Page images
PDF
EPUB

ministres. Ce misérable, dont le patriotisme révolutionnaire s'est signalé par des brigandages et par des assassinats sous le régime de Robespierre, étoit, aux États de Bretagne, le plus obséquieux de tous ses collègues vis-à-vis des commissaires du roi; je l'y avois vu en 1784 et en 1786, et j'avois deux fois récompensé sa bonne volonté et assisté sa pénurie par une gratification de 500 liv. Quelle fut ma surprise, lorsque j'entendis ce même homme, arrivé depuis deux jours du fond du Morbihan, et connoissant à peine le nom des ministres, dire effrontément : « Je voudrois qu'il » cessât d'exister dans le monde deux manières » d'être honnête et de dire la vérité; je voudrois » que les ministres s'expliquassent toujours avec » franchise, précision et loyauté, et qu'un mi»nistre pût être honnête homme et franc, de la » même manière que l'est un simple citoyen. Au » reste, il est venu cet heureux temps où l'on » peut, où l'on doit habituer les ministres à » savoir ce qu'ils sont, et les peuples à s'estimer » ce qu'ils valent. » L'assemblée applaudit vivement à toutes ces impertinences, et redoubla d'interpellations et de murmures contre les ministres. On vouloit que M. de Montmorin fit connoître les intentions et les dispositions de toutes les puissances étrangères, que M. Duportail expliquât pourquoi les gardes nationales qui se rendoient aux frontières n'avoient pas toutes reçu

-leurs armes ? pourquoi la gendarmerie nationale n'étoit pas encore organisée ? « Rendez vos » comptes, répétoient sans cesse quelques brail»lards; donnez au moins des éclaircissemens » par apperçu. J'avoue, dit avec beaucoup » de sang froid, M. Duport-Dutertre, que je ne » sais que répondre à la demande d'éclaircis> semens par apperçu, parce que je ne l'entends » pas; quant à la demande d'un compte général, » j'ai déjà représenté que nous avions besoin » d'environ trois semaines pour le rédiger.» Enfin, après plus d'un quart-d'heure de débats si bruyans que la sonnette du président pouvoit à peine se faire entendre, il fut décrété que nous rendrions, tous, un compte général le premier novembre. Le président voulut alors lever la séance, on lui en contesta le droit, on le rappela à l'ordre, et le tumulte recommença. Le président n'osa pas se couvrir, parce que la veille, en pareil cas, on lui avoit crié : A bas le chapeau..... Etes-vous sourd, M. le président? Nous sortîmes dans ce moment; notre retraite détermina celle du plus grand nombre, et tira ainsi le président d'un grand embarras.

Il étoit aisé de juger au ton de cette assemblée, qu'elle étoit composée, en grande partie, des plus violens révolutionnaires du royaume, Tel devoit nécessairement être le résultat de la disposition des esprits, à l'époque des élections, et sur-tout

de la forme dans laquelle il y fut procédé. On calcula avec assez d'exactitude que la réunion des revenus de la totalité des députés ne montoit pas à 500,000 livres. La classe de tous les proprié taires du royaume aussi misérablement représentée devoit bien s'attendre que ses intérêts seroient toujours sacrifiés. La monarchie couroit de bien plus grands dangers; il n'y avoit pas en effet un seul royaliste pur dans cette assemblée; on n'y voyoit que des constitutionnels et des républicains, et on appercevoit déjà entre ces deux partis la même aigreur, le même acharnement qui avoient divisé le côté droit et le côté gauche, dans la première assemblée. Dans la seconde, les constitutionnels avoient changé de côté sans changer de principes, et c'étoit dans cette faction coupable, qui avoit anéanti la puissance royale, que le roi étoit réduit à chercher des appuis à la royauté constitutionnelle, contre les entreprises du parti républicain et contre l'audace d'une assemblée populaire législative investie de pouvoirs absolus, délibérant en commun, et ne reconnoissant de puissance au-dessus d'elle que celle du peuple en insurrection.

Cette circonstance offroit néanmoins une chance favorable dont il étoit possible de tirer un grand parti. L'insolence des nouveaux députés, le désordre et l'indécence grossière de leurs premières séances, avoient révolté les citoyens de

toutes les classes; il ne s'agissoit que d'entretenir adroitement le discrédit, et pour cet effet d'épier avec soin toutes les infractions de la constitution, dans lesquelles l'ignorance et l'impéritie de l'assemblée ne pouvoient pas manquer de l'entraîner, de faire relever les plus légères par quelques journalistes affidés, et de s'opposer avec éclat aux plus graves, par des réclamations éner giques, ou par des messages. Il falloit en mêmetemps employer tous les moyens possibles d'augmenter la popularité du roi. Le plus efficace et le plus utile de tous, dans ce moment, étoit de rappeler les émigrés. Leur retour généralement desiré auroit fait revivre en France le parti royaliste que l'émigration avoit entièrement désorganisé. Ce parti fortifié par le discrédit de l'assemblée et recruté par les nombreux déserteurs du parti constitutionnel et par tous les mécontens, seroit bientôt devenu assez puissant pour rendre décisive en faveur du roi l'explosion plus ou moins prochaine à laquelle il falloit s'attendre.

les

M. de Montmorin, à qui je fis part de ces idées,

approuva entièrement, et m'y confirma d'autant plus qu'il me montra dans sa correspondance secrète avec les cours étrangères les preuves les plus positives que, depuis l'acceptation de la constitution, les principales puissances de l'Europe avoient abandonné tout projet de s'armer contre la France, et que les émigrés dont on entretenoit

encore les espérances vagues ou conditionnelles, ne recevroient aucun secours qui les mît en état de rien entreprendre. Nous nous arrêtâmes donc à ce plan. Comme son exécution se réduisoit, pour le moment, à une proclamation adressée aux émigrés et à une lettre du roi aux officiers, et que les autres ministres nous avoient déjà paru nonseulement convaincus de la nécessité de ces démarches; mais décidés à les proposer eux-mêmes, nous pensâmes qu'il étoit inutile et qu'il seroit peut-être imprudent de nous expliquer plus ouvertement avec eux. Nous convînmes même de laisser ignorer au roi nos conjectures et nos espérances; sa fidélité scrupuleuse pour le serment qu'il avoit prêté à la constitution, auroit pu s'en alarmer. M. de Lessart lut au conseil un projet de proclamation adressée aux émigrés; il fut adopté sauf quelques légères corrections, et le roi chargea M. Duportail et moi de rédiger dans le même sens deux lettres que sa majesté se proposoit d'adresser aux officiers de l'armée et à ceux de la marine. M. de Lessart représenta que pour anéantir définitivement tous les doutes sur la sincérité du roi, il seroit important que sa majesté se déterminât à écrire de sa main une lettre ostensible aux princes ses frères, pour les inviter à rentrer. «Je crois bien, répondit le roi, que » cette lettre pourroit faire ici un bon effet, mais » non auprès de mes frères,parce qu'ils sont con

« PreviousContinue »