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tique. Quelle différence à l'Assemblée nationale, dont nous avons constaté les dispositions anti-révolutionnaires, et auxquelles vient de s'ajouter un fait ministériel qui peut compromettre la victoire, si le peuple n'y prend garde. Le 11 août, le lendemain même du triomphe populaire, Danton le patriote, Danton ministre de la justice, paraît à la tribune de l'Assemblée nationale pour y prêter le serment d'usage. Il saisit l'occasion pour rappeler que l'expérience a prouvé à la nation française qu'il n'est aucun retour à espérer des anciens oppresseurs. La nation va rentrer dans ses droits, ajoute Danton, mais là où commence l'action de la justice, là doivent cesser les vengeances populaires. Je prends l'engagement de protéger les hommes qui sont dans cette enceinte; je marcherai à leur tête et je réponds d'eux.

On ne saurait être plus habile; aussi, royalistes et patriotes, tous applaudissent.

Mais quoi, Danton va couvrir de son égide ces mêmes ennemis du peuple contre lesquels il combattait hier, et dont les menées, les artifices, les conjurations incessantes ont amené la patrie et la liberté jusque sur le bord de l'abîme : O logique inflexible! il est donc vrai que tu ne résides essentiellement que dans l'ami du peuple. Danton! la puissance en impose déjà à ton cœur; hâte-toi de briser cette nouvelle chaîne, reprends l'esprit révolutionnaire qui t'a fait grand, incline-toi devant la nécessité, respecte la volonté souveraine, ou tremble d'être un jour la victime des traîtres que tu veux protéger.

Nous en avons assez dit pour marquer la ligne de démarcation entre la politique de Danton et celle de Marat. C'est l'histoire en main que la postérité prononcera.

Avant d'aborder l'importante question des élections à la Convention nationale, jetons un dernier regard sur la journée à jamais mémorable du 10 août 1792; voyons les causes, apprécions les résultats.

« Grâce soit rendue à l'esprit de délire du Conseil des Tuileries, à la lâcheté des nationaux contre-révolutionnaires et de l'état-major des Suisses, à l'ineptie et à la platitude de Louis Capet, à la conversion des gendarmes, à la témérité du peuple, à la valeur des fédérés et des braves sans-culottes; la victoire a couronné la cause de la justice, elle a atterré le despote et ses suppôts, consterné la majorité du Sénat, arrêté le cours de ses machinations audacieuses, donné de la consistance aux députés patriotes de la Commune, affermi leur autorité, renversé celle du département, des tribunaux et des juges de paix prostitués à la Cour, anéanti l'état-major contre-révolutionnaire, épouvanté les ennemis de la Révolution, rendu la liberté aux bons citoyens, et donné au peuple les moyens de signaler son pouvoir, en faisant tomber sous le glaive de la justice la tête des machinateurs. Mais les fruits de cette éclatante victoire seraient bientôt perdus, si les députés patriotes de la Commune ne restaient en place, et s'ils ne déployaient pas toute leur énergie jusqu'à ce que la liberté soit cimentée.

« Louis Capet est en ôtage avec sa famillle; ne permettre à aucune de ses créatures de l'approcher, et le garder à vue, est le vrai moyen de couper les fils de toutes les trames criminelles des contre-révolutionnaires.

« Mettre à prix, par un décret, les têtes des Capet fugitifs, traîtres et rebelles, six millions sur chacune, serait le vrai moyen de s'assurer de ces conspirateurs,

de faire déserter les régiments ennemis avec armes et bagages, de mettre fin à toute guerre étrangère, de prévenir la dilapidation des biens nationaux, et d'éviter l'effusion du sang des patriotes.

« Une mesure non moins urgente est de décréter l'ouverture des arsenaux, pour armer sans délai tous les citoyens amis de la Révolution. C'est au ministre de la guerre à solliciter un décret à ce sujet. C'est à la Commune à faire armer immédiatement tous les bons citoyens de la capitale, et à les faire exercer au maniement des armes, pour mettre Paris en état de défense contre les coups de désespoir des ennemis, s'ils étaient assez osés pour jouer de leur reste. C'est à la Commune aussi de hâter la formation du camp aux portes de Paris, et de faire occuper au plus tôt toutes les hauteurs adjacentes. C'est à elle encore à presser le jugement des traîtres détenus à l'Abbaye, et à prévenir qu'on arrache au glaive de la justice l'état-major des gardes Suisses. C'est à elle à empêcher que le décret qui ordonne la vente des biens des émigrés ne soit dérisoire, en faisant vendre sans délai ceux qui se trouvent dans la capitale; en faisant rentrer le Luxembourg dans les mains de la nation; en demandant la moitié du produit de ces biens, pour être partagée entre les infortunés qui ont concouru à la prise du château des Tuileries et à ramener la victoire à la patrie.

« C'est à tous les bons citoyens à inviter les troupes de ligne de réclamer le droit de nommer leurs officiers.

« C'est à la Commune parisienne à porter le flambeau dans l'administration des subsistances, à pourvoir abondamment à celles de la capitale, et à faire la guerre

aux accapareurs.

« C'est au ministre de la justice à poursuivre le prompt châtiment du scélérat colonel qui a violé la fille du fermier de Compiègne; châtiment cent fois plus nécessaire, pour le maintien de la discipline, que tous les décrets atroces que l'Assemblée a rendus contre les efforts du civisme des soldats.

<< La patrie vient d'être retirée de l'abîme par l'effusion du sang des ennemis de la Révolution, moyen que je n'ai cessé d'indiquer comme le seul efficace. Si le glaive de la justice frappe enfin les machinateurs et les prévaricateurs, on n'entendra plus parler d'exécutions populaires, cruelle ressource que la loi de la nécessité peut seule commander à un peuple réduit au désespoir et que le sommeil volontaire des lois justifie toujours.

« Les commissaires de la Commune marchent à merveille. S'ils continuent avec la même énergie jusqu'à ce que la Constitution soit réformée par la Convention nationale, si les ministres se montrent bons patriotes, et si le peuple les surveille avec sollicitude, je regarderai le salut public comme assuré, je dormirai sur les deux oreilles, et je ne reprendrai la plume que pour travailler à la refonte de la Constitution. Et de fait, quelle autre tâche me resterait à remplir? Je faisais la guerre aux mandataires infidèles du peuple, aux traîtres à la patrie, aux fonctionnaires prévaricateurs, aux machinateurs, aux fripons de tous les genres; mais les scélérats se cachent pour ne plus se montrer ou pour se montrer citoyens paisibles et soumis aux lois. C'est tout ce que je pouvais désirer >> (Ami du peuple, no 679).

Où donc est l'homme d'État, si consommé qu'il soit dans l'art de gouverner, qui montre autant de

patriotisme avec un cœur aussi pur, aussi désintéressé, une connaissance plus profonde du genre humain et de la science politique? On chercherait en vain dans notre histoire nationale un citoyen plus digne, plus courageux, plus dévoué; un publiciste plus éclairé, plus véhément, plus clair, plus concis; un politique plus clairvoyant, plus incorruptible, plus infatigable, plus sincèrement attaché et dévoué à la cause du peuple; un défenseur plus intrépide dans la lutte, plus modeste dans le triomphe.

Ici, quoique la chronologie commande de faire intervenir l'arrêté de la Section du Théâtre-Français, dite de Marseille, en date du 27 août 1792, arrêté qui conclut à ce que des commissaires pris dans son sein se présenteront à Roland, ministre de l'intérieur, à l'effet de lui demander, à titre d'avance, sur les 100,000 livres votées par l'Assemblée nationale pour l'impression et la propagation d'ouvrages patriotiques, la somme nécessaire à l'impression de trois nouveaux ouvrages dont Marat se propose de gratifier la patrie; nous réservons ce document inédit jusqu'après les élections, afin de le réunir à d'autres, qui complèteront ce sujet. Alors nous démontrerons jusqu'à quel point les Mémoires de Madame Roland sont de peu de valeur historique auprès des documents authentiques, et nous rétablirons la vérité sur des faits odieusement et perfidement travestis par ce bas-bleu politique, dont la fidélité conjugale plus que suspecte (1)

(1)« Si on peut soulever le voile du cœur de cette femme vertueuse (a dit son admirateur le plus enthousiaste), on reste convaincu que son penchant instinctif avait été un instant pour Barbaroux, mais que sa tendresse réfléchie était pour Buzot » (Histoire des Girondins, par A. de Lamartine).

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