les femmes corses en prirent onze pour leur part, et laissèrent les autres femmes se partager le reste.

Les Romains avoient fait de la Corse un lieu 'd'exil et de bannissement. Sénèque y fut relégué et y passa huit ans. On montre encore aujourd'hui une tour qui porte son nom: Torre

di Seneca. On croit que ce fut là qu'il composa ses Traités de la Consolation, dont il paroît qu'il avoit lui-même grand besoin. On cite de lui quelques épigrammes qui nous donneroient une fort mauvaise idée de la Corse et de ses habitans, s'il falloit s'en rapporter aux boutades d'un exilé; la plus connue est celle-ci :

Lex prima ulcisci ; lex altera vivere furto ;
Tertia mentiri; quarta negare Deos.

Se venger et voler, mentir, nier les dieux,
Voilà toutes les lois de ces aimables lieux.

Mais les Corses soutiennent qu'il ne la composa que pour se venger d'un affront qu'il avoit essuyé. Dans ses momens de gaieté, il étoit devenu amoureux d'une jeune insulaire, et avoit entrepris d'obtenir par force ce qu'il faut toujours obtenir de bonne volonté. La jeune fille se plaignit à ses frères, qui se saisirent du philosophe et le fustigèrent. Un philosophe fustigé est de mauvaise humeur; il ne faut donc pas s'étonner qu'il ait si mal parlé de ses hôtes.

Le sort de la Corse a été de combattre éternellement pour la liberté, sans jamais l'obtenir. On connoît plus de deux mille années de son histoire, et ce sont deux mille années de guerres, de violences, d'usurpations, de révoltes, de

de soulèvemens, de tyrannies, de calamités de tous les genres. Peut-être n'existe-t-il pas de pays plus constamment malheureux. Aucune terre n'a été arrosée de plus de sang, souillée de plus d'assassinats, témoin de plus de dé

sastres.

Qu'on se figure un peuple en état de révolution pendant deux mille ans, déchiré sans relache par l'esprit de parti, exalté, fanatisé par la haine, le ressentiment, le désespoir, et tout ce que le cœur humain renferme de plus violentes passions; luttant sans cesse contre ses tyrans, sans pouvoir briser ses chaînes, subissant en quelque sorte le supplice de Prométhée. Il y a dans cette persévérance de malheurs une sorte de fatalité capable de faire d'un peuple d'anges un peuple de démons.

On a dit, pour humilier les Corses, que les Romains ne vouloient pas d'eux pour esclaves; c'étoit pour les honorer qu'il falloit le dire ; car quelle est la nation la plus digne d'éloges, de celle qui se soumet lâchement à la servitude, ou de celle qui ronge ses fers plutôt que de les por ter? Jusques sous les chaînes de l'esclavage, les Corses conservoient leur esprit d'indépendance et leur indomptable fierté; ils aimoient mieux se laisser mourir de faim de travailler que pour leurs maîtres. Étoient-ils donc au-dessus

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des esclaves, ces Romains qui subissoient avec tant d'abaissement et d'humiliation la tyrannie des Tibère, des Caligula, des Néron, des Domitien ?

Toute nation opprimée se pervertit promptement. Il en est des Corses comme des Juifs; c'est l'excès du despotisme et de l'injustice qui a corrompu leur cœur ; on finit par renoncer à la vertu quand la vertu devient inutile.

Les antiquités de la Corse sont obscures et incertaines, comme celles de tous les peuples; on n'a sur ses premiers habitans aucune notion exacte. Les premiers étrangers qui viurent s'y montrer, furent des Phocéens. Les Carthaginois les chassèrent, et furent chassés à leur. tour par les Romains.

Les Corses firent de vains efforts pour se délivrer des Romains; ils furent vaincus dans toutes les occasions, et ne retirèrent d'autre fruit de leur révolte, qu'une surcharge d'impôts. On exigeoit d'eux cent mille livres de cire; on leur en demanda deux cent mille. Ils se soulevèrent de nouveau ; on les battit encore, et ils payèrent. Les derniers mouvemens qu'ils firent pour leur liberté, furent réprimés par T. Sempronius Gracchus et P. Cornelius Scipion Na

sica.

La Corse et la Sardaigne ne formoient qu'un

seul gouvernement; Adrien les sépara, et les Corses eurent leur gouverneur particulier. Les Romains avoient établi leurs colonies sur les côtes et dans les lieux les plus fertiles; ils portèrent dans cette île leurs arts, leur commerce et leur magnificence. Elle se couvrit de villes florissantes, bien bâties et bien peuplées; les marais furent desséchés, les terres cultivées; on croit que la seule colonie d'Aleria comptoit soixante mille habitans. Si jamais les Corses connurent quelque bonheur, il est probable que ce fut à cette époque, période heureuse, qui dura jusqu'à l'invasion des barbares.

Alors la Corse se trouva en proie à de nouvelles calamités; ses villes furent détruites, ses campagnes désolées par les Vandales; les Goths, qui survinrent, achevèrent la dévastation, et chassèrent entièrement les Romains. Narsès, général de l'empereur Justinien, y rentra, et remit, pour quelque temps, cette malheureuse contrée sous l'obéissance des empereurs d'Orient; mais les Lombards, autres barbares, y pénétrèrent à leur tour, et la leur enlevèrent.

Quatre ans après, Athime, chef des Sarrasins, se jeta sur Aleria, s'en rendit maître, et se proclama roi de l'île de Corse. Le fanatisme des Arabes, celui des Corses nouvellement' convertis, la haine qu'inspiroit aux deux na

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