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(Oct. 1791 ter le ministère dans des circonstances aussi critiques, ajouta ces mots : « Le roi vous a fait con» noître ses intentions relativement à la constitu» tion; ne pensez-vous pas que le seul plan qu'il » ait à suivre est d'être fidèle à son serment ? » Oui, certainement, niadame.-Eh bien! soyez » sûr qu'on ne nous fera pas changer; allóns, » M. Bertrand, du courage; j'espère qu'avec de » la patience, de la fermeté et de la suite, tout » n'est pas encore perdu. >>

»

Le lendemain, je prêtai serment entre les mains du roi, et j'annonçai, suivant l'usage, ma nomination à l'assemblée, par une lettre adressée au président, et conçue en ces termes : « M. le prési» dent, en acceptant la mission que le roi m'a » confiée, je ne me suis dissimulé ni la foiblesse » de mes moyens, ni la difficulté des circons»tances; mais j'ai cru que tout citoyen devoit » à la patrie le tribut de son zèle. Je ne négligerai » rien pour l'observation des lois constitution

nelles; je ferai exécuter avec soin les lois par» ticulières à mon département ; j'en ai fait le » serment, et j'y serai fidèle. »

Je suis, etc., etc.

On remarqua beaucoup que dans cette lettre je m'étois absolument écarté de la forme adoptée par tous mes prédécesseurs, et qu'il sembloit que j'eusse affecté de ne pas y insérer un seul

mot d'éloge pour la constitution, ni d'adulation pour l'assemblée; néanmoins on ne m'en sut pas mauvais gré, et les journaux des différens partis rapportèrent ma lettre, sans la critiquer. Le public étoit alors très-attentif aux choix des ministres, parce que, d'après leur caractère, leurs principes connus et leur conduite antérieure, il se formoit une idée plus ou moins juste des sentimens et des intentions du roi. Ma nomination augmenta d'autant plus l'incertitude de ces conjectures, que, depuis l'ouverture de la première assemblée, je n'avois joué aucun rôle, ni figuré dans aucun parti. Ceux qui connoissoient mon intimité avec M. de Montmorin, et qui savoient que j'avois assisté régulièrement aux assemblées de ma section, me croyoient constitutionnel. Ceux qui étoient instruits du zèle avec lequel j'avois soutenu les intérêts du peuple en Bretagne, et des démarches que les députés des communes de cette province, qui étoient les plus ardens de l'assemblée, fesoient à men insu, pour me faire nommer à toutes les places vacantes dans le ministère, me croyoient jacobin; d'autres, ne considérant que ma qualité de noble, d'ancien membre du conseil, d'ancien intendant de province, me suspectoient d'aristocratie, tandis que les aristocrates, même les plus modérés, me fesant un crime d'être entré dans le ministère après l'acceptation de la constitution, m'accusoient d'être au moins monar

chien, les papiers publics contribuèrent à entretenir pendant quelque temps cette diversité d'opinions. Pendant que la Gazette de Paris, rédigée par Durosoi, et l'Ami du Roi, par l'abbé Royou, étoient pleins de sarcasmes sur ma nomination, Brissot parloit de moi avec éloge dans le Patriote Français; et Condorcet, plus circonspect, n'en disoit pas un mot dans la Chronique de Paris. Je ne fesois pas plus d'attention au silence de ce journaliste qu'au bavardage des autres; j'étudiois la constitution, et je travaillois de toutes mes forces à me mettre au fait de mon département, dont j'avois à peine les premières notions.

M. Theyenard avoit fait, quinze jours avant sa retraite, une promotion générale dans le corps de la marine, conformément à la nouvelle organisation décrétée par l'assemblée; et quoique cette promotion n'eût point été annoncée officiellement, ses principaux résultats, et particulièrement la nomination du duc d'Orléans à une des trois places d'amiraux, étoient connus de tout le public; ainsi, il n'étoit véritablement plus possible d'y revenir; et, malgré mon extrême répugnance à mettre mon nom au bas des lettres expédiées pour tous les officiers compris dans cette promotion, et non signées par M. Thevenard, je fus forcé de m'y résoudre. Tout ce que je pus faire, fut de changer la tournure de ces lettres, et de les rédiger

de manière à annoncer bien clairement que cette nomination, qui auroit dû et pu sans inconvénient être différée jusqu'à l'organisation définitive du département de la marine, m'étoit absolument étrangère. M. Thevenard ne s'étoit tant pressé, que parce qu'il avoit cru (me dit-il) que la nomination du duc d'Orléans au grade d'amiral, assureroit au roi toute la popularité dont il avoit besoin pour en imposer à la nouvelle assemblée.

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L'installation du corps législatif, la vérification des pouvoirs, la nomination du président et des autres officiers de l'assemblée, occupèrent ses premières séances. Le serment de maintenir la constitution fut prêté avec une grande solemnité, mais avec bien moins de sincérité que celui de vivre libre ou mourir; comme si cette prétendue liberté, protégée par plus de deux millions de gardes nationales armées, avoit eu réellement quel que danger à craindre (1)! Ce serment, si stupide alors dans son sens littéral, avoit été originairement consacré par les jacobins, et adopté par tous les brigands du royaume; tantôt il

(1) A l'époque de la fédération de 1790, il existoit deux millions cent mille hommes de gardes nationales, d'après le récensement qui en fut fait par ordre du roi, et dans lequel on ne put pas inscrire quelques districts de Normandie et de Provence, parce que leur garde naționale n'étoit pas encore formée.

étoit un cri de ralliement contre la royauté, tantôt le signal de quelque nouvel attentat. L'assemblée, non contente de l'avoir prêté une fois, dès le second jour, le renouvela deux jours après, avec le même enthousiasme, et aux acclamations universelles des tribunes. Elle ne tarda pas à prouver qu'elle l'entendoit dans le même sens que les jacobins. A la séance suivante (5 octobre), elle eut l'inpudeur de mettre en question, s'il étoit de la dignité des représentans d'un peuple libre, d'employer vis-à-vis du roi les expressions sire et votre majesté; d'attendre pour s'asseoir et se couvrir que le roi fût assis et couvert; de lui donner un fauteuil brodé en or, au lieu d'un fauteuil noir, pareil à celui du président; et, après les débats les plus indécens, elle décréta qu'au moment où le roi entreroit dans l'assemblée, tous les membres se tiendroient debout et découverts; que, le roi arrivé au bureau, chacun des membres pourroit s'asseoir et se couvrir; qu'il y auroit au bureau, et sur la même ligne deux fauteuils semblables, et que le roi occuperoit celui qui seroit à la gauche du président; qu'à l'assemblée, et dans les députations qui pourroient être envoyées au roi, le président, ou tout autre membre de l'assemblée chargé par elle d'adresser la parole au roi, ne lui donneroit d'autre titre que celui de roi des Français.

Ce débat excita une indignation générale contre

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