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dans la sanction des lois; mais il n'a pas même songé aux moyens de n'être pas remis sous le joug. Au lieu de s'armer complètement, il a souffert qu'une partie seule des citoyens le fût; puis il s'est abandonné à la foi de ses mandataires, et il a pris avec les ennemis de la Révolution précisément le contre-pied de ce qu'il devait faire. Loin de les attaquer sans délai et de les accabler sans relâche, il s'est tenu lui-même sur la défensive; et, par cette fausse mesure, il a stupidement renoncé à tous ses avantages, car le pis qui puisse arriver à des machinateurs, c'est de ne pas toujours réussir; en échouant, ils ne perdent même que du temps, quitte à mieux prendre leurs mesures la première fois. Or, il est impossible d'être toujours sur ses gardes, et la moindre négligence devient souvent fatale. Jugez où doivent mener l'incurie et le sommeil léthargique du peuple.

« Tous ceux qui prétendent nous rassurer sur notre situation déchirante attribuent nos malheurs au défaut de lumière du peuple; et je le crois comme eux, pourvu qu'ils n'en fassent pas une cause exclusive. Puis, pour nous animer de l'espoir qui repose au fond de leur cœur, ils ajoutent qu'il est dans la nature des choses que la marche de la raison soit lente et progressive. Cela est vrai pour le petit nombre des hommes qui pensent; mais il n'est point de progrès, de raison et de lumières pour la masse du peuple, quoiqu'elle paraisse quelquefois renoncer à certains préjugés ou plutôt en changer. Elle manque et manquera toujours de sagacité pour découvrir les piéges de ses ennemis. Et les discussions politiques ont toujours été, sont et seront toujours au-dessus de sa partie. Supposez en sa faveur le concours des circonstances les plus favo

rables, jamais elle ne sera en état d'analyser un décret, d'apercevoir ce qu'il y a de captieux, d'en déduire les conséquences, d'en prévoir les suites et d'en présager les effets. S'il fallait ici un exemple tranchant de cette triste vérité, je dirais qu'en dépit des discours éternels de nos sociétés patriotiques et de ce déluge d'écrits dont nous sommes inondés depuis trois ans, le peuple est plus éloigné de sentir ce qu'il lui convient de faire pour résister à ses oppresseurs, qu'il ne l'était le premier jour de la Révolution. Alors il s'abandonnait à son instinct naturel, au simple bon sens qui lui avait fait trouver le vrai moyen de mettre à la raison ses implacables ennemis.

« Dès lors, endoctriné par une foule de sophistes payés pour cacher, sous le voile de l'ordre public, les atteintes portées à sa souveraineté, pour couvrir du manteau de la justice les attentats contre ses droits, pour lui présenter, comme moyen d'assurer sa liberté, les mesures prises pour la détruire; leurré par une foule d'endormeurs intéressés à lui cacher les dangers qui le menacent, à le repaître de fausses espérances, à lui recommander le calme et la paix; égaré par une foule de charlatans intéressés à vanter le faux patriotisme des fonctionnaires publics les plus infidèles, à prêter des intentions pures aux machinateurs les plus redoutables, à calomnier les meilleurs citoyens, à traiter de factieux les amis de la Révolution, de séditieux les défenseurs de la liberté, de brigands les ennemis de la tyrannie; à décrier la sagesse des mesures proposées pour assurer le triomphe de la justice, à faire passer pour des contes les complots tramés contre la patrie, à bercer le peuple d'illusions flatteuses, et à cacher sous l'image trompeuse du bonheur le précipice

où l'on cherche à l'entraîner; trompé par les fonctionnaires publics coalisés avec les traîtres et les conspirateurs pour retenir son indignation, étouffer son ressentiment, brider son zèle, enchaîner son audace en lui prêchant sans cesse la confiance dans ses magistrats, la soumission aux autorités constituées et le respect aux lois; enfin, abusé par ses perfides représentants, qui le berçaient de l'espoir de venger ses droits, d'assurer sa souveraineté, d'établir le règne de la liberté et de la justice, il s'est laissé prendre à tous leurs piéges. Le voilà enchaîné au nom des lois, tyrannisé au nom de la justice; le voilà constitutionnellement esclave; et aujourd'hui qu'il a renoncé à son bon sens naturel, pour se laisser aller aux discours de tant d'imposteurs, il est loin de regarder comme ses plus mortels ennemis ses lâches mandataires et tous ces scélérats qui ont abusé de sa confiance; il est loin de regarder comme la source de tous les maux ces décrets funestes qui lui ont enlevé sa souveraineté, qui ont réuni entre les mains du monarque tous les pouvoirs, qui ont rendu illusoire la Déclaration des Droits; il est loin de fouler aux pieds cette constitution monstrueuse pour le maintien de laquelle il va bêtement se faire égorger chez l'ennemi; il est loin de sentir que l'unique moyen d'établir la liberté et d'assurer son repos, était de se défaire sans pitié des traîtres à la patrie et de noyer dans leur sang les chefs des conspirateurs » (Ami du peuple, no 667).

« J'ai développé tant de fois les vices de la constitution, je me suis. récrié tant de fois contre les moyens de séduction placés dans les mains du prince, je me suis élevé tant de fois contre la vénalité des fonctionnaires publics, j'ai prédit tant de fois que la nouvelle

machine du gouvernement ne marchera point ou ne marchera que pour écraser les amis de la liberté, que cette vérité, toujours confirmée par de cruels événements, commence à percer dans le peuple. Aussi quelques écrivains patriotes se sont-ils hasardés, dans ces derniers temps, à proposer une Convention nationale pour réformer la constitution contre la lettre de la constitution elle-même. Mesure trop tardive; il n'est plus temps de songer à cet expédient, que je n'ai cessé de conseiller lorsqu'on pouvait encore y recourir avec succès. Aujourd'hui les ennemis de la liberté ont mille moyens de s'y opposer, mille moyens de le faire tourner contre la nation elle-même, par le mauvais choix de ses représentants extraordinaires. Et fût-il excellent ce choix, le prince ne trouverait-il pas moyen de corrompre les membres d'une Convention nationale, comme il a trouvé celui de corrompre les membres du Corps législatif? Enfin, les mêmes obstacles qui s'opposent à la formation d'un Corps législatif pur s'opposent encore plus à la formation d'une Convention nationale incorruptible; car où trouver onze cents hommes éclairés et vertueux, onze cents apôtres de la liberté, onze cents sages?

« Amis de la patrie! sachez d'abord ce que vous devez attendre de vos concitoyens, et proposez-nous ensuite vos vues. Quoi! vous supposez dans la masse du peuple un civisme soutenu, aussi ardent qu'éclairé ? Mais qu'est-ce que la liberté pour l'aveugle multitude condamnée sans retour à passer sa vie dans la peine, et que la crainte de périr de faim réduit toujours à une espèce de servitude ?

« A l'égard des citoyens qui ont quelque aisance, mais qu'une éducation négligée éloigne des emplois,

les besoins de la vie les rendent tous cupides, avares et rampants. Quant à ce petit nombre de citoyens sans ambition et qui ne veulent pas rompre, s'ils ont d'abord montré quelque patriotisme, l'indigne traitement qu'ils ont éprouvé de leurs propres mandataires, et les dangers qu'ils ont courus à se déclarer pour la patrie, les ont bientôt détachés d'une cause qui flattait leur cœur et les ont forcés au silence, s'ils ne leur ont pas même inspiré des sentiments anti-civiques.

<< Parmi cette foule d'intrigants qui s'agitaient dans les assemblées pour afficher un faux civisme et capter les suffrages, s'en est-il trouvé un seul qui n'ait cherché son avancement dans sa vénalité, qui n'ait apostasié aussitôt qu'il a pu se vendre, et qui n'ait grossi sa fortune en trafiquant des droits du peuple et de ses intérêts les plus chers? C'est donc se reposer sur des chimères que de supposer des vertus dans les fonctionnaires publics et les représentants du peuple; comme c'est bâtir sur le sable que de supposer dans le peuple un civisme éclairé et soutenu. Au lieu que les moyens que j'ai proposés pour établir et cimenter la liberté étaient aussi simples que pratiques. Je n'attendais de la plèbe que quelques accès de fureur civique, tels que ceux qui l'avaient saisie tant de fois; mais j'exigeais qu'on la laissât faire. Or, elle connaissait parfaitement ses implacables ennemis, et elle avait toujours sous la main. les moyens de s'en débarrasser. C'est donc la garde nationale seule qui a perdu la liberté par son empressement stupide à s'opposer aux exécutions populaires. Pour lui inspirer ce zèle aveugle, un décret captieux lui en fit d'abord un devoir. J'avais réussi à dissiper le prestige, et déjà la partie saine de l'armée parisienne avait senti la nécessité d'abjurer la funeste doctrine de

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