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contre le pouvoir exécutif et contre les ministres. M. de Lessart qui avoit à leurs yeux le tort d'avoir proposé le plan de la formation de la garde constitutionnelle du roi, fut, dans cette circonstance, celui qu'ils poursuivirent avec le plus d'acharnement. L'imposteur le plus déhonté de l'assemblée, l'abbé Fauchet, le dénonça dans la séance du 3 décembre, comme coupable de deux crimes de haute-trahison. « Il est temps, dit-il, de » faire un grand exemple; il a trahi son devoir » en n'envoyant que le 27 novembre dans le dé»partement du Calvados la loi du 27 septembre » sur les contributions publiques; il a trahi la » nation en diffamant auprès d'elle la première » des autorités constituées, et la preuve de ce » délit est affichée dans tous les carrefours; elle » existe dans cette proclamation qu'il a signée, » et dans laquelle il est dit que le roi vient de » refuser sa sanction à un décret qui ne pouvoit » pas compatir avec les mœurs françaises et les »principes d'une constitution libre.... Observez » d'ailleurs quel est l'homme dont il s'agit.... Il a » pris l'esprit d'agiotage de M. Necker, dont il » est l'élève et l'ami. C'est lui qui, dans le com» mencement de la révolution, conçut le projet » d'affamer Paris; c'est lui qui, dernièrement » encore, a tout calculé pour réduire la France à » la famine.....

» Vous avez entendu un des commissaires du

» roi envoyés à Avignon, s'excuser en vous di» sant que lorsqu'il avoit demandé des forces au » ministre, il lui avoit répondu qu'il ne pouvoit » lui en envoyer, parce qu'il les fesoit partir » pour les frontières. Faux prétexte, car les » gardes nationaux destinés pour les frontières » ne sont pas encore prêts à partir, et cependant » on s'égorgeoit et on se massacroit dans le Com» tat; les glacières regorgeoient de cadavres.... » Que ce ministre prévaricateur respire donc » pour son châtiment les vapeurs infectes de » cette caverne de mort. ... Mais la constitution » l'emportera, et les perfides périront. Je de» mande que M. de Lessart soit dans l'instant » mandé à la barre pour être interrogé sur tous » ces faits qu'il ne peut nier, et qu'il soit rendu » un décret d'accusation contre lui. »

Toutes ces atrocités furent applaudies avec transport par les tribunes. Plusieurs voix s'élevèrent dans l'assemblée pour demander l'impression du discours de l'abbé Fauchet; mais elle ne fut pas ordonnée, et la dénonciation fut renvoyée au comité de législation, que l'assemblée chargea de proposer incessamment le plan de conduite qu'elle devoit suivre dans une circonstance aussi importante. M. de Lessart, instruit de cette dénonciation, se rendit à l'assemblée avant la fin de cette même séance, et annonça qu'il attendroit pour justifier ses actions et ses principes, que les

» n'est

pas

papiers publics lui fissent connoître ce dont il étoit accusé. « Quant aux subsistances, ajoutat-il, je dois dire qu'il n'est d'efforts, qu'il pas de soins que je n'aie employés, soit » pour empêcher l'exportation des farines, soit » pour maintenir la liberté de la circulation inté> rieure, malheureusement trop entravée. Comme » j'ai eu, dans mes opérations et dans mes corres»pondances,des rapports avec plusieurs membres » de l'assemblée, j'invoque leur témoignage. »

Oui! cela est vrai, répondirent plusieurs voix, auxquelles se mêlèrent quelques applaudissemens. Le côté gauche murmura; quelques minutes se passèrent dans l'agitation, et l'assemblée leva la séance.

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M. Duportail, dégoûté du ministère, par les tracasseries qu'il y avoit éprouvées, par la brutalité avec laquelle l'assemblée avoit accueilli sa justification, et par les plaintes absurdes qui se renouveloient sans cesse contre lui, et auxquelles il étoit obligé de répondre, se détermina à ne pas différer plus long-temps sa retraite. Les amis du comte Louis de Narbonne, et principalement l'ardente madame de Staël, dont les liaisons avec lui étoient assez connues pour me dispenser d'en parler, se donnèrent tous les mouvemens possibles pour le faire nommer ministre de la guerre. MM. Duport-du-Tertre et de Lessart se chargerent d'en parler au roi, qui d'abord rejeta bien

loin cette proposition. Je connois Narbonne mieux que vous, leur dit-il, et je suis sûr qu'il n'est point du tout propre au ministère.

de

Le peu de succès de cette tentative ne les rebuta pas; ils me pressèrent de me réunir à eux, et de parler au roi en faveur de M. de Narbonne; on m'en fit solliciter aussi par M. de Montmorin, qui me promit monts et merveilles de la part de M. de Narbonne, dont le plus grand desir, me dit-il, étoit de se lier entièrement avec moi, prendre ma conduite pour modèle, de suivre mes traces, etc. etc. etc. Je répondis à toutes ces flagorneries: « Que ne connoissant point du tout » M. de Narbonne, il m'étoit absolument impos »sible d'en dire ni bien ni mal; que tout ce que » je pouvois faire, étoit de n'en point parler. »

Cependant, le choix d'un ministre de la guerre ne pouvant être différé plus long-temps, et M. de Narbonne étant toujours le seul qu'on proposât au roi, sa majesté fut enfin forcée de surmonter l'extrême répugnance qu'elle avoit à le nommer à cette place.

Le jour de son installation au conseil, les ministres l'instruisirent, en présence du roi, de la résolution qu'ils avoient prise de ne point com+ muniquer avec les comités, et de correspondre directement avec l'assemblée, conformément à la constitution. Les motifs de cette résolution lui parurent très-sages, et il promit de s'y conformer.

Mais il changea bientôt d'avis, et dès son début il affecta de prendre, vis-à-vis de l'assemblée, une attitude et des formes différentes de celles dont les ministres avoient cru jusqu'alors ne devoir pas s'écarter. Au lieu d'annoncer, comme eux, sa nomination au ministère, par une lettre adressée au président, il se rendit à l'assemblée, et se montra digne de toute sa bienveillance, par un discours que le patriotisme révolutionnairé le plus exalté sembloit avoir dicté. On peut en juger par la phrase qui le terminoit. « Messieurs, je ne peux » vous offrir qu'un profond respect pour le pou» voir dont vous êtes revêtus par le peuple que » vous représentez, un ferme attachement pour » la constitution que vous avez jurée, un amour » courageux pour la liberté et l'égalité, sceau de » la constitution française; pour l'égalité, qui ne » trouve plus d'adversaires, mais qui ne doit pas » avoir de moins ardens défenseurs. » (Séance du 7 décembre 1791.)

Ces offres obtinrent les applaudissemens les plus éclatans; mais M. de Narbonne en recueillit, trois jours après, une moisson bien plus ample, et fit réellement la conquête de l'assemblée, par les cajoleries constitutionnelles qu'il lui adressa. « Je voulois commencer, dit-il, par vous deman

der la parole sur la loi de responsabilité; et » adoptant avec plaisir la définition qui en a été » donnéé par un de vos membres, lorsqu'il a dit

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