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funestes, qu'elle pourvoie elle-même à sa sûreté, en abattant ses ennemis intérieurs, les seuls qu'elle ait à redouter.

« Quant à vous, nos amis, restez dans nos murs, et prenez avec nos bataillons patriotes la garde du roi, de son fils et de sa femme, que vous tiendrez en ôtages pour répondre à la nation des événements de la guerre désastreuse dans laquelle la cour l'a plongée avec tant d'astuce et de scélératesse » (Ami du peuple, n° 674). Déjà la persistance invincible de l'ami du peuple rappelant sans cesse aux principes révolutionnaires, commence à percer le roc de l'indifférence.

Le maire de Paris et le procureur-syndic de la Commune, qui avaient été suspendus de leurs fonctions le 11, sont réintégrés le 13 juillet, grâce au peuple. Le 15, nouveau décret, dû à la fermentation populaire, qui oblige les troupes de ligne à évacuer Paris sous trois jours. Le 18 juillet, des fédérés, à la barre de l'Assemblée nationale, demandent la suspension du pouvoir exécutif dans la personne du roi, la mise en accusation du conspirateur Lafayette, la destitution des états-majors de l'armée, la punition des directoires de départements, et le renouvellement des corps judiciaires.

Ces dispositions tiennent assurément par plusieurs points à celles que Marat avait prescrites; mais qu'elles sont loin encore du programme de l'ami du peuple.

Néanmoins, il est facile de constater que l'esprit public se réveille au fur et à mesure que les dangers de la patrie deviennent plus imminents. Cette heureuse transformation n'échappe point à l'ami du peuple. Le 20 juillet 1792, s'adressant encore aux fédérés, il leur dit : « Mes chers compatriotes, nous avons le même

amour pour la patrie, le même zèle pour le triomphe de la liberté, la même idée des droits du peuple et des citoyens, le même attachement aux principes d'une bonne Constitution, les mêmes notions sur les devoirs des autorités constituées, les mêmes sentiments sur l'infidélité des représentants de la nation, la même opinion de la perfidie de la Cour, des machinateurs au timon des affaires, des traîtres qui commandent nos armées, des administrateurs de district et de département, des juges et autres fonctionnaires publics, conjurés avec le Cabinet des Tuileries, la même crainte des dangers qui menacent la chose publique, la même persuasion que le salut public doit être, dans les temps de crise, la loi suprême de l'État.

« C'est pour concourir à sauver la patrie que vous vous êtes rendus dans la capitale. Votre présence y fait pâlir les ennemis du bien public, qui ne sont plus occupés qu'à imaginer quelque artifice pour faire échouer vos généreux desseins. Déjà la Cour vous a fait circonvenir par ses émissaires, déjà ses suppôts ont cherché à vous endoctriner, déjà les nombreux essaims des contre-révolutionnaires ont travaillé à vous égarer par mille impostures, comme ils ont fait dans toutes les affaires importantes.

« De la sagesse et de la fermeté du parti que vous allez prendre dépend le salut public.

« Quelques-uns d'entre vous ont demandé, dans leurs pétitions, la suspension du pouvoir exécutif, un décret d'accusation contre le traître Mottié (Lafayette), le licenciement des états-majors de l'armée, la destitution des directoires de districts et de départements, le renouvellement des ordres judiciaires; de plus, que la Constitution ne serve plus à détruire la liberté.

Quelque nécessaires que soient ces mesures, elles doivent céder actuellement à des mesures plus urgentes.

« Je vous le répète, les puissances n'entreprendront rien contre nous, si nous tenons en ôtage le roi, sa femme et son fils; le seul moyen que vous ayez d'assurer le salut public est donc d'en prendre la garde avec les bataillons patriotes de Paris. Demandez aussi qu'un décret déclare traîtres à la nation les députés qui viendront à quitter leur poste, et qu'il soit licite de les assommer, s'ils y dérogent, à moins qu'ils ne soient chargés d'une mission publique. En attendant, demandez un renfort de bons patriotes dans vos départements, et faites sentir à vos concitoyens la nécessité de s'emparer de tous les arsenaux pour armer complétement le peuple » (Ami du peuple, no 675).

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Les conseils de l'ami du peuple portent enfin leurs fruits les patriotes et les fédérés se concertent, partout on sent qu'il faut en finir; ceux-ci, avec toutes les autorités conjurées avec le monarque contre les droits du peuple; ceux-là, avec les patriotes, dans le sang desquels il faut étouffer l'esprit de liberté qui, chaque jour, pousse des racines plus profondes.

Le besoin de se reconnaître fait lever tous les masques, grand avantage pour le peuple qui peut enfin compter le nombre de ses ennemis. De son côté, la royauté plus compromise se prépare au combat: les Suisses, casernés extra muros, sont appelés aux Tuileries; les partisans dévoués s'y rendent secrètement; les engins de guerre y sont accumulés; plusieurs portes sont murées et crénelées; le château n'est plus le temple du fétiche royal, c'est la forteresse du despotisme qui se dresse menaçante contre le peuple souverain. Le dévouement des satellites restés fidèles, le zèle des

royalistes, la puissance des moyens de répression, tout annonce une lutte prochaine et acharnée.

Le 28 juillet, au milieu de cette agitation fébrile, apparaît un manifeste menaçant. Le généralissime des armées austro-prussiennes, au nom de l'empereur et du roi de Prusse, enjoint au peuple français « ... d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la sûreté et la liberté dont il est privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité qui lui est due. - Sinon: - Que les membres des départements, des districts et des municipalités seront responsables sur leur tête. Que les habitants des villes, bourgs et villages qui oseraient se défendre contre les troupes de leurs majestés impériale et royale et tirer sur elles, soit en rase campagne, soit par les fenêtres, portes et ouvertures de leurs maisons, seront punis de mort et leurs maisons démolies ou brûlées.

« Tous les habitants de Paris, sans distinction, seront tenus de se soumettre sur-le-champ et sans délai au roi, etc., ou seront responsables de tous les événements et jugés militairement sans espoir de pardon. Si le château est forcé, s'il est fait la moindre violence au roi ou à la famille royale, il sera tiré une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale. »

Ce manifeste atroce et ridicule produisit un effet extraordinaire, mais tout opposé à celui qu'en attendaient leurs auteurs. Aussitôt les hommes timides, mais bien intentionnés, se groupent pour la défense commune autour des braves patriotes et des fédérés; la municipalité parisienne, menacée de la vengeance du

Don-Quichotte austro-prussien, brise les derniers liens qui l'attachent encore au pouvoir royal et se fait populaire; les Sections déclarent que Louis XVI a perdu leur confiance, qu'elles ne le reconnaissent plus pour roi des Français, jurent de vivre libres ou de mourir, et protestent que si l'Assemblée nationale ne prononce pas dans la journée la déchéance du roi, le peuple entier se lèvera.

A l'excès d'impudence des despotes ligués pour rétablir le parjure Louis XVI, vient s'ajouter celle des représentants du peuple français prostitués au monarque. Le 8 août, à la majorité de 480 voix contre 206, le conspirateur Mottier, marquis de Lafayette, est absous par l'Assemblée nationale, contrairement au vœu du peuple. Le 9, l'endormeur Condorcet fait ajourner la question de déchéance.

Plus de doute, les royalistes conjurés comptent sur l'invasion étrangère combinée avec un mouvement dans Paris; leurs actes sont autant de défis jetés au peuple.

Dans ces conjonctures périlleuses, les Sections s'assemblent pour reconstituer la municipalité, et un comité insurrectionnel est formé pour diriger les opérations. Santerre est nommé au commandement général de l'armée parisienne. Partout le travail est suspendu, partout dans les Sections on s'organise militairement. Panis, à la Commune, fait distribuer 5,000 cartouches. Le bataillon marseillais quitte ses quartiers, trop éloignés, et se réunit à la section des Cordeliers. Santerre et Westermann sont au faubourg Antoine; Fournier au faubourg Marceau; Héron et Lajouski rassemblent les fédérés; Danton et Desmoulins sont aux Cordeliers; le tocsin sonne, tout s'ébranle pour la lutte suprême, malheur aux vaincus!...

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