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1791. français avait cru convenable d'introduire quelque changement dans la discipline ecclésiastique, il s'en était d'abord référé au saintsiége, et n'avait rien fait que d'accord avec lui; mais cette fois on avait même dédaigné de lui donner avis des réformes que l'on avait jugé à propos de faire. Le roi avait reconnu cette constitution civile du clergé, nonobstant trois brefs du pape, datés du 10 juillet 1790, dont l'un lui était adressé directement et les deux autres à l'archevêque de Vienne et à l'archevêque de Bordeaux, ministres d'état à cette époque. Louis XVI n'était rien moins que libre dans Paris; il craignait d'achever la ruine de son autorité en la compromettant, et il espérait, en cédant aux premiers momens de la fougue révolutionnaire, recouvrer peu à peu la confiance du peuple égaré, et s'en servir pour améliorer sa situation et forcer même plus tard les novateurs à revenir sur quelques-unes de leurs entreprises.

Mais cette condescendance du roi, sur un point aussi important et aussi délicat, n'avait point satisfait l'assemblée. Elle avait bientôt décrété que les évêques, grands vicaires, supérieurs-directeurs des séminaires et colléges ; les curés, les vicaires et autres

ecclésiastiques fonctionnaires publics conservés 1791. en fonction, prêteraient serment à la constitution civile du clergé, sous peine d'être réputés avoir renoncé à leur office, auquel il serait pourvu comme en cas de vacance par démission. Le roi avait temporisé tant qu'il avait pu, pour accorder sa sanction à ce décret, en date du 27 novembre 1790; mais enfin il avait cédé le 23 décembre.

La sanction de ce décret était devenue, au sein même de l'assemblée, le signal d'une scène qui dut déchirer le cœur du roi et alarmer infiniment sa conscience, qu'un juste respect pour la religion rendait naturellement timorée.

Le 2 janvier 1791, l'évêque de Clermont avait offert de prêter serment en ces termes : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles » dont la conduite m'a été ou me sera con» fiée par l'église ; d'être fidèle à la nation » à la loi et au roi, et de maintenir de tout » mon pouvoir, en tout ce qui est de l'or» dre politique, la constitution décrétée par » l'assemblée nationale et acceptée par le » roi, exceptant formellement les objets qui » dépendent essentiellement de l'autorité » spirituelle. » Mais cette formule n'avait point été acceptée, et c'était le 4, pour tout

1791. délai, que tous les membres de l'assemblée, ayant des fonctions publiques, devaient prêter purement et simplement serment à la constitution civile du clergé.

La salle des séances de l'assemblée nationale ressembla, ce jour-là, au lieu dans lequel les officiers des empereurs romains essayaient de contraindre les premiers chrétiens à sacrifier aux faux dieux. Les instrumens de supplice et les bourreaux étaient à la porte. Une multitude immense circulait en effet, le 4 janvier 1791, autour de l'assemblée nationale, avant même qu'elle eût ouvert sa séance, et cette multitude poussait des cris horribles et menaçans: elle ne parlait de rien moins que de pendre ou de mettre en pièces ceux des députés qui, étant ecclésiastiques, refuseraient de prêter le serment. Le triomphe de ces prêtres fidèles n'en fut que plus éclatant.

Le président commença l'appel nominal au milieu des clameurs sanguinaires de la populace, qui, postée à toutes les issues de la salle, criait sans cesse : à la lanterne! à la lanterne les non-jureurs ! Ainsi appelait-elle ceux des ecclésiastiques qui refusaient de prêter serment à la constitution civile du clergé : par la même raison, quelle qualification donnait

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elle à ceux qui, préférant ses applaudisse- 1791. mens à leur devoir, trahissaient l'autel pour continuer à vivre de ses dons!

L'évêque d'Agen, nommé le premier, demanda la parole. « Point de parole, lui » crièrent plusieurs membres de l'assem» blée; voulez-vous prêter le serment, oui » ou non ? » Et les rugissemens de la multitude se firent entendre de nouveau. « Je ne » donne aucun regret à ma place, reprit alors » avec calme et dignité l'évêque d'Agen; je » ne donne aucun regret à ma fortune; j'en » donnerais à la perte de votre estime, que je » veux mériter. Je vous prie donc d'agréer » le témoignage de la peine que je ressens » de ne pouvoir prêter le serment que vous » exigez. »

pre.

Après l'évêque d'Agen, le premier appelé fut un curé de son diocèse, M. Fournès, curé de Puymiclant. « Avec la simplicité des » miers chrétiens, à laquelle vous voulez nous » ramener, je dirai, répondit-il, que je me » fais gloire de suivre mon évêque, comme >> Laurent suivit son pasteur. >>

On fit cesser l'appel nominal, qui était un véritable appel au massacre, et qui ne remplissait pas d'ailleurs le but des meneurs de l'assemblée, puisque le danger dont il envi

1791. ronnait ceux de ses membres qui étaient ec clésiastiques, ne faisait qu'augmenter leur courage et les affermir dans leur foi. On le transforma en une interpellation aux fonctionnaires publics ecclésiastiques, de monter à la tribune. Ce moyen ne réussit pas mieux que le premier. Un curé fut le seul qui prêta le serment, conformément au décret. Deux autres offrirent de le prêter, avec les restrictions proposées par l'évêque de Clermont, et furent refusés. Un troisième déclara qu'il entendait le prêter, conformément au sentiment de l'assemblée, qui avait dit qu'elle n'entendait pas toucher au spirituel. Là-dessus s'engagea une discussion assez vive, que l'on termina bientôt par des cris répétés de: à l'ordre du jour! à l'ordre du jour ! C'était rendre à la religion, dégagée de profanes subtilités, tous ses droits. L'évêque de Poitiers monta à la tribune: «Messieurs, dit» il, j'ai soixante-dix ans révolus; j'en ai » passé trente-cinq dans l'épiscopat, où j'ai » fait mon possible pour remplir mes de» voirs. Accablé d'années et d'infirmités, » je ne déshonorerai pas ma vieillesse, je » ne puis pas prêter un serment qui n'est dans Dites oui, ou

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pas

» non,

ma conscience.

lui cria-t-on. J'aime mieux, re

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