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titution mettoit en mon pouvoir; mais que c'étoit principalement à l'assemblée à y pourvoir en accélérant la rédaction et la publication des lois qui restoient à faire concernant la nouvelle organisation de la marine, et le service des ports et arsenaux. Je joignis à mon rapport un état indicatif de ces différentes lois et de celles qui étoient les plus urgentes. En parlant de l'insubordination des matelots et des ouvriers des ports, j'eus l'attention de n'en accuser que l'exagération de leur patriotisme; j'eusse été hué et dépopularisé sans ressource et sans utilité, si j'eusse tenu un autre langage. L'anéantissement de tout moyen de puissance hors de la constitution, le serment du roi et les nôtres, nous réduisoient à la nécessité de chercher dans les dispositions de cette nouvelle loi, le remède à tous les excès révolutionnaires. Il falloit donc s'attacher essentiellement à la faire exécuter. J'annonçai que tel étoit mon plan, et qu'aucune considération ne m'en feroit départir (1). Cette assurance ne fut pas moins applaudie par l'assemblée que par les tribunes.

(1) Le zèle avec lequel je le suivis me fit regarder comme un ardent constitutionnel par les royalistes et par les jacobins.

M. de Montmorin prit la parole après moi et rendit compte des dispositions actuelles des puissances étrangères à l'égard de la France, et de leurs réponses à la notification que le roi leur avoit faite de son acceptation de la nouvelle constitution.

Ce rapport, qui fut le dernier acte du ministère de M. de Montmorin, est une pièce trop intéressante pour n'être pas recueillie par l'histoire (1).

Les promesses flatteuses, si souvent réitérées par les auteurs de la constitution, étoient bien loin de se réaliser. Combien de fois n'a

voient-ils pas répété à la tribune, dans leurs décrets, que la révolution n'étoit qu'un passage rapide et nécessaire pour arriver à la liberté, qui en seroit le prix, que c'étoit l'acquérir à bon marché ! « Laissez-nous finir la » constitution, disoient-ils, et nul empire ne » sera plus tranquille, plus heureux, plus » florissant; le pouvoir exécutif sera plus puis» sant que jamais; le roi sera le plus grand » roi de l'Univers; il ne régnera pas par la » force, mais par l'amour, etc., etc., etc. » Le tableau de la France, à la fin du mois

(1) Pièces justificatives, no. V.

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HISTOIRE

(Nov. 1791

d'octobre 1791, c'est-à-dire, deux mois après l'achèvement de la constitution, donnoit le démenti le plus complet à ces orateurs dé'hontés, et constatoit irrévocablement la perfidie, ou la folle présomption des uns, et la stupidité des autres; la puissance chimérique déléguée au roi, étoit enchaînée par tant d'entraves, qu'elle étoit aussi nulle pour empêcher le mal que pour faire le bien. Son bonheur... Hélas! il n'en existoit plus pour lui: on conservoit encore quelques foibles égards pour sa personne; mais son coeur étoit déchiré, nonseulement par les persécutions violentes exercées à-la-fois contre les nobles, contre les prêtres restés fidèles, contre les serviteurs les plus zélés de sa majesté, contre les ministres, etc., mais encore par la continuation de tous lest attentats révolutionnaires, et de l'anarchie universelle. Avignon expiant dans des flots de sang, pendant trois jours consécutifs (1), le crime de cette réunion fatale à l'empire français, préparée par l'incendie de six cents maisons, le pillage des villes et des bourgs, le massacre de plusieurs centaines d'hommes désarmés, et la désertion de tous les proprié

(1) Les 16, 17 et 18 octobre 1792.

taires qui avoient pu échapper aux assassins; à Rochefort, les ouvriers du port en révolte ouverte, et forçant la municipalité de retirer le drapeau rouge; à Lille, la garnison entière pouvant à peine contenir le peuple mutiné à l'occasion du papier-monnoie, appelé billets de confiance, qu'on donnoit en échange de l'argent et des assignats; dans presque toutes les provinces, des attroupemens populaires, souvent appuyés par la garde nationale appelée pour les réprimer; la circulation du numéraire et des subsistances interrompue en cent lieux différens; les impôts par-tout repoussés; les corps administratifs haïs ou méprisés et tous impuissans; les tribunaux sans activité et sans considération; les prisons ne pouvant plus suffire à la quantité de délinquans; Paris sans nulle police, infesté de mendians, de voleurs et de tous les scélérats repris de justice, auxquels la révolution avoit rendu la liberté. Tels étoient, sans aucune exagération, les premiers fruits de cette constitution nouvelle, qui devoit rendre la France si heureuse et si florissante.

Pour comble de malheur, on apprit, à cette même époque, que la colonie de St.-Domingue, agitée depuis long-temps par les manoeuvres révolutionnaires des amis des noirs, étoit me

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HISTOIRE

(Nov. 179

nacée d'une entière destruction; que cinquante mille noirs ou mulâtres révoltés avoient incendié deux cent dix-huit plantations à sucre; que quatre cents blancs avoient péri dans une action contre les rebelles retranchés à six milles du Cap dans un camp fortifié, et ayant non-seulement des fusils, mais des canons, qu'on disoit leur avoir été fournis par les Hollandais , par les Espagnols. Je n'avois point encore reçu officiellement la nouvelle de ces désastres, elles étoient parvenues par la voie de l'Angleterre à des négocians du Havre, qui les communiquèrent à la municipalité; elle en adressa des copies à l'assemblée ainsi qu'à moi. Je m'empressai de les mettre sous les yeux du roi, qui ne balança pas à m'ordonner de porter sur-le-champ à deux mille trois cents hommes le nombre des troupes à embarquer pour St.-Domingue, d'accélérer leur départ autant qu'il seroit possible, et de faire les dispositions nécessaires pour l'envoi de secours beaucoup plus considérables, si les lettres officielles, attendues à chaque instant, justifioient les alarmes excitées par les lettres particulières dont la municipalité du Havre avoit envoyé des copies.

Je rendis compte de ces mesures à l'assemblée, par une lettre adressée au président, et

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