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tribune d'un air menaçant. Il est temps, ajoute Beugnot, de savoir quelle autorité doit l'emporter de celle qui est établie pour faire respecter les lois ou de celle qui nous déchire. Je demande que le ministre de la justice soit mandé, séance tenante, et qu'il lui soit enjoint d'ordonner aux accusateurs publics de poursuivre les auteurs et distributeurs des écrits qui provoquent la désobéissance aux lois, ainsi que les violences et voies de fait contre les magistrats.

Bazire convient que le reproche adressé à l'ami du peuple est grave; mais il observe qu'il y a une loi et qu'il est inutile d'en rendre une nouvelle.

Vaublanc se déchaîne contre l'ami du peuple, qui invitait le peuple à porter le fer et le feu sur les membres gangrenés de l'Assemblée nationale pour assurer le salut public.

Girardin, afin de voiler aux yeux du public l'acharnement des fripons de l'Assemblée contre l'Ami du peuple, demande qu'on lui associe l'Ami du roi.

Lostalat, petit esprit des Basses-Pyrénées, déclare qu'un homme revêtu de la livrée du roi lui a offert l'Ami du peuple pour rien.

Lasource dit bêtement que Marat, auteur de l'Ami du peuple, et Royou, de l'Ami du roi, sont des scélérats soudoyés par la même main pour provoquer la guerre civile, la défection de nos armées et la désorganisation sociale, et il conclut à ce qu'un décret d'accusation soit porté contre Marat et Royou.

Cette conclusion est appuyée avec force par l'impudique Guadet. Après une longue agitation et un tumulte d'environ trois heures, le décret d'accusation a été porté individuellement contre les deux écrivains.

L'infâme Dumolard, craignant de perdre le fruit de

cet accès de démence, demande qu'on s'assure à l'instant de la personne des accusés.

Cette proposition adoptée, les meneurs décident que les scellés seront mis au domicile et chez les imprimeurs de ces deux journalistes.

Il faudrait être bien aveugle pour ne pas voir que l'Assemblée n'a lancé un décret d'accusation contre Marat que pour anéantir la liberté de la presse, en écrasant les écrivains patriotes dans la personne de l'ami du peuple. Et qui ne sent qu'elle ne lui a accolé le contre-révolutionnaire Royou qu'afin de donner le change au public, en faisant passer pour patriote son lâche persécuteur, odieux artifice bien digne des mandataires qui abusent des pouvoirs et de la confiance du peuple.

Les preuves de cette fourberie sont sans réplique : c'est qu'on n'a pas fait la moindre démarche, ni contre Royou, ni contre son imprimeur; tandis qu'on a mis sur pied cinq cents mouchards pour découvrir Marat, et qu'on a saccagé l'imprimerie de son éditeur; c'est que Royou est tranquillement chez lui à continuer ses feuilles anti-patriotiques, que Dumas, Chéron, Vaublanc, Lagrevole, Pastoret Jaucourt, Ducastel, font régulièrement passer dans tous les départements, sous le couvert de l'Assemblée nationale; tandis que tous les alguazils de la pousse sont aux trousses de Marat et de son publicateur; c'est que l'Assemblée a enjoint au ministre de la justice de dénoncer Marat, et qu'elle ne lui a pas fait la moindre injonction contre Royou qu'elle protége; c'est que le ministre de la justice. a dénoncé au commissaire du roi, près le Tribunal criminel de Paris, le n° 645 de l'Ami du peuple, et qu'il a gardé le silence sur les écrits de l'Ami du roi.

Il est donc démontré que les faux patriotes et les fripons de l'Assemblée nationale ne sont entrés en fureur contre l'ami du peuple, que parce qu'il leur arrachait le masque; que parce qu'il éventait leurs complots et faisait échouer leurs machinations contrerévolutionnaires. Il est donc évident qu'ils n'ont feint de lui associer un écrivain prostitué au despotisme, que pour en imposer au peuple sur le compte de Marat, son incorruptible défenseur. Il est donc notoire que tout en se livrant à leur rage, ces indignes mandataires n'ont pas laissé que de jouer une scène de tartuffes pour voiler leurs scélératesses et immoler l'ami du peuple avec le glaive des lois. Mais admirez leur inconséquence, leur perfidie. Ils ne se sont réservé le droit de porter un décret d'accusation que contre les crimes de lèse-nation; et le prétendu délit de l'ami du peuple n'a pu être rangé dans cette classe que pour le faire périr plus sûrement; au lieu de le traduire devant la haute cour nationale, chargée d'en connaître, ils le traduisent devant le Tribunal criminel de Paris. Dans ce cas, le corps. législatif a donc usurpé les fonctions de juré d'accusation, après avoir rempli celles de délateur ministériel.

Ce décret n'est pas moins honorable pour moi, ajoute Marat, qu'il est honteux pour ceux qui l'ont rendu; si j'en deviens la victime; je périrai en martyr de la liberté, dont je fus toujours l'apôtre. En attendant, la prudence veut que je me mette à couvert de leurs griffes, et l'amour de la patrie me fait un devoir d'achever de les couvrir d'opprobre.

Comme de fait, Marat va continuer la publication de sa feuille, en dépit même du décret d'accusation,

des recherches de la police, et des difficultés à trouver un nouvel imprimeur.

C'était bien déclarer aux ennemis du bien public que la guerre entre eux et lui serait sans paix ni trève, tant que les dépositaires de l'autorité machineraient contre la liberté et les droits du peuple.

Marat vient d'être odieusement accusé, et pas une voix dans l'Assemblée des représentants, pas un citoyen qui se soit levé pour le défendre. Mais ce n'est pas assez d'avoir décrété d'accusation l'ami du peuple, sous prétexte de pourvoir à la sûreté publique, les ministériels de l'Assemblée viennent de renouveler le honteux stratagème employé par l'Assemblée constituante, après le massacre du Champ-de-Mars, pour découvrir l'asile de l'ami du peuple. « Tous les citoyens et habitants de Paris seront tenus de déclarer au comité de leur section les Français ou étrangers qui demeureront chez eux, sous peine d'une amende et de trois mois de prison. Tout portier, concierge ou logeur, dont les propriétaires seront absents, feront la même déclaration, sous peine d'être condamnés à 100 livres d'amende et à trois mois de prison. Le délai de huit jours est accordé pour faire ces déclarations. >>

<< Parisiens, rappelez-vous qu'après le massacre du Champ-de-Mars, on prétendait que les hôtels étaient remplis d'émigrés..... Tout Paris fut fouillé, excepté les hôtels des émigrés, car on ne voulait que découvrir l'asile des défenseurs intrépides de la patrie. Aussi n'arrêta-t-on pas un seul des hommes sans aveu qui infestaient Paris; mais on jeta dans les fers une foule de citoyens qui s'étaient distingués par leur zèle pour la patrie, et on ne cessa ces recherches inquisitoriales, au bout de six semaines, que lorsqu'on eut désespéré

de déterrer l'ami du peuple. N'en doutez pas, les nouvelles recherches que vont ordonner les pères conscrits ont précisément le même but, elles auront les mêmes suites.

Après le décret d'accusation rendu contre Marat, il ne restait à l'ami du peuple d'autre ressource pour se soustraire au glaive de ses ennemis, qu'à reprendre la vie souterraine à laquelle il avait été contraint tant de fois depuis qu'il avait entrepris, comme publiciste, la grande œuvre de la revendication des droits du peuple. Ainsi donc qu'il l'avait annoncé, il va continuer à couvrir d'opprobre les lâches machinateurs qui conspirent en faveur du despotisme royal. Sa feuille continuera de paraître, mais que d'obstacles l'auteur aura à surmonter pour livrer au public, tous les deux ou trois jours, un nouveau numéro pendant le mois de mai, et pour en faire paraître cinq seulement durant tout le mois de juin 1792. Aux entraves apportées par la police, se joindra le défaut de lumière ou de patriotisme de l'éditeur, qui tronquera, intervertira, mutilera à son gré des feuilles que l'ami du peuple ne peut ni revoir ni corriger; Marat verra même, sans pouvoir y remédier à temps, son journal servir à faire l'éloge de Servan, ministre de la guerre, par l'éditeur lui-même, à l'instigation de quelque sot clubiste ou de quelque meneur ministériel; il verrà ses confrères en journalisme abuser indignement de son absence forcée, faire cause commune avec la faction qui l'a décrété d'accusation et insulter à son malheur en dénaturant ses intentions les plus pures, en éveillant des doutes sur son patriotisme, son courage; et pour comble à ce martyre sans cesse renaissant, il verra ces fameux Jacobins, ces Cordeliers si patriotes, si enthousiastes

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