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HISTOIRE

DE

LA RÉVOLUTION.

CHAPITRE PREMIER.

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Etat de la France avant l'ouverture de la seconde assem blée. Nullité de la puissance royale. - Démission de M. Thevenard, ministre de la marine; je suis nommé à sa place. Opinion du roi et de la reine sur la nouvelle constitution. Promotion dans le corps de la marine; notif de la nomination du duc d'Orléans au grade d'amiral. Ouverture de l'assemblée; indécence de ses premiers débats. Discours du roi à l'assemblée. Députés insultés par des officiers de la garde nationale. L'assemblée requiert les ministres de lui rendre compte de la situation du Proclamation du

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royaume.

roi concernant l'émigration; lettre de sa majesté aux princes, ses frères. Lettres des ministres de la guerre et de la marine aux officiers. M. de Lafayette donne

sa démission.

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Le roi, réduit à l'alternative d'accepter la nouvelle constitution, sans observation, sans restriction quelconque, ou d'abdiquer la couronne, avoit racheté par son acceptation ainsi forcée, non sa liberté entière, mais la cessation des rigueurs

humiliantes et des signes extérieurs de sa captivité, la jouissance de sa liste civile, et le vain titre de roi sans puissance. La révolution avoit définitivement placé le patriotisme dans la haine de la royauté et de ses partisans, et la popularité étoit exclusivement dévolue au républicanisme. Le roi, constitué chef suprême du pouvoir exécutif, et, en cette qualité, premier fonctionnaire public, étoit réellement le seul des fonctionnaires publics qui n'eût à sa disposition immédiate aucune force, aucun moyen quelconque de se faire obéir. Les départemens et les municipalités lui étoient subor donnés en apparence; il avoit le droit de casser leurs arrêtés, lorsqu'ils étoient contraires aux décrets ou à ses ordres; mais le pouvoir d'annuller les arrêts de cassation rendus en pareil cas, étoit délégué au corps législatif; ainsi, le seul acte d'autorité qu'il fût permis au roi d'exercer, ne pouvoit servir qu'à manifester à quel point elle étoit dégradée. Tel étoit l'état des choses à l'ouverture de la seconde assemblée, composée de députés dont les clubs de jacobins avoient presque par-tout déterminé le choix.

Les pouvoirs dont cette assemblée étoit investie, avoient été fixés et limités par l'acte constitutionnel, mais avec tant de foiblesse, que ces limites vagues et incertaines pouvoient à chaque instant être franchies sans obstacle. Il n'en existoit d'autre en effet que l'obligation générale imposée au roi,

d'employer tout le pouvoir qui lui étoit confié à maintenir l'exécution de la constitution. Cette obligation l'autorisoit-elle à réprimer les infractions que le corps législatif pouvoit se permettre? Plusieurs lettres et mémoires adressés à sa majesté, dans cette circonstance, lui donnoient ce conseil; mais malheureusement il est mille fois plus facile de donner de bons conseils et de bons plans que de réunir les talens et les qualités nécessaires pour leur exécution. Une violation manifeste de l'acte constitutionnel commise par le corps législatif, eût été sans doute une occasion bien favorable au rétablissement de l'autorité royale; mais pour tirer parti de cette occasion, il auroit fallu que le roi joignit à une grande énergie de caractère, l'appui d'un conseil entièrement composé de ministres fidèles, habiles et intrépides, capables de braver courageusement tous les dangers pour sauver le roi et l'état ; et il existoit alors bien peu d'hommes en France qui réunissent toutes ces qualités, avec lesquelles je crois encore qu'il eût été possible de contenir ou de dissoudre la seconde assemblée. Ce fut dans cette circonstance que M. Thevenard donna sa démission du ministère de la marine. Le roi me fit proposer de nouveau cette place, de manière à ne pas me laisser la liberté de la refuser (1). J'y fus nommé le

(1) Voyez à la fin du volume la note 1ere.

1er. octobre. Le même jour, M. de Lessart se rendit chez moi, de la part du roi, et me conduisit dans l'appartement de sa majesté. C'étoit la première fois que j'avois l'honneur de me trouver aussi près du roi, et tête-à-tête avec lui. J'en fus d'abord si intimidé, que, si j'avois dû parler le premier, il m'eût été impossible d'achever une phrase. Je repris courage, quand je vis que le roi étoit à-peu-près aussi embarrassé que moi. Il m'adressa d'abord quelques mots sans suite; mais il se rassura à son tour en me voyant plus à mon aise, et notre conversation devint bientôt trèsintéressante.

Après avoir répondu à quelques observations générales que j'avois faites sur la difficulté des circonstances et sur les fautes sans nombre que je pourrois commettre dans un département que je ne connoissois point, le roi me dit : « Eh bien! vous » reste-t-il encore quelqu'objection? — Non, »sire; le desir d'obéir et de plaire à votre majesté » est le seul sentiment que j'éprouve; mais pour » savoir si je peux me flatter de la servir utile»ment, il seroit nécessaire qu'elle eût la bonté » de me faire connoître quel est son plan rela»tivement à la constitution, et quelle est la con» duite qu'elle desire que tiennent ses ministres. »-C'est juste, répondit le roi; je ne regarde pas » cette constitution comme un chef-d'oeuvre, à » beaucoup près; je crois qu'il y a de très-grands

» défauts, et que si j'avois eu la liberté d'adresser » des observations à l'assemblée, il en seroit ré» sulté des réformes très-avantageuses; mais au»jourd'hui il n'est plus temps; je l'ai acceptée » telle qu'elle est ; j'ai juré de la faire exécuter, »je dois et je veux être strictement fidèle à mon » serment, d'autant plus que je crois que l'exécu» tion la plus exacte de la constitution est le » moyen le plus sûr de la faire bien connoître à » la nation, et de lui faire appercevoir les chan» gemens qu'il convient d'y faire. Je n'ai ni ne » puis avoir d'autre plan que celui-là; je ne m'en » écarterai certainement pas, et je desire que les > ministres s'y conforment.-Ce plan me paroît » infiniment sage, sire, je me sens en état de le » suivre, et j'en prends l'engagement. Je n'ai pas » assez étudié la nouvelle constitution dans son » ensemble, ni dans ses détails, pour en avoir » une opinion arrêtée, et je m'abstiendrai d'en » adopter une, quelle quelle soit, avant que son » exécution ait mis la nation à portée de l'appré»cier par ses effets. Mais me seroit-il permis de » demander à votre majesté si l'opinion de la » reine sur ce point est conforme à celle du roi? - Oui, absolument, elle vous le dira elle» même. »

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Je descendis chez la reine, qui, après m'avoir témoigné avec une extrême bonté combien elle partageoit l'obligation que le roi m'avoit d'accep

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