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pas les progrès des choses; les principes politiques de la Charte resteront, en dépit de ce qu'on pourroit faire pour les détruire; mais on peut troubler l'État en les attaquant; on peut perdre le gouvernement, sans réussir à vaincre le siècle. Il faut le dire, pour nous inspirer une frayeur salutaire, un gouvernement seroit en danger si un ministre pouvoit mépriser demain la loi proclamée aujourd'hui ; si l'ambition n'étoit arrêtée par aucune considération; si l'extrême audace, qui touche à l'extrême foiblesse, heurtoit également dans sa course les hommes et les lois. L'opinion, que l'on auroit comprimée d'abord, s'échapperoit enfin : lorsque le bras de fer du der

nier tyran n'a pu la tenir terrassée, lorsqu'il n'a pu

l'enchaîner dans sa gloire, seroit-ce les foibles mains de quelques agents obscurs qui pourraient la retenir? La police apprendra qu'on ne met point l'opinion au secret.

Je termine ici l'analyse des pièces justificatives. En parcourant et les documents généraux et la correspondance particulière, on voit que toutes les pièces sont uniformes dans leur contenu; qu'elles disent à peu près les mêmes choses, savoir: qu'on a tenté presque partout de violer la liberté des suffrages dans les dernières élections; que les révolutionnaires ont été appelés contre les royalistes au secours de la royauté; que partout, et au même moment, on a tenu contre la famille royale des propos dont il seroit aisé de découvrir la source. La loi des cris séditieux n'a-t-elle été faite que contre les royalistes? Les lâches calomniateurs de

nos princes et de leurs vertus ont-ils le privilége de l'injure, quand les victimes de la fidélité et de l'honneur n'ont pas celui de la plainte ?

On a demandé quel étoit le but de ma proposition, puisque je reconnoissois que les élections étoient valides.

Je ne conçois pas, moi, qu'on ait pu faire une pareille question. Parce que les élections sont valides, s'ensuit-il qu'on n'ait pas voulu les corrompre? En matière criminelle, un homme est-il innocent parce qu'il n'a pas pu consommer le crime qu'il avoit tenté de commettre? Mais s'il y a eu commencement de crime politique, pouvois-je, comme pair de France, devenir accusateur? Non. Aussi n'ai-je pas demandé à la Chambre de porter une accusation contre tels ou tels individus, mais de présenter une humble adresse au roi, pour le supplier de faire examiner ce qui s'était passé aux dernières élections, afin d'en ordonner ensuite selon sa justice. Je n'avois d'autre dessein, en agissant de la sorte, que de fixer l'attention de la Chambre des pairs sur des délits qui attaquent la Charte par ses fondements; que de dénoncer ces délits à l'opinion publique, et d'empêcher ainsi qu'ils se renouvellent à l'avenir. Dans un gouvernement représentatif, il s'agit bien moins de jugements légaux que de jugements prononcés par l'opinion. Toute proposition qui peut arrêter un mal, dût-elle être repoussée, doit être faite : celui qui l'a faite dans cet esprit a atteint son but et rempli son devoir 1.

'Voyez les Pièces justificatives, à la fin des Opin. et Discours.

OPINION

SUR LE PROJET DE LOI

RELATIF AUX JOURNAUX,

PRONONCÉE A LA CHAMBRE DES PAIRS,

DANS LA SÉANCE DU 22 FÉVRIER 1817.

M

ESSIEURS, si l'on veut se former une idée juste du projet de loi maintenant soumis à

votre examen, il ne faut jamais perdre de vue la nature de notre gouvernement. On a signalé les dangers et les abus de la liberté de la presse, considérée par rapport aux papiers publics (dangers et abus que personne ne conteste); mais on ne s'est point enquis si un gouvernement représentatif pouvoit marcher sans cette liberté; si l'asservissement des journaux ne détruisoit pas l'équilibre de la balance constitutionnelle, et si les maux que produit cet asservissement ne sont pas plus grands que ceux qui adviendroient de la liberté des journaux. Cependant, messieurs, la forme du gouvernement ne peut être oubliée dans cette matière. Les raisonnements sur la liberté des journaux seroient-ils les mêmes pour des gazettes qui paraîtroient sous un gouvernement despotique, et pour des gazettes imprimées sous une monarchie constitutionnelle ?

Des journaux libres à Constantinople pourroient renverser la Constitution; des journaux esclaves à Paris pourroient anéantir la Charte. Dans ces deux cas si divers, nous servirons-nous d'arguments semblables pour abolir ou pour conserver la censure!

On se place ensuite sur un terrain où l'on n'est point appelé à combattre : on raisonne comme si nous demandions la liberté illimitée et non pas la liberté légale des journaux; on se récrie contre le mal que nous ont fait les papiers publics, et l'on ne remarque pas qu'ils étoient dans une position différente de celle où nous voudrions les placer.

y a toujours eu en France, depuis la révolution, oppression des journaux; et, ce qu'il y a de remarquable, c'étoit cette oppression qui produisoit leur licence. Nous voulons que la presse soit sous l'empire d'une loi, et non dans la dépendance d'un homme

Cette loi que nous demandons est-elle donc si difficile à faire? Je ne le crois pas. Cautionnement considérable donné par le journaliste; jury spécial pour connoître des délits de la presse, et prononçant sur la question intentionnelle (seul moyen d'atteindre la calomnie); amendes ruineuses pour les auteurs et pour les libraires; peine de prison, peines infamantes pour toute calomnie d'une certaine nature (car quiconque cherche à déshonorer doit être déshonoré); voilà tout le fond de la loi. On pourroit la compléter en empruntant quelque chose de la loi romaine, de Libellis famosis, et en consultant la jurisprudence

angloise. Celle-ci range dans la classe des libelles la louange ironique, l'injure cachée sous des lettres initiales, la caricature, l'allégorie malicieuse et l'imitation bouffonne.

Mais si vous n'avez pas une loi, messieurs, du moins faudroit-il que la censure reposât sur des bases légales. Or, une loi peut-elle être renfermée dans un article aussi vague que celui-ci : Les journaux et écrits périodiques ne pourront parottre qu'avec l'autorisation du roi?

Quel vaste champ cet article ne laisse-t-il pas à l'arbitraire? Aussi comment l'a-t-on interprété ? Voici, messieurs, tout ce qu'il veut dire :

On peut suspendre ou supprimer un journal sans faire juger le journaliste, et l'on viole ainsi l'article LXII de la Charte, qui porte que nul ne pourra être distrait de ses juges naturels. Il y a ici double abus, car le journal est soumis à la censure dans ce cas, il faut convenir que la censure est une illusion, ou que la suppression du journal, après le visa du censeur, est une injustice.

On peut ruiner ainsi arbitrairement des propriétaires, des libraires et des imprimeurs.

On peut arrêter le journal à la poste et l'empêcher de partir, quoiqu'il ait circulé dans Paris; sorte d'abus auquel s'appliquent les dispositions d'une loi faite par nos assemblées législatives, et qui n'a pas été révoquée.

On peut non-seulement par la censure retrancher ce que l'on veut du texte d'un journal, mais on peut encore y ajouter ce que l'on veut.

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