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Des applaudissemens nombreux et des cris de vive le roi interrompirent souvent ce discours. Le président (Pastoret) y fit la réponse sui

vante:

SIRE,

« Votre présence au milieu de nous est un » engagement nouveau que vous prenez envers » la patrie. Les droits du peuple étoient oubliés, » et tous les pouvoirs confondus; une constitu» tion est née, et avec elle la liberté française. »Vous devez la chérir comme citoyen; comme » roi vous devez la maintenir et la défendre. » Loin d'ébranler votre puissance, elle l'a affer» mie; elle vous a donné des amis dans tous ceux » qu'on n'appeloit autrefois que vos sujets. Vous » avez besoin d'être aimé des Français, disiez» vous, sire, il y a quelques jours dans ce temple » de la patrie; et nous aussi nous avons besoin » d'être aimés de vous (1). La constitution vous » a fait le premier monarque du monde; votre » amour pour elle placera votre majesté au rang » des rois les plus chéris, et le bonheur de la » nation vous rendra plus heureux. Forts de notre » réunion mutuelle, nous en sentirons bientôt

l'influence salutaire. Epurer la législation, » ranimer le crédit public, achever de com

(1) A ces mots toute l'assemblée et les tribunes interrompirent le président par les plus vifs applaudissemens.

:

» primer l'anarchie tel est notre devoir, tels » sont nos vœux, tels sont les vôtres, sire; les » bénédictions des Français en seront le digne » prix. »

Les mêmes acclamations qui avoient signalé l'arrivée du roi, se renouvelèrent avec transport au moment de son départ. A peine sa majesté étoit-elle sortie de la salle, , que l'assemblée voyant le succès et les applaudissemens que la réponse du président avoit obtenus, s'empressa de déclarer que cette réponse étoit l'expression fidèle des sentimens du corps législatif. On lui avoit fait sentir très-énergiquement, dans la matinée, la nécessité de changer de ton. Plusieurs députés avoient été violemment insultés et menacés dans la salle même de l'assemblée, avant l'ouverture de la séance, par quelques officiers de la garde nationale. L'un avoit dit au député Goupilleau: « Le titre de majesté appartient au » roi seul et non au peuple ; vous n'êtes que » fonctionnaires salariés; si vous persistez dans » vos principes, vous serez hachés à coups de

des

baïonnettes. » Un autre avoit dit au député Maille, d'un ton menaçant : « Qu'ils auroient » des baïonnettes contre ceux qui oseroient proposer des décrets semblables à celui qui venoit » d'être révoqué. » Un troisième avoit dit au député Couthon: « Vous êtes des va-nu pieds, » qui n'apportez ici que la discorde; mais soyez

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» sûrs qu'on ne vous perdra pas de vue. » Un des officiers dénoncés parut à la barre, ne nia aucun des propos qu'on lui imputoit, et ajouta qu'entendant parler de la constisution en termes qui l'indignoient, il avoit dit : « Si quelqu'un » attaque la constitution, je serai son premier » dénonciateur et son premier bourreau. » Ces circonstances firent présumer qu'il y avoit beaucoup moins de sincérité que de prudence dans l'adhésion de l'assemblée aux sentimens exprimés par son président.

Le corps législatif, dominé par un empressement aussi ardent qu'irréfléchi de jouir de tous les droits que la constitution lui donnoit, se hâta d'exercer celui de requérir les ministres de lui donner des éclaircissemens, et décréta vaguement qu'ils viendroient lui rendre compte de la situation intérieure et extérieure du royaume. Le 8 octobre, jour indiqué par le décret, nous nous réunîmes à la Chancellerie, et nous nous rendîmes à l'assemblée. Aussitôt que nous fumes entrés, la délibération fut interrompue, et le président donna la parole au ministre de la justice. M. Duport-Dutertre promit, au nom de ses collègues, la continuation de leur zèle et de leurs efforts, pour ramener l'ordre et assurer l'exécution des lois. Quant à la situation intérieure et extérieure du royaume, il observa que si c'étoit un tableau complet que l'assemblée nous deman

doit, il ne nous avoit pas été possible de le pré

parer dans un espace de temps aussi court, mais

que nous avions réuni les matériaux d'un compte général de l'état de nos départemens respectifs, et que nous nous proposions d'en former un corps d'observations que nous présenterions successivement à l'assemblée. Plusieurs voix s'élevèrent pour demander qu'on fixât le délai qui nous seroit accordé pour rendre nos comptes; d'autres insistoient, avec obstination, pour qu'ils fussent rendus sur-le-champ. Il est bien étonnant, crioiton avec humeur dans plusieurs parties de la salle, que les ministres viennent aujourd'hui nous demander des délais. Le ministre de la justice répondit à ces clameurs, que si la rédaction méthodique d'un compte général exigeoit du temps, il n'en étoit pas de même des éclaircissemens particuliers que l'assemblée pouvoit croire néces saires à la marche de ses travaux, et que nous étions prêts à les donner sur-le-champ. Je m'empressai de réclamer, pour mon compte, contre cet engagement; j'observai que n'étant ministre que depuis huit jours, il me seroit plus aisé de donner des idées générales, que des éclaircissemens particuliers sur mon département. C'est juste, c'est juste, répondit-on de toutes parts; mais l'approbation que j'obtins n'empêcha pas que les murmures contre les ministres ne devinssent de plus en plus bruyans. Au milieu de ce

tumulte, un petit maire de la plus petite municipalité de Bretagne (1) monta à la tribune, et se permit la plus insolente diatribe contre les

(1) Lequinio, maire de la petite ville de Rhuis, dans le département du Morbihan. Cet homme, avant la révolution, n'étoit qu'un vil intrigant, un peu fripon. Il devint bientôt un de ses plus dignes instrumens, c'est-à-dire, un scélérat des plus atroces. En 1786, il étoit parvenu à obtenir des États de Bretagne, à titre de prêt sans intérêt, une somine de 12,000 liv. qu'il devoit employer à la plantation de douze mille mûriers blancs, dans la presqu'ile de Rhuis; il devoit rembourser le capital en douze ans, raison de 1,000 liv. par an. Ce prêt ne pouvoit s'effectuer qu'avec l'approbation du roi, et il ne tenoit qu'à moi qu'elle lui fût refusée. Je ne la lui fis accorder que sur sa promesse bien positive de remplir exactement les deux conditions que les États y avoient mises. Il toucha cette somme qui surpassoit de beaucoup la totalité de sa fortune; et, grâce à la révolution, il n'en a rien remboursé et n'a point ́ planté de mûriers. Il fut successivement membre de la seconde assemblée et de la convention, publia un mauvais journal qu'il intitula Journal des Laboureurs, et qui n'avoit de remarquable que les invectives grossières qu'il y vomissoit contre les ministres, et particulièrement contre moi. Sous Robespierre, il quitta l'état de journaliste pour prendre celui d'assassin. On l'a vu entrer, le pistolet à la main, dans une prison remplie de nobles et de prêtres, brûler la cervelle au premier de ces infortunés qui lui adressa quelques plaintes, et vanter officiellement l'énergie de cet acte de patriotisme, dans le compte qu'il en rendit à la convention, qui eut la férocité d'y applaudir.

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