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ne leur donne que des poudres grasses, des canons égueulés et des boulets hors de calibre, pour remplacer les 1,400 pièces d'artillerie qu'on voit en ce moment à Luxembourg, et que Latour-du-Pin a fait retirer des places fortes de l'Alsace et de la Lorraine, au commencement de la Révolution, pour armer les fugitifs rebelles et les brigands qu'ils ont à leur solde.

De son côté, le tartuffe Montmorin ne cesse, depuis la prise de la Bastille, de soulever contre nous les puissances étrangères et de nous cacher leurs dispositions, leurs mouvements. Ses manoeuvres et l'or de la nation ont enfin triomphé; la ligue est formée. L'Allemagne, la Prusse, la Suède, l'Espagne, les DeuxSiciles, la Sardaigne, se sont conjurées pour nous remettre aux fers; elles viennent de rappeler leurs ambassadeurs pour se réunir au congrès d'Aix-laChapelle, et concerter leurs opérations sanguinaires.

Déjà, de tous les coins du royaume, sont accourus vers les provinces autrichiennes des nuées de contrerévolutionnaires pour s'enrôler sous les drapeaux des capets fugitifs et ne rentrer dans nos provinces que le fer et le feu à la main. Presque tous les officiers de l'armée de ligne désertent leurs drapeaux, tandis que le général Mottier quitte lui-même l'armée parisienne, qu'il a métamorphosée en légions prétoriennes, pour aller travailler pareillement l'armée de ligne, et combiner le plan d'attaque avec son parent et complice l'infâme Bouillé.

Pour triompher des maux sans nombre qui menacent la patrie, il faudrait tout l'enthousiasme de la liberté ; encore la victoire coûterait-elle des torrents de sang.

Dans cette expectative, que fait l'Assemblée nationale? Depuis trois semaines, elle a ouvert ses séances

et rien encore n'est sorti de son sein qu'un seul beau décret, sur le cérémonial à observer à l'égard du roi, vis-à-vis de l'Assemblée; décret qu'elle s'est empressée d'annuler le lendemain, comme si elle avait eu regret de s'être montrée patriote un instant; comme si elle avait rougi d'avoir voulu venger un instant la majesté nationale. Dès lors, elle a consommé le temps à faire quelques règlements, à recevoir les visites ou les messages importuns des ministres; à donner audience aux corps qui venaient la flagorner; à écouter les adresses de félicitation des sots qui l'applaudissent, les vains discours de ses membres, les homélies des jongleurs payés pour la distraire, et à renvoyer à ses comités les plaintes des opprimés qui réclament justice.

L'analyse des séances de cette nouvelle législature n'est qu'un affligeant tableau qui expose à tous les regards l'impéritie des uns, la fourberie et le machiavélisme des autres. Un député patriote réclame-t-il contre plusieurs vices dans la rédaction du procèsverbal, l'Assemblée lui ferme la bouche par l'ordre du jour. Un Cérutti propose-t-il de voter des hommages aux Constituants, l'Assemblée adopte les plates adulations de ce flagorneur. Des députés patriotes sontils insultés, menacés dans le lieu même du Corps législatif, s'ils s'en plaignent hautement, à l'instant les ministériels crient haro! et l'Assemblée passe à l'ordre du jour. Des députés demandent-ils la suppression des tribunes privilégiées, toujours occupées par des ennemis publics, l'Assemblée passe à l'ordre du jour. Un député patriote dénonce-t-il les malversations d'un ministre, aussitôt les ministériels poussent les hauts-cris, et la docile Assemblée passe à l'ordre du jour. L'Assemblée est-elle informée par les départements frontières de

l'émigration inquiétante des officiers, l'Assemblée, toujours conduite par les meneurs ministériels, renvoie effrontément l'affaire au pouvoir exécutif, premier auteur de ces malversations. Ose-t-on se plaindre que la Constituante a autorisé la sortie d'armes, chevaux, munitions, et en faire sentir les dangers dans la situation actuelle, les ministériels font écarter ces justes plaintes et la coupable Assemblée passe à l'ordre du jour. Dénonce-t-on les prêtres fanatiques, semant en tous lieux la révolte; réclame-t-on contre l'iniquité du ministre, qui, au mépris de l'amnistie générale, retient encore des patriotes dans les fers, aussitôt se présente un endormeur de la bande infernale des suppôts de tyrannie, il excuse ou blanchit les coupables auteurs de ces forfaits, et l'Assemblée subjuguée passe à l'ordre du jour.

Rentrez donc en vous-mêmes, législateurs indignes, et convenez de votre lâcheté ou de votre impuissance, puisque les pères conscrits constituants ont livré la nation, pieds et mains liés, entre les mains de son premier agent, après avoir assuré l'impunité à tous ses suppôts.

Voilà les effets nécessaires des vices de cette Constitution, tant vantée, tant prônée par les sots, et que l'on prendrait pour un monument d'imbécillité, si elle n'était pas l'ouvrage de l'astuce et de la perfidie.

Je ne vois qu'un seul moyen de rétablir l'ordre dans l'État : c'est que la nation, soulevée à la fois dans tous les coins du royaume, fasse main-basse sur les meneurs des ennemis publics, passe l'éponge sur tous les décrets des pères conscrits, expulse le despote avec tous les siens, arme tous les membres de l'État et charge quelque tête saine de lui proposer une Constitution

dont la Déclaration des Droits soit la base; où la souveraineté du peuple soit consacrée de même que la juridiction des commettants sur les commis; la permanence des Assemblées civiques; l'autorisation des citoyens à résister, les armes à la main, à tout ordre arbitraire, et à courir sur les ennemis de la patrie; la parfaite séparation des pouvoirs; la restriction des prérogatives du prince au droit d'envoyer et de recevoir des ministres, à celui de proposer des traités avec les puissances étrangères, et d'accepter les généraux nommés par l'armée; enfin, la précaution de n'exiger des citoyens et des fonctionnaires publics que le serment de défendre la liberté et d'être fidèle à la patrie. Mais ce moyen n'est plus au pouvoir du peuple depuis qu'il a laissé passer les crises du 14 juillet, du 5 octobre, du 28 février, du 18 avril et du 21 juin. Je serais inconsolable si j'avais négligé une seule fois de presser le peuple de saisir les occasions que la fortune lui a ménagées pour assurer sa liberté, en écrasant ses ennemis abattus et en purgeant le Corps législatif; en faisant trembler les administrateurs infidèles, les juges prévaricateurs. Ce peuple imbécile a eu peur d'abattre cinq à six cents têtes criminelles; il a mieux aimé voir tout le royaume en combustion, souffrir l'anarchie, permettre au despotisme de se relever, l'encourager à épuiser la nation, à la faire périr de famine, livrer à la tyrannie les amis de la liberté, exposer l'État à être dissous, en attendant qu'il soit livré aux horreurs de la guerre civile, qu'il devienne la proie des flammes ou qu'il soit inondé de sang.

Que d'amertume dans les reproches de l'ami du peuple et quelle mesure terrible lui arrache, une fois encore, le désespoir dans lequel l'a plongé l'apathie,

la lâcheté de ce peuple, pour lequel il a tout sacrifié. C'est qu'au début de la Révolution, le seul sacrifice des principaux contre-révolutionnaires pouvait assurer le salut public, et que maintenant les événements ayant centuplé le nombre des ennemis du peuple et doublé leur audace, ont rendu nécessaire le plus affreux des sacrifices, si le peuple tient à recouvrer sa liberté et cimenter ses droits.

Dérobons-nous à ces cruelles nécessités; couvrons-les pour quelque temps encore d'un voile impénétrable, et revenons au plus tôt aux faits et gestes de l'ami du peuple.

Le 12 décembre 1791, voyant le dévouement de l'ami du peuple rester sans effet, le citoyen Bourdon, de la section du Louvre, lui écrivait : « Finissez, cher Marat, il en est temps. Qu'avez-vous gagné depuis que vous vous êtes déclaré le défenseur d'un peuple ignare et corrompu, toujours prêt à fermer l'oreille aux avis salutaires que vous n'avez cessé de lui donner sur les machinations de ses infâmes mandataires et ses perfides agents..... Il semble que plus vous accumuliez les preuves, moins vous persuadiez les imbéciles bourgeois de Paris, aujourd'hui satellites de la cour et lâches bourreaux de la multitude..... Depuis deux ans, ils n'ont cessé de crier que l'ami du peuple est un incendiaire; ils verront bientôt les torrents de sang qui vont couler, pour avoir craint d'en répandre quelques gouttes, comme il le leur conseillait, pour contenir par la terreur les ennemis de la liberté et assurer le salut public..... »

« Oui! s'écrie Marat, la liberté est perdue pour nous, et perdue sans retour..... O ma patrie! quel sort épouvantable l'avenir te réserve! Un décret fatal de

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