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le même jour les comités de la marine et des colonies réunis lui firent un rapport, dont les conclusions tendoient à prier le roi de donner les ordres qu'il avoit déjà donnés. Le coryphée à gages de la faction des amis des noirs, le fameux Brissot, blâma impudemment la précipitation de ces mesures, et en chargea ma responsabilité. Il ne se contenta pas de soutenir que les nouvelles qu'on débitoit sur St.-Domingue étoient fausses, parce qu'elles étoient invraisemblables, il voulut faire entendre que leur prétendue fabrication étoit une manoeuvre de l'aristocratie. « Je dois à ma patrie, dit-il, » quelques observations sur des rapproche» mens singuliers. Par quelle fatalité la nou» velle de cette catastrophe arrive-t-elle pré» cisément au moment où les émigrations » redoublent avec tant d'acharnement; au » moment où les rebelles nous annoncent avec » une confiance inexplicable une prochaine » explosion; au moment où une députation » des colons, se créant ridiculement des pou» voirs, semble insinuer au pouvoir exécutif, » dans un hommage plus qu'extraordinaire, »le desir de soustraire insensiblement les » colonies à la suprématie législative? Ne >> seroit-ce pas ici une ramification d'un grand » plan qui échouera comme tous les au

» tres (1)?» L'assemblée ordonna l'impression de ce discours, et se contenta de passer à l'ordre du jour sur le rapport de ses comités ainsi que sur ma lettre. Parmi celles qui étoient arrivées de St.-Domingue, il y en avoit qui fesoient mention de chansons que chantoient les nègres, jeunes et vieux, sur la révolution et sur la liberté ; le refrain des chansons des jeunes étoit: Vivent Lafayette et Grégoire (2)! et celui des vieux : Vivent Raynal et la victoire!

Je ne rappellerai aucune des épigrammes auxquelles ces misérables fournirent matière, en accolant ainsi M. de Lafayette et l'abbé Grégoire, l'abbé Raynal et la victoire. J'observerai seulement que l'abbé Raynal est mort

(1) Condorcet qui, comme Brissot, étoit membre de la société des amis des noirs, et journaliste, appuya le lendemain cette conjecture sur le ton le plus affirmatif dans la Chronique de Paris. Il soutint que les lettres envoyées d'Angleterre, relativement aux désastres de St.-Domingue, n'étoient autre chose que des combinaisons aristocratiques et contre-révolutionnaires, qui annonçoient évidemment le projet de former au roi un empire d'outre-mer, où il y auroit des maîtres et des esclaves.

(2) L'abbé Grégoire, membre de la première assemblée et de la société des amis des noirs.

après avoir solemnellement dénoncé et combattu dans le sein de l'assemblée, les erreurs: dans lesquelles elle avoit été entraînée par une fausse interprétation des principes qu'il avoit publiés sur la liberté.

par

La nouvelle des désastres de St.-Domingue fut confirmée peu de jours après par la copie d'une lettre du gouverneur de la Jamaïque, qui me fut transmise l'ambassadeur d'Anglegleterre, et que j'adressai à l'assemblée. Il en résultoit que les nègres en insurrection, avoient brûlé et dévasté toutes les habitations jusqu'à cinquante milles du cap, que la colonie manquoit d'armes, de munitions et de vivres. M. de Blanchelande, gouverneur de St.-Domingue, et l'assemblée coloniale, s'étoient adressés au gouverneur de la Jamaïque (M. Effingham), qui leur avoit envoyé sur-le-champ cinq cents fusils, quinze cents livres de balles, et leur avoit accordé la permission d'acheter des vi→ vres à la Jamaïque.

La lecture de cette lettre donna lieu aux débats les plus ridicules sur la forme dans laquelle l'assemblée devoit reconnoître un service aussi généreux. Les uns vouloient qu'on se bornât à voter des remercimens à M. Effin gham, et à charger le président de lui écrire une lettre de satisfaction, au nom de l'assem

HISTOIRE

Nov. 1791 blée. « Non, non, leur répondoit-on; ce n'est » pas au gouverneur, c'est au gouvernement » qui a approuvé sa conduite, que nous devons » des remercîmens. Eh bien répliquoient » les premiers, il n'y a qu'à remercier l'un et » l'autre. » D'autres ne trouvant pas assez de dignité dans ces différens avis, prétendoient que ce n'étoit ni au gouverneur, ni au gouverment, mais à la nation anglaise que les remercîmens de l'assemblée devoient être adressés. «Eh messieurs! s'écria alors un des députés » les plus raisonnables, vous délibérez plus »long-tems pour remercier, qu'on n'a délibéré » pour rendre service. » Sur cette observation, le président mit aux voix la proposition de voter des remercîmens à la nation anglaise, et particulièrement à M. Effingham, et le décret fut rendu dans ces mêmes termes.

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Les dépêches du gouverneur de St.-Domingue ne me parvinrent que le 7 novembre, par la voie d'Angleterre; elles contenoient les détails les plus circonstanciés sur la révolte des nègres et sur ses horribles résultats. Je m'empressai d'adresser à l'assemblée une copie de ces dépêches, et j'y joignis l'état de la dépense présumée que nécessitoit l'envoi de six mille hommes de troupes à St.-Domingue, ainsi que celui des munitions demandées par

M. de Blanchelande. A peine eut-on entendu la lecture de ces pièces, que plusieurs orateurs demandèrent la parole; mais elle ne fut accordée à aucun; et cette affaire, la plus grave, la plus urgente et la plus simple dont l'assemblée pût s'occuper, fut renvoyée, sans la moindre discussion, à l'examen approfondi des comités de la marine et des colonies réunis.

On donna pour motif de ce renvoi, l'impertinent prétexte qu'on cherchoit tous les jours de nouvelles difficultés pour retarder la discussion sur l'émigration. Finissons les émigrans, crioit à tue-tête le déclamateur le plus formidable de cette assemblée ( Lacroix ). Cette discussion fut donc reprise sur-le-champ, et terminée dans la même séance par le décret suivant, dont la rédaction définitive fut arrêtée le lendemain 9 novembre:

Décret contre les émigrés.

« ART. Ier. Les Français rassemblés au-delà » des frontières du royaume, sont dès ce mo→ » ment déclarés suspects de conjuration contre » la France.

» II. Si au premier janvier prochain, ils » sont encore en état de rassemblement, ils > seront déclarés coupables de conjuration,

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