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ployait que cette poudre de dernière qualité à l'infâme commerce des noirs, causa des inquiétudes populaires; elles s'augmentèrent encore, lorsqu'à l'arrestation de ce bateau, on vit que cette poudre avait été livrée, non sur un ordre de Lafayette, mois d'après un billet que M. de la Salle, commandant en second, avait, en son absence, imprudemment signé. Les lecteurs du billet crurent voir, au lieu de poudre de traite, mot dont ils n'avaient aucune idée, poudre de traître, et d'après cette ingénieuse interprétation, une foule enragée courut à l'hôtel de ville pour massacrer le prétendu traître dont néanmoins la conduite, au 14 juillet, méritait un autre sort. La Salle y revenait tranquillement en fiacre, lorsque, s'informant de l'objet de l'émeute du jour, il se hâta de quitter la place de Grève qui, de même que l'hôtel de ville, était pleine d'une multitude très-animée. Lafayette prit le parti de discourir longuement dans la grande salle, pendant qu'un aide de camp avait été chercher quelques bataillons qui firent évacuer la place par une manœuvre dont Bailly donne la description, et qui consistait à aggrandir successivement un petit carré partant de l'hôtel de ville, de manière à pousser doucement hors de la Grève la foule qui l'encombrait. Alors, comme il était fort tard, il annonça à ses auditeurs qu'il allait se coucher, et leur conseilla d'en faire autant, ce qui leur parut, en regardant par la fenêtre, être le parti le plus sage. En s'en allant, ils disaient encore : « Pen

dant qu'il nous amusait avec ses beaux discours, et qu'on faisait semblant de chercher la Salle pour qu'il se justifiât, il y a tout à parier que le traître était caché entre ses jambes, sous le tapis de la table. » Le lendemain il ne fut plus question de l'accusation que pour en reconnaître l'injustice.

Le 4 août, Lafayette était venu réclamer la justice de la commune pour les gardes françaises qui avaient rendu de si importants services. On arrêta pour chacun d'eux une forme de certificat, témoignage de l'estime et de la reconnaissance, de la ville de Paris, signé du maire et du commandant général; on décida que le scellé serait mis sur les caisses du régiment, et que les fonds de masse et les produits de la vente des magasins formés par des retenues sur la solde, seraient partagés entre les soldats patriotes, tant ceux qui entreraient dans la garde nationale, que ceux qui désireraient se retirer; on augmenta aussi l'ancienne solde de ces militaires, qui depuis le 14 juillet avaient été dispersés dans les districts, dont un, dit Bailly, celui de Saint-Eustache, avait contracté pour eux une dette de quatorze mille livres de vin et de cervelas.

Ces attentions pour eux, des glaces au PalaisRoyal, et autres amitiés de ce genre, furent les seuls moyens d'influence employés par les promoteurs du mouvement du 14 juillet. L'argent n'y fut pour rien. On a voulu aussi supposer des causes dans quelques mécontentements de discipline intérieure. Il semblerait que les hommes ne recon

naissent qu'à regret la puissance d'un sentiment généreux.

On décerna en même temps aux gardes françaises une médaille d'honneur qui fut constamment portée par le maire et par le commandant général. C'est celui-ci et non M. de Vauvilliers, comme l'a dit Bailly, par erreur, qui, à une séance de l'hôtelde ville où le maire n'assistait pas, fit adopter pour devise ce vers de Lucain :

Ignorantne datos ne quisquam serviat enses *?

(Pharsale, liv. Iv.)

Bailly et Lafayette, retenus à Paris, ne prirent part à la belle séance du 4 août, que par leurs vœux et leur assentiment; mais en applaudissant à la destruction des priviléges, ils cherchaient à détruire aussi les préjugés; et, par exemple, il fallait quelques allocutions pour persuader à certains gardes nationaux de recevoir comme officiers les acteurs de divers théâtres, et un frère de deux jeunes gens qui venaient de périr sur l'échafaud.

Le respectable philanthrope Clarkson fut luimême agréablement surpris, comme on le voit dans son ouvrage sur la traite des noirs, de trouver en 1790, à la table du général, deux hommes de

Ce fut aussi Lafayette qui, en instituant les gardes nationales, fit placer sur le pommeau des épées le premier bonnet de liberté qu'on ait vu en France. (Note du général Lafayette.)

couleur en uniforme d'officiers de la garde nationale de Saint-Domingue.

Un jour, à l'audience publique de Lafayette, un solliciteur se prévalait de ses titres de noblesse. « Monsieur, cela n'est pas un obstacle, » lui répondit-il.

On a voulu depuis distinguer l'ancienne noblesse par des persécutions comme elle avait été distinguée par des priviléges. C'est précisément ce qui a maintenu son existence morale en attendant sa restauration.

Les mémoires et journaux du temps rendent compte d'une partie des mouvements quotidiens et des motions désorganisatrices dont les principaux foyers étaient au Palais-Royal et dans les faubourgs, et qui, nuit et jour, exigeaient l'intervention et les harangues du commandant général. La confiance dans ce moyen d'ordre public était telle, qu'il lui eût été impossible de sortir de Paris sans exciter l'alarme des personnes de toutes les opinions.

Les Mémoires de Bailly témoignent quelles furent les précautions et les craintes, partagées par lui-même, qu'occasionna l'obligation d'aller à Versailles, avec la municipalité et un superbe détachement de la garde nationale, pour porter, le 25 août, jour de Saint-Louis, leurs respects au roi et à la famille royale. C'était au pouvoir civil à faire les honneurs de la journée, et l'excellent maire Bailly, au milieu de ses petits mécontentements de la commune de Paris, répète souvent que Lafayette

n'a jamais cessé de rendre hommage aux principes qu'il a toujours, dit-il, très-bien connus. C'est ainsi que, restant étranger aux tracasseries, et cherchant au contraire à les concilier, il n'a pas cessé un instant de jouir de l'affection et de la confiance de la commune et de son vertueux chef. Il ne parla donc à Versailles que pour refuser, une fois de plus, un commandement, offert par acclamation, de la garde nationale de cette ville. Mais le détachement parisien ayant demandé à présenter un bouquet au roi, il le conduisit au-dessous du balcon où le roi parut, et telle était encore l'inquiétude de la cour qu'en voyant ce corps s'avancer, quoique sans armes, beaucoup de gens crurent qu'il s'agissait d'un coup d'État populaire.

Bailly se plaint avec raison de ce qu'au commencement de septembre, l'assemblée de l'hôtel de ville vota pour le commandant-général un traitement de cent vingt mille livres par an, et un premier dédommagement de cent mille livres, tandis que le lendemain elle se crut incompétente pour voter les appointements du maire, et lui décerna cinquante mille livres d'indemnité. Il ajoute que le refus de Lafayette fut prononcé verbalement, avant d'être consigné par écrit.

Nous allons le donner ici :

« MESSIEURS,

>> Permettez-moi de vous offrir ma respectueuse reconnaissance pour la députation que vous avez daigné 4 MÉM. DE LAFAYETTE.

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