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Le chevalier de Maupertuis et le marquis de Beiram étaient en présence.

-Nous passerons plutôt la nuit, disait de Beiram, et j'y perdrai ma dernière pistole, mais je ne te céderai pas, marquis.

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En effet, tu me l'as prouvé l'autre fois en te risquant sur une pauvre échelle de soie. Si tu n'es point mort cette nuit-là, ce n'est pas ma faute.

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Encore tes lubies qui te reprennent. Jouons gros jeu, mort-dieu.

Les deux gentilshommes jouaient depuis deux heures, et de Beiram perdait toujours.

- Pauvre marquis, disait de Maupertuis.

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Jouons, jouons, je ne suis pas ruiné.

Tant pis. Tu serais peut-être alors plus raisonna

Il serait temps.

Et il laissa retomber les dés.

Gagné! fit de Maupertuis, pas de bonheur, ce pauvre de Beiram.

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Morbleu! Il me reste un hôtel à Paris.

-Rue Saint-Dominique.

Je le joue.

Mais il te faut bien un coin pour te loger, marquis.

Bah! bah! j'ai de belles relations de par le monde. - Jouons.

-Ah! fit de Maupertuis, trois, cinq, c'est peu. - Cinq, six, perdu, de Maupertuis.

Je n'aime plus Paris.

ça.

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-Mon hôtel pardieu! puisqu'il ne me reste plus que

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- Cinq, huit. Pardieu, s'exclama de Beiram, voilà la chance qui revient.

-Je joue Maillebois.

Perdu, sacrebleu.

Je joue ma villa, mon hôtel de Beiram, Villarey, Sémancourt.

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Un instant.

- Perdu, perdu, chevalier, je joue Fontenay.

Non, dit le chevalier se levant, je garde Fontenay, prends la femme.

- Morbleu! jura de Beiram, je triomphe donc enfin. Le chevalier de Maupertuis, la tête en feu, le visage bouleversé, sentit qu'il avait besoin d'air, et traversant le vestibule, franchissant le perron, descendit sur le boulevard.

Qu'est-ce que cela? s'écria-t-il.

Une douzaine d'individus cernaient l'hôtel.

Un homme s'avança jusqu'au chevalier de Maupertuis.

Monsieur le chevalier, dit cet homme, si vous n'obéissez pas à l'instant aux ordres que je vais vous dicter, voilà là bas des gens à mine suspecte qui vont piller votre maison, et tuer les indignes valets de l'indigne maître.

Le chevalier de Maupertuis mit l'épée à la main.

Le comte de Montravel, fit-il, avec un ton de re

proche.

Lui-même.

-- Et quels sont vos ordres, monsieur,? fit le chevalier avec ironie.

Vous avez chez vous une femme que vous retenez par la force. Cette femme ne vous est rien que votre victime. Je vous somme de la livrer entre mes mains.

Le chevalier pouvait considérer ce doute émis sur ses droits d'amant comme le plus sanglant outrage.

Le comte s'y attendait, et l'épée au poing ne quittait pas le chevalier des yeux. Mais soudain celui-ci s'effaça. - Allez la prendre, monsieur, fit-il, cette femme en effet ne me regarde plus.

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Je ne vous comprends pas.

Entrez. Vous comprendrez. Les droits que vous suspectez je les ai cédés au marquis de Beiram.

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Le comte fit un signe avec son épée, et les gens qui entouraient l'hôtel se rapprochèrent.

Suivez-moi, leur ordonna-t-il

- C'est un siége en règle, se dit de Maupertuis tellement abasourdi qu'il n'eût pas la présence d'esprit de défendre sa maison, ni de donner des ordres à sa valetaille.

-Ce pauvre de Beiram, fit-il, seulement il n'a vraiment pas de chance.

Le marquis de Beiram présentait alors à un des gardiens de Thérèse un papier signé du nom de Maupertuis, et sans attendre une réponse, voulait, dans sa joie et sa rage, forcer la porte de la chambre de celle-ci.

Le comte de Montravel arriva, et lui présenta la pointe de son épée.

- Un instant, cria le marquis, je ne tiens pas en ce moment à me couper la gorge.

- Je n'ai point de temps à perdre, monsieur.

-Prenez garde, si vous m'y contraignez...

Soudain un cri perçant retentit dans toute la maison, et le comte de Montravel, reconnaissant la voix de Thérèse, abandonna le marquis, et courut du côté d'où avait parti le cri.

C'était à l'étage inférieur, il le descendit rapidement.

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Dans une vaste pièce éclairée par une seule lumière, il aperçut, couchée sur le tapis, pantelante dans son sang, la jeune fille qu'il reconnut pour être celle qu'avait accompagnée au souper le marquis de Beiram. Le visage convulsé, l'œil morne et terne, un poignard planté dans le cœur et les mains glacées, son corps raidi, inspirait toute l'horreur d'un cadavre. A quelques pas, à genoux, était Thérèse, Thérèse qui, fuyant le marquis de Beiram qu'elle avait entendu, s'était échappée par une porte derrière, et était accourue se réfugier dans cette pièce, alors qu'elle reculait saisie d'effroi à la vue de Marthe baignée dans son sang.

Elle s'approcha, l'enfant était déjà froide, elle était

morte.

Un papier était attaché au pommeau de l'arme qui avait consommé le suicide.

Ce papier, Thérèse s'en saisit et le lut:

C'est alors qu'elle avait poussé ce cri aigu qui avait attiré le comte de Montravel, et que, tombant à deux

genoux, la tête renversée et les bras tendus vers le cadavre de Marthe, elle s'était évanouie.

Le comte s'avança vers Thérèse et trouva à ses pieds le papier qui l'avait impressionnée.

Il ne contenait que ces lignes :

« Thérèse pardonne-moi ma mort. J'ai eu le courage » du sacrifice et je n'ai pas eu celui de la honte. J'ai » préféré mourir que de vivre déshonorée.

» Marthe. »

Le marquis de Beiram, poursuivi par les gens du comte de Montravel, franchissait le seuil de la chambre de deuil.

- Lisez, monsieur, lui dit le comte lui tendant le vélin déjà taché de sang.

- Le marquis pâlit.

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Je suis à vos ordres, monsieur, lui dit-il à voix basse.

- Et moi je ne suis pas aux vôtres, monsieur, fit le comte, ce n'est pas par un duel qu'on lave de semblables crimes, c'est par le plus profond mépris.

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Monsieur.

Monsieur le marquis, reprit le comte, on se prépare à la lutte, cette nuit à Paris. Demain la ville sera à feu, à sang et le château de vos rois au pillage.

C'est là qu'il vous faut aller mourir.

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.

Vous avez raison, monsieur le comte, dit de Beiram, remettant son épée au fourreau, et pour la première fois de ma vie, j'accepte une leçon.

Allez donc, monsieur... Laissez passer, cria le comte

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