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« Vous appellerez vainement, disoient-ils, » le ministre devant vous ; il aura le temps de » préparer ses réponses; il vous présentera de » belles phrases, de beaux prétextes : on se » croira obligé de l'en croire, et on l'applau» dira..... Il est démontré qu'il n'a pas fait son » devoir; il faut le punir d'une manière très> rigoureuse. » Cependant, après une longue discussion, il fut décrété que M. Duportail se rendroit le lendemain à l'assemblée pour y faire un rapport sur l'état des frontières, sur celui des gardes nationaux, de leur armement, sur leur équipement, etc., etc...; et qu'avant l'heure fixée pour l'entrée du ministre, le comité feroit pareillement un rapport sur les plaintes énoncées ou à énoncer contre lui, sur la série des questions qu'il conviendroit de lui faire, et qui lui seroient faites par président.

et

Les ministres, craignant que l'humeur extrême que cette indécente tracasserie avoit donnée à M. Duportail, ne nuisît à sa justification, l'accompagnèrent tous à l'assemblée, non-seulement pour donner plus de poids et de solemnité à sa défense, en paroissant en quelque sorte faire cause commune avec lui, mais encore pour convaincre les anti-ministériels que leurs agressions partielles, loin d'altérer l'union

qui régnoit entre nous, et dans laquelle consistoit toute la force des ministres, ne feroient que la consolider.

Aussitôt que nous eûmes pris nos places dans l'assemblée, plusieurs voix s'élevèrent pour avertir le président qu'il falloit, avant tout, que le ministre de la guerre fit le rapport qui lui avoit été demandé par le décret de la veille. M. Duportail observa qu'ayant fait ce rapport quinze jours auparavant, il n'avoit rien à y ajouter ; que ce rapport étoit conforme aux comptes qui lui avoient été rendus sur la situation du royaume, et dont il offroit de lire l'extrait qu'il en avoit fait. Cette lecture auroit prouvé trop évidemment l'injustice des reproches faits à M. Duportail; l'assemblée ne voulut pas qu'elle fût faite, et décida que le ministre seroit entendu sur les différentes questions proposées par le comité militaire.

Le ton magistral et la forme que le président donna à ces questions, étant plus appropriés aux interrogatoires que les tribunaux criminels font subir aux accusés, qu'aux éclaircissemens que la constitution autorisoit l'assemblée à demander aux ministres, nous en fimes l'observation assez hautement pour être entendus d'un grand nombre de députés; le ministre de la justice demanda même la parole pour réclamer

contre cette indécence; mais l'assemblée la lui refusa, quoique la constitution ne lui en donnât pas le droit. Néanmoins le président prit en considération notre mécontentement, et donna une tournure plus décente à ses interrogations. Après avoir répondu à toutes de la manière la plus victorieuse, M. Duportail, oubliant la dignité de son caractère, se livra malheureusement à un mouvement d'humeur qui le mit hors de toute mesure, « J'ai vu, » dit-il, dans les papiers publics, que quelques » membres de l'assemblée ont avancé que » me présenterois avec des réponses préparées; » eh bien! non, je ne suis point préparé. Dans » ce moment-ci, c'est moi qui provoque tous » ceux d'entre vous qui auront encore quelque » question à me faire, je les prie de me les » proposer, je suis prêt à répondre à toutes. » Je demande en grâce que ceux qui ont des » doutes véritables, ou qui feignent d'en » avoir, veuillent bien m'accuser; s'ils s'y » refusent, si demain, si après-demain, si les » jours suivans, ils m'accusent encore d'avoir » préparé des réponses, ils me permettront de >> croire que c'est plutôt la malveillance qui » les excite, que le vrai patriotisme. » Cette apostrophe fut repoussée par un murmure général; il fut observé, par plusieurs membres

de l'assemblée, que ce n'étoit que par l'organe de son président qu'elle avoit le droit d'interpeller les ministres, que par conséquent le défi donné par M. Duportail étoit aussi inconstitutionnel qu'injurieux à ceux à qui il prétendoit l'adresser. Cette observation, à laquelle il n'y avoit aucune réplique, fut considérée, avec raison, comme une réprimande méritée, et fit perdre sur-le-champ, à M. Duportail, l'avantage qu'il venoit d'obtenir sur ses dé

tracteurs.

Nous nous rendîmes encore à l'assemblée, M. de Montmorin et moi, le 31 octobre, pour y présenter le tableau de nos départemens respectifs, conformément au décret qui l'avoit ordonné. Au moment où nous entrâmes dans la salle, la tribune étoit occupée par un député de Provence, nommé Isnard, l'un des plus violens énergumènes du côté gauche. On peut en juger par la première phrase qui frappa mon oreille à notre entrée dans la salle. « Il· » est temps, dit-il, que le grand niveau d'égalité » que l'on a placé sur la France libre, prenne » enfin son à-plomb. C'est la longue impunité » des grands criminels, qui a pu rendre le » peuple bourreau; oui, la colère du peuple, » comme celle de Dieu, n'est trop souvent » que le supplément terrible du silence des

»lois. »Je demandai et j'obtins la parole aussitôt que l'orateur eut quitté la tribune. Je présentai le tableau le plus satisfesant de nos forces navales, dont l'état, en y comprenant neuf vaisseaux et huit frégates qui étoient en construction, offroit en total quatre-vingt-six vaisseaux de ligne, dont trois de 118 canons, cinq de 110, dix de 80,67 et 74, et un de 64; soixante-dix-huit frégates, dont vingt de 36 canons portant du calibre de 18, et cinquante-huit de 32 canons portant du calibre de 12; quarante-sept corvettes ou avisos; sept chaloupes canonnières, et vingthuit flûtes ou gabares; leurs agrès, leur armement, leur artillerie étoient complets au-delà de ce qui eût été nécessaire pour une première année de guerre; les magasins suffisamment fournis des principales munitions navales, les approvisionnemens de vivres aussi considérables qu'ils pouvoient l'être en temps de paix. Mais j'observai en même-temps que quelqu'importante que fût cette force navale, elle seroit absolument nulle pour le service de l'état, si on ne parvenoit pas à réprimer le désordre et l'indiscipline qui s'étoient introduits dans tous les ports et sur tous les vaisseaux. J'ajoutai que j'y emploierai, avec autant de constance que de fermeté, tous les moyens que la cons

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