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impossible de citer un exemple du contraire. On a dû remarquer aussi, que de toutes les époques de la révolution, le mois d'octobre 1791, est peut-être la seule où le roi et le conseil aient pris, vis-à-vis de l'assemblée, un ton et une attitude un peu convenables.

La démission de M. de Montmorin ayant été acceptée, le comte de Ségur qui avoit consenti à lui succéder, et qui même avoit déjà fait ses remercîmens au roi, devoit être installé au conseil du dimanche suivant ; mais une circonstance imprévue le fit changer d'avis; et rejeta le roi dans de nouveaux embarras. Il se trouva par hasard le samedi à l'assemblée nationale, pendant que M. Duportail étoit indécemment. aux prises avec quelques déclamateurs de l'assemblée, qui, voyant que son humeur et son impatience l'avoient mis hors de toute mesure, l'attaquoient à-la-fois de tous les coins de la salle, les propos les plus grossiers. Cette scène révoltante que M. Duportail dut à sa vivacité, dégoûta si fort le comte de Ségur du rôle de ministre, qu'il adressa le lendemain sa demission au roi, ou plutôt son refus d'entrer dans le ministère, fondé sur ce qu'il ne se sentoit, ni le courage, ni la modération nécessaires pour s'exposer à des assauts du genre de celui que M. Duportail avoit eu à soutenir.

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Le mauvais succès de ces deux nominations ne pouvant que discréditer le conseil, et augmenter l'embarras déjà trop grand de trouver de nouveaux ministres, je fis de nouvelles représentations à M. de Montmorin pour l'engager à retirer sa démission; je ne lui dissimulai même pas que le roi m'avoit paru le desirer beaucoup; mais je ne pus l'y déterminer, et il proposa lui-même à sa majesté de nommer à sa place M. Barthélemi, qui étoit alors ministre plénipotentiaire en Angleterre, et à qui on envoya sur-le-champ un courrier extraordinaire pour lui annoncer sa nomination. Le porte-feuille des affaires étrangères fut remis, par intérim, à M. de Lessart. M. de Montmorin seroit resté, si le roi qui mettoit de la fierté ou de la dignité à ne demander à qui que ce soit, les choses même qui lui étoient le plus agréables, avoit voulu lui en témoigner le moindre desir; mais sa majesté ne put jamais se résoudre à lui en dire un mot.

Ce ministre qui s'étoit flatté, en quittant le ministère, de conserver son entrée au conseil, vit bientôt cette espérancé s'évanouir. Le roi ayant consulté MM. Duport - Dutertre et de Lessart sur cet arrangement, ils lui représentèrent avec force que ce seroit une contravention formelle à la constitution; que l'assemblée ne

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manqueroit pas de jeter de nouveaux cris; que d'ailleurs les ministres des différens départemensétant seuls responsables, devoient seuls participer aux délibérations du conseil, et qu'aucun d'eux ne pouvoit consentir à y rester avec des ministres sans responsabilité. Le roi frappé de la force de ces objections qu'il n'avoit pas prévues, abandonna son plan relativement à M. de Montmorin, qui se trouva ainsi sans place et sans ressources, parce que ses affaires étoient si dérangéés, que ses dettes absorboient et au-delà la totalité de ses revenus.

J'instruisis le roi de sa situation, et sa majesté lui accorda un secours provisoire de 50,000 liv. par an, sur les fonds des dépenses secrètes du département des affaires étrangères.

La révolte des nègres à St.-Domingue, exigeant l'envoi le plus prompt de secours considérables, j'adressai à l'assemblée, en mon nom et sous ma responsabilité, la demande des fonds nécessaires pour pourvoir à cette dépense. L'assemblée rejeta ma demande sur le fondement qu'elle étoit présentée dans une forme inconstitutionnelle, et qu'elle devoit être faite par roi lui-même.

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La prétention de l'assemblée étant évidem→ ment contraire à la constitution, m'offroit une belle occasion d'engager une grande querelle,

dans laquelle l'avantage ne pouvoit être que de mon côté ; mais comme elle exigeoit un travail très-approfondi sur les dispositions les plus importantes de la constitution, et que cette discussion auroit considérablement retardé les secours qu'il étoit si pressant d'envoyer à StDomingue, je crus devoir ajourner cette contestation, en me réservant de saisir la première occasion qui se présenteroit pour la faire revivre. En attendant, je proposai au roi d'écrire à l'assemblée « que la forme dans » laquelle j'avois présenté la demande des » fonds nécessaires pour envoyer des secours à » St.-Domingue, n'avoit rien de contraire à la » constitution, et que sa majesté espéroit que » l'assemblée s'occuperoit sans délai d'un objet » aussi important. »

Le roi consentit à écrire cette lettre, et l'assemblée en triompha; elle la regarda comme une demande formelle faite par le roi, des fonds irrégulièrement demandés par le ministre, et par conséquent comme un aquiescement au décret qu'elle avoit rendu. Cela ne m'empêcha pas de présenter le lendemain (15 novembre) dans la même forme, une demande de la même nature, relativement à un armement extraordinaire ordonné à Toulon. L'assemblée n'hésita pas à rejeter cette seconde demande comme la

première, et à la déclarer inconstitutionnelle. Quelques députés remarquèrent même avec indignation combien il étoit étonnant qu'après la lecon que j'avois reçue, je fusse sitôt retombé dans la même faute. On me blâmoit généralement : mes collègues me reprochoient d'avoir compromis aussi légèrement le ministère; et, comme la constitution n'étoit core bien connue, personne ne doutoit que le décret de l'assemblée n'y fût conforme, et que ma retraite ne fût la suite inévitable de mon étourderie; car c'est ainsi qu'on qualifioit ma démarche.

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La lettre que le roi adressa à l'assemblée à cette occasion, fit bientôt tomber tous ces propos; elle contenoit le rapprochement le plus exact et le plus frappant de tous les articles de la constitution qui avoient déterminé les cas dans lesquels le roi devoit avoir des relations immédiates avec le corps législatif. Le résultat évident de ces différens articles étoit que le décret de l'assemblée étoit absolument inconstitutionnel, et que ma conduite étoit parfaitement régulière (1).

Cette lettre, écrite sur un ton que le conseil n'avoit pas osé faire prendre au roi depuis plus

(1) Pièces justificatives, no. VI.

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