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vouloient donc la république; ils auroient voulu la terreur, s'il eût été en leur pouvoir de la perpétuer.

Mais Roberspierre, en mourant, avoit laissé un grand nombre de vengeurs; la Montagne n'étoit point entièrement abattue, et ceux qui l'attaquoient, avoient travaillé avec une telle ardeur à son élévation, qu'il étoit hors de leur pouvoir de faire passer dans l'opinion publique la révolution qu'ils avoient opérée dans le sein de l'assemblée nationale.

Le parti terroriste, qu'on appeloit la queue de Roberspierre (car la révolution avoit tout avili, les sentimens, les pensées et les mots), se composoit des membres de la société des jacobins (dont un grand nombre siégeoit dans la convention), de tous les chefs des comités révolutionnaires, et de cette foule d'obscurs proscripteurs qui, dans chaque province, chaque ville, chaque bourgade, s'étoient faits les agens aveugles de la tyrannie.

Il falloit, pour les combattre avec avantage, leur opposer un parti puissant, nombreux, énergique, et les députés thermidoriens ne voyoient que le parti royaliste. Ils se hâtèrent donc d'ouvrir les maisons d'arrêt, de fermer les clubs, d'abjurer les principes de la Montagne, et d'appeler à leur secours les soixante-treize dé

putés détenus dans les prisons de Paris. Tallien et Fréron se mirent à la tête du mouvement. Le dernier se créa une armée qui portoit son nom; c'étoit une coalition de jeunes gens exaltés par le sentiment de la vengeance, qui poursuivoient partout les dénonciateurs et les assassins de leurs parens. Ils marchoient en chantant le réveil du peuple, brisant les bustes de Marat, dont ils avoient précipité les restes dans un égout, et dissipant partout les attroupemens de jacobins. Ils portoient, pour signe de ralliement, des collets noirs, des cravates vertes, et des cheveux relevés en cadenettes.

L'impulsion, donnée à Paris, s'étoit communiquée rapidement dans les provinces; on ne voyoit partout que cravates vertes et cadenettes. Les terroristes attaqués avec leurs propres armes, et frappés à leur tour d'épouvante, n'osoient plus se montrer, et dans quelques lieux, plusieurs d'entre eux payèrent de leur sang les crimes dont ils s'étoient rendus coupables.

La convention souffroit ces désordres, parce qu'elle en avoit besoin; mais elle ne les voyoit pas sans alarmes; la Vendée étoit loin d'être soumise; une flotte anglaise, chargée d'émigrés, menaçoit la Bretagne, et le gouvernement républicain étoit devenu si odieux, que la France toute entière aspiroit au retour de la

monarchie. Jamais situation n'avoit été plus embarassante; de quelque côté qu'elle se jetât, la convention ne voyoit que des ennemis. Les terroristes la frappoient d'épouvante; les royalistes ne combattoient les terroristes que pour combattre ensuite la convention.

Si dans cette extrémité les hommes d'un caractère sage et vertueux, qui siégeoient dans cette assemblée, eussent été doués de quelque audace, ils pouvoient sauver la France. Il suffisoit d'écouter son vœu et de lui donner le gouvernement qu'elle réclamoit (1). Mais ils trem

(1) A cette époque, M. Delacroix, jurisconsulte fort connu par ses ouvrages sur les constitutions, l'histoire et la jurisprudence, fit une proposition qui effraya singulièrement la représentation nationale; il vouloit que l'on convoquât les assemblées primaires pour les faire délibé¬ rer sur la forme du gouvernement. Elles se seroient décidées librement entre la république et la monarchie. Le gouvernement devoit tenir tout prêt un nombre déterminé de bâtimens de transport. Dans le cas où le peuple auroit adopté la monarchie, l'auteur vouloit qu'on embarquât la convention, et qu'on la transférât à BotanyBay, où elle pourroit, à son gré, établir la liberté et l'égalité. La convention accueillit très-mal l'avis du jurisconsulte, et le fit transférer lui-même à la Conciergerie, où il subit un jugement criminel, dont il eut pourtant le bonheur de se tirer.

bloient sous le sceptre des thermidoriens,comme ils avoient tremblé sous celui de Roberspierre. Une si noble entreprise étoit au-dessus de leurs forces; ils aimèrent mieux recevoir le mouvement que de le donner, et crurent remédier à tous les maux de l'État, en lui proposant une nouvelle constitution. Ce ne devoit point être, comme celle de 1793, un ouvrage informe plus propre à bouleverser les lois qu'à les faire respecter.

On comptoit, parmi ceux qui travailloient à la rédiger, des hommes d'un grand mérite elle s'éloignoit, par ses formes, de la démagogie, et se rapprochoit de la constitution anglaise. La représentation nationale avoit ses deux chambres; la liberté, la vie et la fortune des citoyens étoient garanties; on établissoit un un directoire pourvu de la puissance nécessaire pour maintenir les lois et les faire exécuter. Cet ouvrage étoit loin de répondre encore au vœu national; mais, après une longue tourmente, tous les ordres de l'état aspiroient au repos, et la nouvelle charte fut acceptée unanimement.

Tous les nuages politiques sembloient devoir se dissiper, lorsque la convention, par un décret imprévu, suscita de nouvelles tempêtes. Elle prétendit se perpétuer, et, sous prétexte de veiller elle-même à la conservation de

son ouvrage, elle proposa aux Français de main tenir en fonctions les deux tiers des députés.

Cette prétention parut révoltante; on rejeta le décret dans la majorité des assemblées primaires; on adressa à la convention elle-même les plus vives réclamations; on lui disoit : « Vous aspi>> rez à l'honneur de nous sauver, et vous n'a» vez pu vous sauver vous-mêmes; la repré>sentation nationale a été successivement dé>> cimée par tous les partis qui se sont élevés » dans son sein. Sous son règne, la France, » a été désolée par le fer et le feu, couverte >> d'échafauds, de cendres et de décombres.

>> Que faisoient-ils, il y a un mois, ces >> soixante-treize députés, occupés aujourd'hui » à nous donner des lois; ils gémissoient dans >> les prisons où ils avoient eu l'indigne foiblesse >>> de se laisser conduire. Nous ne voyons parmi >> vous que des proscripteurs ou des proscrits, >> c'est-à-dire des hommes lâches ou coupables. » Et c'est à ces hommes que vous voulez que >> nous confions nos destinées! Laissez à nos » assemblées électorales le soin de choisir nos >> mandataires; nous voulons bien qu'elles » puissent vous élire, mais non pas qu'elles » y soient contraintes ».

Ces raisonnemens circuloient dans toute la

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