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jetons un coup d'œil sur les nouveaux ministres, tout aussi dévoués à la cour que leurs indignes prédécesseurs sous la Constituante, et voyons, sous la Législative, comment est interprété le fameux décret qui consacre la responsabilité ministérielle.

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On sait que tous les cahiers des députés aux États généraux avaient fait un point capital de la responsabilité des ministres. A l'ouïe du décret qui la consacre, le peuple crut avoir ville gagnée; il chanta victoire et ne s'aperçut point qu'en réservant au Corps législatif le droit de décider si les ministres seraient ou ne seraient pas pris à partie, les pères conscrits, prostitués à la cour, rendaient la responsabilité complétement dérisoire. Révoltée des machinations éternelles de l'ancien cabinet, la nation entière n'a cessé, pendant six mois, de dénoncer les Guignard, Latour-du-Pin, Laluzerne, Montmorin et Champion, comme des traîtres et des conspirateurs. Qu'y a-t-elle gagné? Ils ont paisiblement quitté le timon des affaires. Dès lors, leurs successeurs, Fleurieu et Thévenot, ont de même quitté la partie, pour se soustraire aux recherches de leurs machinations. Le pis-aller, pour un ministre infidèle, concussionnaire, dilapidateur, traître et conspirateur, est donc de ne pas réussir à consommer en paix ses noirs desseins, et de quitter sa place comblé des faveurs de la cour.

Croyez-en l'ami du peuple: tant que la couronne sera héréditaire, le prince sera l'éternel ennemi de la nation, et ses ministres ne seront jamais que des fripons payés pour exécuter ses funestes projets.

C'est sur cette maxime d'éternelle vérité que nous devons juger les Duport-du-Tertre, Duportail, Bertrand de Molleville, Tarbé, Valdec, etc. Tant qu'ils

n'oseront afficher publiquement leur prostitution, ils s'attacheront à en imposer au législateur. C'est donc une stupidité de renvoyer au pouvoir exécutif la réparation des attentats ministériels; comme c'est une singerie de renvoyer à des comités corrompus par les ministres la réparation des malversations des agents royaux ou ministériels. Ce vice est dans la Constitution elle-même, où il est dit que les ministres ne pourront être recherchés pour fait d'administration qu'autant que le législateur les aura déclarés recherchables. La crainte de faire perdre aux ministres tout leur temps à se justifier a été le prétexte frivole dont on a motivé cette loi funeste; et l'on n'a pas voulu voir que l'impunité dont on les a environnés, comme d'un mur d'airain, est précisément la cause de leur audace à violer les lois et à machiner contre la patrie.

Pour réprimer les abus du pouvoir ministériel, il fallait que tout homme qui en aurait été la victime fût autorisé à prendre à partie le ministre délinquant; seul moyen de les rendre extrêmement rares, si ce n'est d'en tarir la source. Sans ce droit sacré, dont un législateur ennemi de la liberté pouvait seul priver les Français, il est impossible de jamais mettre un frein aux malversations des agents de l'autorité, ni un terme aux machinations de nos ministres.

Voyons maintenant à l'œuvre les différents pouvoirs dont nous venons de faire connaître l'esprit général.

C'est en silence et dans les ténèbres, que le traître Duportail poursuit les noirs projets de ses prédécesseurs. Depuis son avénement au ministère, il feint de rétablir les fortifications de nos places démantelées; il retire peu à peu les garnisons de celles qui pourraient arrêter l'ennemi; il laisse nos forteresses sans munitions, ou

ne leur donne que des poudres grasses, des canons égueulés et des boulets hors de calibre, pour remplacer les 1,400 pièces d'artillerie qu'on voit en ce moment à Luxembourg, et que Latour-du-Pin a fait retirer des places fortes de l'Alsace et de la Lorraine, au commencement de la Révolution, pour armer les fugitifs rebelles et les brigands qu'ils ont à leur solde.

De son côté, le tartuffe Montmorin ne cesse, depuis la prise de la Bastille, de soulever contre nous les puissances étrangères et de nous cacher leurs dispositions, leurs mouvements. Ses manœuvres et l'or de la nation ont enfin triomphé; la ligue est formée. L'Allemagne, la Prusse, la Suède, l'Espagne, les DeuxSiciles, la Sardaigne, se sont conjurées pour nous remettre aux fers; elles viennent de rappeler leurs ambassadeurs pour se réunir au congrès d'Aix-laChapelle, et concerter leurs opérations sanguinaires.

Déjà, de tous les coins du royaume, sont accourus vers les provinces autrichiennes des nuées de contrerévolutionnaires pour s'enrôler sous les drapeaux des capets fugitifs et ne rentrer dans nos provinces que le fer et le feu à la main. Presque tous les officiers de l'armée de ligne désertent leurs drapeaux, tandis que le général Mottier quitte lui-même l'armée parisienne, qu'il a métamorphosée en légions prétoriennes, pour aller travailler pareillement l'armée de ligne, et combiner le plan d'attaque avec son parent et complice l'infâme Bouillé.

Pour triompher des maux sans nombre qui menacent la patrie, il faudrait tout l'enthousiasme de la liberté ; encore la victoire coûterait-elle des torrents de sang.

Dans cette expectative, que fait l'Assemblée nationale? Depuis trois semaines, elle a ouvert ses séances

et rien encore n'est sorti de son sein qu'un seul beau décret, sur le cérémonial à observer à l'égard du roi, vis-à-vis de l'Assemblée; décret qu'elle s'est empressée d'annuler le lendemain, comme si elle avait eu regret de s'être montrée patriote un instant; comme si elle avait rougi d'avoir voulu venger un instant la majesté nationale. Dès lors, elle a consommé le temps à faire quelques règlements, à recevoir les visites ou les messages importuns des ministres; à donner audience aux corps qui venaient la flagorner; à écouter les adresses de félicitation des sots qui l'applaudissent, les vains discours de ses membres, les homélies des jongleurs payés pour la distraire, et à renvoyer à ses comités les plaintes des opprimés qui réclament justice.

L'analyse des séances de cette nouvelle législature n'est qu'un affligeant tableau qui expose à tous les regards l'impéritie des uns, la fourberie et le machiavélisme des autres. Un député patriote réclame-t-il contre plusieurs vices dans la rédaction du procèsverbal, l'Assemblée lui ferme la bouche par l'ordre du jour. Un Cérutti propose-t-il de voter des hommages aux Constituants, l'Assemblée adopte les plates adulations de ce flagorneur. Des députés patriotes sontils insultés, menacés dans le lieu même du Corps législatif, s'ils s'en plaignent hautement, à l'instant les ministériels crient haro! et l'Assemblée passe à l'ordre du jour. Des députés demandent-ils la suppression des tribunes privilégiées, toujours occupées par des ennemis publics, l'Assemblée passe à l'ordre du jour. Un député patriote dénonce-t-il les malversations d'un ministre, aussitôt les ministériels poussent les hauts-cris, et la docile Assemblée passe à l'ordre du jour. L'Assemblée est-elle informée par les départements frontières de

l'émigration inquiétante des officiers, l'Assemblée, toujours conduite par les meneurs ministériels, renvoie effrontément l'affaire au pouvoir exécutif, premier auteur de ces malversations. Ose-t-on se plaindre que la Constituante a autorisé la sortie d'armes, chevaux, munitions, et en faire sentir les dangers dans la situation actuelle, les ministériels font écarter ces justes plaintes et la coupable Assemblée passe à l'ordre du jour. Dénonce-t-on les prêtres fanatiques, semant en tous lieux la révolte; réclame-t-on contre l'iniquité du ministre, qui, au mépris de l'amnistie générale, retient encore des patriotes dans les fers, aussitôt se présente un endormeur de la bande infernale des suppôts de tyrannie, il excuse ou blanchit les coupables auteurs de ces forfaits, et l'Assemblée subjuguée passe à l'ordre du jour.

Rentrez donc en vous-mêmes, législateurs indignes, et convenez de votre lâcheté ou de votre impuissance, puisque les pères conscrits constituants ont livré la nation, pieds et mains liés, entre les mains de son premier agent, après avoir assuré l'impunité à tous ses suppôts.

Voilà les effets nécessaires des vices de cette Constitution, tant vantée, tant prônée par les sots, et que l'on prendrait pour un monument d'imbécillité, si elle n'était pas l'ouvrage de l'astuce et de la perfidie.

Je ne vois qu'un seul moyen de rétablir l'ordre dans l'État : c'est que la nation, soulevée à la fois dans tous les coins du royaume, fasse main-basse sur les meneurs des ennemis publics, passe l'éponge sur tous les décrets des pères conscrits, expulse le despote avec tous les siens, arme tous les membres de l'État et charge quelque tête saine de lui proposer une Constitution

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