Page images
PDF
EPUB

Le roi dut croire tont perdu: trots de ses 1791. ministres, le ministre de la guerre, le garde des sceaux et le ministre des finances, furent, à cette époque, contraints, par des dénonciations et des menaces multipliées, à donner la démission de leurs places; et des sujets fidèles, qui s'étaient réunis aux Tuileries pour le défendre dans un moment où une insurrection du faubourg Saint-Antoine, qui semblait avoir pour but la démolition du château de Vincennes, inspirait aux gens de bien des alarmes bien plus sérieuses, en furent chassés avec violence et opprobre. Il résolut donc, dans cette position, pour sauver les débris de la monarchie et la France avec eux, d'opposer l'intrigue à l'intrigue, et de s'assurer un parti puissant dans le sein de l'assemblée d'où paraissaient partir secrètement tous les coups qui étaient portés à son autorité. Il ne pouvait choisir un meilleur chef à ce parti, que le comte de Mirabeau, le plus éloquent et le plus populaire des députés il acheva donc de s'arranger avec lui (note 7.). Les circonstances légitimaient tout, et payer dans ce moment le retour à l'ordre et à la tranquillité publique, de tous les trésors de l'état, n'eût pas été l'acheter trop cher.

[graphic]

1791.

Mirabeau changea aussitôt de langage dans l'assemblée. On le vit en venir, par une pente insensible, et ayant l'air seulement de repousser des factieux qui voulaient étendre la révolution plus loin qu'elle ne devait aller, à défendre la prérogative royale et la liberté personnelle du roi et des princes et princesses de son auguste maison. On voulait contre les émigrés une loi qui eût ainsi mis l'infortuné Louis XVI en guerre avec un de ses frères et ses cousins. Mirabeau combattit de toutes ses forces l'établissement de cette loi. On s'opposait à ce que Mesdames, tantes du roi, se retirassent à Rome, où elles demandaient à se réfugier: Mirabeau défendit leurs droits à cet égard, et les fit respecter. On prétendait ne plus traiter désormais le roi que comme un fonctionnaire public, et confondre, par certaines dispositions constitutionnelles, monseigneur le Dauphin avec le suppléant d'un député à l'assemblée nationale; plusieurs membres purs de l'assemblée rappelaient à ce sujet le serment de fidélité prêté au roi, en même temps qu'à la constitution; Mirabeau les appuyant, s'écria : «Il » est profondément injurieux de mettre en » doute notre respect pour le serment de fi» délité que nous avons prêté au roi, en prê

» tant le serment constitutionnel; celui qui 1791. » le met en doute, mérite le premier blâme. » Cette déclaration non équivoque, et pour

laquelle je lutterai avec tout le monde en » énergie, bien décidé que je suis à combat» tre toute espèce de factieux qui voudraient » porter atteinte aux principes de la monar» chie, dans quelque système que ce soit, » dans quelque partie du royaume qu'ils puis» sent se montrer: cette déclaration renferme » tous les lieux, tous les temps, toutes les per» sonnes, toutes les sectes, »

Le changement total de Mirabeau effraya d'autant plus ceux qui l'avaient eu jusquelà pour chef et pour orateur, qu'on apprit en même temps par des lettres du département du Gard, que les mouvemens contrerévolutionnaires les plus décidés venaient d'éclater dans la ville et dans le diocèse d'Uzès; que dix-sept cents rebelles s'étaient emparés de la ville de Saint-Ambroix et avaient désarmé tous les citoyens; que les gardes nationales de Jalès, Banes, Bérias et autres lieux, s'étaient réunies pour appuyer la ré volte; qu'une armée de trente mille hommes menaçait le département; qu'à Uzès un escadron du régiment de Lorraine, ayant été requis de monter à cheval pour dissiper un

[ocr errors]

1791. attroupement qui s'était formé au son du tocsin, sur la place de l'esplanade, les factieux avaient tiré sur la troupe; qu'un des dragons avait eu l'épaule cassée, et qu'un autre avait recu un coup de baïonnette dans le

ventre.

Ceux qui avaient travaillé (1) dans le commencement de la révolution avec Mirabeau, qui savaient qu'un bon nombre des insurrections qui l'avaient amenée, avaient été son ouvrage, ou du moins le fait de ses conseils, craignirent que ces soulèvemens partiels ne fissent partie d'un plan de contrerévolution de sa façon, et ne dussent préluder à un armement général de tout ce qui n'avait pas encore courbé une tête avilie sous le joug de fer que présentaient peu à peu les ennemis du gouvernement monarchique, et tremblèrent à leur tour. Une présidence glorieuse de l'assemblée nationale, venait encore d'ajouter à sa réputation étourdissante, et ils avaient en effet tout à craindre, quand la mort vint les délivrer à propos du plus re

(1) Expression révolutionnaire qui peint bien les œuvres des agens de la révolution, et à laquelle je ne trouve pas à en substituer une autre aussi caractéristique.

doutable antagoniste qu'ils pussent avoir à 1791.

combattre.

Mirabeau ne fut pas longtemps malade. Saisi tout à coup d'un spasme violent dans l'estomac et dans la poitrine, il mourut au commencement du sixième jour, 2 avril. Deux ou trois de ses meilleurs amis restèrent constamment auprès de lui, pendant le temps qu'il fut malade. Dans tous les instans de relâche que lui laissait la douleur, il leur parlait, avec son énergie ordinaire, des grands objets dont son esprit était occupé. « Mes amis, leur disait-il quelques minutes » avant d'expirer, ce n'est pas sur moi qu'il » faut pleurer, c'est sur la monarchie; elle » descend avec moi au tombeau. >>

Les funérailles qu'on lui fit, prouvèrent qu'en se séparant de ceux avec lesquels il avait voté jusqu'au 1er janvier 1791, il n'avait rien perdu de sa popularité ni de la profonde admiration que ses talens oratoires avaient inspirée au peuple de Paris. Sa mort fit dans la capitale l'effet d'une calamité publique. Chacun paraissait consterné ; le bourgeois, l'artisan, l'homme du peuple, le regrettaient également. La douleur semblée manifesta ne fut pas moins vive; elle en consigna les témoignages dans son procès

que

l'as

« PreviousContinue »