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ramène l'armée victorieuse contre la capitale pour faire triompher le despote» (Ami du peuple, no 639).

L'histoire est là pour témoigner en faveur des pronostics de l'ami du peuple; mais c'était moins perspicacité que sage application de l'expérience et connaissance parfaite du mobile de tous les ambitieux.

« Jetons ici un coup-d'œil sur les hommes qui se trouvent actuellement à la tête de nos armées. C'est un Luckner, officier de fortune, créature de la cour et bas valet du monarque; c'est un Rochambeau, vil courtisan, couvert des hochets de la cour; c'est un Mottier, aussi connu par ses affreuses machinations contre la liberté publique, que par ses honteuses prostitutions à la cour; c'est un Gouvion, âme damnée de Mottier et complice de tous ses attentats; c'est un Lameth, lâche courtisan, couvert de honte et d'opprobre par son hypocrisie et ses trahisons; c'est un Narbonne, enfant de cour, expulsé du ministère par la voix publique, comme le plus audacieux des conspirateurs » (Ami du peuple, no 640).

Si nous reportons nos regards vers la municipalité parisienne, nous voyons Pétion, le maire patriote, compromettre sa réputation par sa pusillanimité à dévoiler les malversations du comité des subsistances, complice de Necker, Bailly et les Constituants, au moment ou l'Assemblée législative s'apprête à renouveler ces infernales machinations contre les malheureux

habitants d'Étampes; par la pusillanimité avec laquelle il a souffert que des mouchards et coupe-jarrets de l'état-major parisien insultassent, dans ses fonctions, et sous ses yeux le procureur-syndic de la municipalité, le brave Danton, qui réclamait l'exécution d'une loi juste, et qui défendait avec courage la cause

de la liberté; par ses accointances avec de mauvais citoyens, des fonctionnaires publics décriés, d'infidèles représentants de la nation, un Lasource, un Rhoderer, un Brissot.

Quant au ministère jacobin, plus soucieux de seconder les vues secrètes de la cour que jaloux de travailler au bien public, il prétexte violation du droit des gens pour déclarer la guerre au roi de Sardaigne.

Ces masques arrachés, tous les complots de la cour paraissent à découvert; la coalition du ministère avec les députés de Paris et de la Gironde, coalisés euxmêmes avec les royalistes les plus gangrenés, cesse d'être un mystère; tous les fléaux de la guerre extérieure et de la guerre civile que le cabinet des Tuileries appellent depuis si longtemps sur la patrie sont prêts à fondre à la fois sur nous. Déjà le roi de Sardaigne s'est déclaré comme celui de Hongrie; ceux d'Espagne, de Portugal, de Naples, de Suède, vont suivre le même exemple; bientôt l'Impératrice de Russie se joindra à la ligue des despotes conjurés, et la France aura sur les bras six cent mille hommes qui l'attaqueront par mer et par terre.

Voilà donc la guerre déclarée; il ne nous reste plus qu'à attendre les évènements. En attendant, jetons un coup d'œil sur la Société des Jacobins, agitée en ce moment par une nouvelle faction dont Brissot est le chef. Ce sujet va fournir l'occasion de juger l'un par l'autre deux hommes: Robespierre et Marat, que fourbes et ignorants se plaisent à confondre..

Voici le principe de cette agitation, peu fait pour honorer les meneurs et leurs acolytes.

On se souvient que sept ou huit députés seulement

de l'Assemblée nationale constituante sont sortis purs des tentations, tant de fois offertes à leurs vertus, pour trahir leur devoir. Rappelons ici des noms chers à tous les vrais patriotes, ceux de Buzot, de Grégoire, de Pétion, à la tête desquels est celui de Robespierre. En quittant les augustes fonctions de membre du corps législatif, le soin de sa propre gloire appelait Robespierre à servir la patrie dans la retraite; parti qui lui eût fait prendre à coup sûr une profonde connaissance des hommes. Il n'écouta que les penchants de son cœur, et il resta au milieu des Jacobins, dans ce tourbillon d'intrigants (1), qu'il avait la bonhomie de regarder comme de vrais amis de la liberté.

Les hommes médiocres ne s'accoutument point aux éloges d'autrui; les hommes suspects prennent toujours de l'ombrage de la vertu austère; le public lui-même aime à changer de héros. Ces sentiments sont trop naturels au cœur humain pour qu'il soit possible de les heurter impunément. C'est pour n'en avoir tenu aucun compte que Robespierre est en butte aujourd'hui à tous les traits de l'envie. La gloire dont il s'est couvert en défendant avec constance la cause du peuple, et la faveur populaire devenue le juste prix de ses vertus civiques, offusquèrent bientôt ceux de ses collègues qui avaient démérité de la patrie; de même que les nouveaux députés, prétendus patriotes, jaloux des applaudissements qu'il recevait du public et qu'ils auraient voulu partager sans les avoir mérités.

Ils commencèrent donc les uns et les autres à lui chercher des torts; mais le plus grave reproche qu'ils

(1) J'excepte toujours de cette classe les citoyens qui ne s'y sont affiliés que pour s'instruire, et non pour jouer un rôle. (MARAT.)

lui fassent est de parler souvent de lui, des services qu'il a rendus à la chose publique et de ceux qu'il voudrait lui rendre encore, comme si un citoyen perpétuellement inculpé par les ennemis de la révolution, couverts d'un masque civique, n'était pas souvent réduit à la triste nécessité de se justifier. Et ce sont des députés du peuple, chargés d'acquitter leur dette envers tous ceux qui ont bien mérité de la patrie, qui s'attachent à de pareilles petitesses, pour traiter avec la plus noire ingratitude l'homme qui la servit si longtemps avec zèle, au péril même de ses jours.

Du moins s'il n'était pas en butte aux lâches menées de la faction Guadet, Brissot, pour avoir combattu, au sein même de Jacobins, le projet de guerre que le sieur Mottier y fit proposer par ces mêmes faux patriotes.

Tandis que Brissot accuse Robespierre d'être chef de parti et de diriger les tribunes; tandis qu'il le calomnie et le fait calomnier par cent plumes vénales, Guadet, digne acolyte des nouveaux meneurs vendus à Mottier, se redresse sur ses ergots pour lui décocher quelques ruades. Cet intrigant met au nombre des griefs qu'il allègue contre Robespierre « celui d'être devenu, soit par ambition, soit par malheur, l'idole du peuple; de chercher tous les jours à le devenir davantage; d'avoir déserté le poste où la confiance et l'intérêt du peuple l'avaient appelé (1), et celui de ne s'être pas imposé à lui-même la loi de l'ostracisme »; comme si un simple citoyen, ayant à peine six cents livres de rente et n'ayant pas un sol de la liste civile, avait d'autres moyens de gagner le peuple, dont il défend les

(1) Accusateur public près le Tribunal de cassation.

droits et les intérêts, que ses seules vertus civiques; comme s'il pouvait servir la chose publique dans un tribunal où il ne se trouve pas deux hommes intègres; comme s'il pouvait rester à son poste et s'imposer en même temps la loi de l'ostracisme; comme si un individu qui n'a pour toute puissance que sa faible voix, dont les intrigants, les hypocrites, les fourbes sont toujours attentifs à le condamner au silence, et toujours prêts à le huer lorsqu'il entreprend de les démasquer, pouvait jamais devenir redoutable; comme si un homme qui n'a d'autre empire sur un peuple ignorant, léger, inconstant et frivole, que celui de la raison, pouvait jamais mettre en danger la liberté publique par son crédit et être appelé pour l'assurer à quitter sa patrie.

Enfin, et c'est le comble de la démence, Guadet accuse Robespierre « de faire écrire dans le journal l'Ami du peuple, dont il dispose, que le moment est venu de donner un dictateur à la France; au moment même où il cherche à affaiblir la confiance du peuple dans la majorité de ses représentants. » Ce dictateur, c'est sans doute Robespierre lui-même, comme un compère de Guadet vient bêtement d'accuser l'ami du peuple de l'avoir indiqué dans sa feuille.

Cette inculpation, dit Marat, me regarde personnellement. Or, je dois ici une réponse précise et catégorique aux citoyens trop peu éclairés pour en sentir l'absurdité. Je déclare donc que non-seulement Robespierre ne dispose point de ma feuille, quoiqu'elle ait souvent servi à lui rendre justice; mais je proteste que je n'ai jamais reçu aucune note de lui, que je n'ai jamais eu avec lui aucune relation directe ni indirecte, que je ne l'ai même jamais vu de mes jours qu'une seule fois; encore cette fois-là notre entretien servit-il à faire

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