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effet en effrayant le duc d'Orléans, que Mira- 1789. beau (note re.) tenta vainement de rassurer. Le 14, à l'ouverture de la séance, le prési dent de l'assemblée lui annonça que ce prince demandait un passe-port pour aller remplir en Angleterre une mission très-pressée. Cette lettre était accompagnée d'un billet de M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, conçu en ces termes : « Sa majesté a chargé M. le duc d'Orléans d'une mission importante auprès du roi d'Angleterre. Le roi désire qu'on n'apporte aucun retard à l'expédition de son passe-port; ses instructions, dont on s'est occupé sans relâche, étant prêtes. » Le passeport fut effectivement accordé sans retard, et le 16 le prince se mit en route.

Paris fut à peu près tranquille pendant les quinze premiers jours qui s'écoulèrent depuis l'arrivée du roi. On se portait en foule aux Tuileries, où l'on cherchait à voir l'anguste prisonnier ou quelque personne de sa famille. L'esprit d'une grande partie des Parisiens semblait même se remettre entièrement, et il n'eût pas été sûr pour les factieux d'entreprendre de troubler le repos de Louis XVI dans ces premiers momens. Au reste ce prince avait ôté jusqu'au moindre prétexe à sesennemis. Quelque dévouement que lui eussent

1789. montré ses gardes-du-corps dans les journées des 5 et 6 octobre, il les avait congédiés, et avait absolument remis la garde de sa personne à la milice parisienne.

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Le 21 octobre, surlendemain du jour où l'assemblée tint sa première séance à Paris, fut cependant marqué par un attentat horrible contre la sûreté publique. Les inquiétu des sur les subsistances avaient recommencé, ét c'était en foule que tous les matins on venait chercher son pain chez les boulangers. Dans cette position, le moindre soupçon contre eux les mettait dans le plus grand danger; car le peuple s'était accoutumé à se faire justice lui-même ; et qu'il eût tort ou raison, il parlait de la fatale lanterne aussitôt qu'il en venait à regarder quelqu'un comme son ennemi.

Cette fois sa fureur s'exerça sur celui de ses pourvoyeurs qu'elle aurait dû le plus épargner. Elle atteignit le nommé François, boulanger dans la Cité, rue du Marché-Palu. Lorsque la distribution de ses fournées de la nuit fut terminée, et que les deux factionmaires qui gardaient sa porte déclarèrent qu'il fallait attendre que la fournée qui cuisait fût prête; des furieux se précipitèrent dans la boutique, s'écriant qu'ils voulaient s'assurer

par eux-mêmes qu'il ne restait pas de pains. 1789. On en trouva deux cachés dans un vase de terre; les garçons les avaient mis là en réserve pour leur propre usage. On s'empara de ces deux pains, et on en fit grand bruit, disant que le boulanger François aimait mieux laisser durcir son pain que de le distribuer au peuple. En même temps parut une femme inconnue qui montra deux ou trois morceaux de pain moisi qu'elle prétendit avoir trouvés dans la boutique. Les têtes se montèrent; une émeute terrible eut lieu. On saisit le malheureux François, on le garrotta, on voulait le pendre sur-le-champ. Un détachement accourut à son secours, du corps-degarde voisin; mais tout ce que put faire l'officier, fut de l'arracher des mains de la multitude, en se chargeant de le conduire à l'Hôtel-de-Ville, où il assurait qu'on en aurait promptement justice.

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Les officiers municipaux n'étaient pas encore à leur poste, quoiqu'il fût dix heures. En un moment la place de Grève fut pleine de monde. On ne racontait pas dans les dans les groul'histoire du boulanger telle qu'elle était; on y disait que sa boutique avait été trouvée remplie de pain moisi; que c'était un parti pris par tous les boulangers de Paris, d'organiser

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1789. une famine générale, et qu'on n'aurait l'abondance qu'après avoir fait un exemple sur quelqu'un d'eux.

Dans ce moment d'effervescence on fit sortir le boulanger de la maison commune pour le conduire à la mairie. Le détachement qui l'escortait ne fut point assez fort pour conte nir le peuple. On se jeta sur ce détachement, on lui arracha son prisonnier, et on courut le pendre au même réverbère où, quelques mois auparavant, M. de Foulon avait perdu la vie. On coupa ensuite sa tête et on la mit au bout d'une pique, suivant l'usage du temps.

Cet assassinat fut suivi des circonstances les plus faites pour révolter et pour épouvanter. La femme du boulanger, inquiète de ne pas le voir revenir, avait pris le chemin de l'Hôtel-de-Ville. Arrêtée sur le pont Notre-Dame par la foule, elle leva les yeux pour voir quel objet était cause de oe rassemblement, et reconnut la tête sanglante de son mari. Elle tomba sans connaissance. On se mit en devoir de la rapporter chez elle. Elle était enceinte sans pitié pour son état, les bourreaux de son époux l'accompagnèrent avec leur horrible trophée, en l'accablant d'injures et de malédictions. Lorsqu'elle fut rentrée

dans sa boutique, ils posèrent la tête du mal- 1789. heureux François sur son comptoir et voulurent la forcer de la baiser!! De telles horreurs annoncent une multitude entièrement démoralisée, et de la part de laquelle aucun excès ne doit plus surprendre.

Celui-là ne pouvait cependant rester impuni dans un lieu où siégeaient à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. L'assemblée nationale décréta que lorsque l'ordre public serait troublé, on attacherait aux fenêtres de la maison commune un drapeau rouge, et qu'à se signal, tous attroupemens armés ou non armés, devenus criminels, se disperseraient sous peine d'y être contraints par la force des armes, après que des officiers municipaux leur en auraient fait trois fois la sommation légale. Robespierre, qui ne fut dans la suite que trop fameux, mais qui était alors un des membres les moins importans de l'assemblée, s'opposa seul à cette loi sage et indispensable.

L'assassin du boulanger fut arrêté le même jour, condamné à mort et exécuté le lendemain avec un autre scélérat convaincu d'avoir distribué des cartes pour exciter un soulèvement. Il est néanmoins probable qu'aucune faction ne provoqua cet événement pour

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