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Ainsi, tandis que les fastueuses prodigalités du révocateur de l'édit de Nantes ruinaient le pays; tandis que les spirituelles orgies de la régence, les immorales profusions de l'amant couronné des Pompadour et des Dubarry épuisaient la fortune publique, déconsidéraient la majesté royale, un mouvement intellectuel immense s'opérait.

D'une part, les idées avaient acquis cette vigueur nécessaire pour franchir l'espace qui sépare la pratique de la théorie; de l'autre, les leçons de la philosophie, au dix-huitième siècle, s'étaient non-seulement infiltrées dans les rangs secondaires, mais, pénétrant la couche endurcie des préjugés, elles avaient ébranlé de vieilles convictions, et fait des prosélytes même parmi les hommes intéressés à la proscrire.

Il ne fallait plus, pour leur donner l'essor, pour qu'elles pussent se traduire en faits, qu'une cause déterminante. L'avènement au trône d'un roi vertueux, mais trop faible dans ces grandes circonstances, fut l'instant marqué pour l'irruption qui devait tout briser pour tout reconstruire.

Qu'on mette en présence l'état des choses à cette époque et les besoins impérieux qui se faisaient généralement sentir; on comprendra toute l'imminence de la révolution de 89.

Avant cette rénovation sociale, la population était divisée en trois classes: la noblesse, le clergé, et le peuple, autrement dit le tiers état.

Le pouvoir civil, judiciaire, et militaire, était

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exercé par des privilégiés qui avaient acquis à prix d'argent ou qui possédaient par voie d'hérédité le droit d'exploiter leurs charges à leur profit personnel, bien plus que dans l'intérêt des populations. Ce n'était pas, comme aujourd'hui, des fonctionnaires salariés, révocables et responsables de leurs actes.

La vénalité des charges les assimilait à des propriétés; et, quelque mauvais usage qu'on en pût faire, l'autorité supérieure demeurait impuissante pour la répression, comme ceux qui en étaient victimes se trouvaient sans recours légal.

Dans un tel état de choses, les abus étaient d'autant plus criants, d'autant plus nombreux, que le pays ne possédait pas encore des institutions uniformes applicables à toutes les localités et à toutes les classes d'individus.

Chaque province avait ses lois, sa juridiction, ses coutumes, ses usages particuliers; d'où il résultait une espèce de chaos qui aidait puissamment à l'arbitraire. La complication s'augmentait par la diversité des mœurs, par les stipulations d'anciennes chartes, d'anciens traités spéciaux à telle ou telle partie du territoire, par la variété des idiomes, et par la différence des systèmes monétaires, des poids, des mesures, etc.

En outre de toutes ces causes de malaise pour la presque généralité des citoyens, il existait des exemptions nombreuses en faveur des deux premiers ordres de l'État et des établissements monas

tiques; d'où il suivait que les charges publiques pesaient principalement sur les classes les plus pauvres.

Rappelons encore les prérogatives attachées à la naissance, le mépris pour les sciences libérales, pour l'industrie et le commerce; mépris qui s'étendait, même dans l'armée, sur les officiers ayant obtenu leurs grades par leur mérite, et qu'on appelait avec dédain officiers de fortune.

Signalons aussi l'exclusion du tiers état de l'administration des affaires publiques; les entraves apportées au libre exercice des professions; les servitudes, les corvées, les dîmes, tristes vestiges de la féodalité; l'intolérance en matière religieuse; les conditions humiliantes imposées aux dissidents du catholicisme, aux sectateurs des autres religions.

Ajoutons enfin l'établissement arbitraire des impôts sans le concours du pays, et le gaspillage des deniers publics sans contrôle; abus irritants dont les excès n'étaient qu'accidentellement tempérés par la résistance des parlements.

Tel est, ce me semble, le tableau abrégé de notre ancien état social.

Voici maintenant la majeure partie des institutions que la révolution de 89 a substituées à ce régime, si peu en harmonie avec les exigences de la civilisation, avec les préceptes de l'humanité.

Division de la France en départements; abolition de tous les priviléges, des castes et de leurs prérogatives; suppression de la vénalité des charges;

création d'une administration homogène sur tous les points de la France, agissant dans le cercle de ses attributions avec responsabilité, et toujours dépendante de l'autorité gouvernementale, d'où résulte l'unité d'action, l'une des conditions les plus essentielles pour la bonne gestion des affaires du pays.

Égalité devant la loi pour tous, droit de recours et de pétition assuré à tous les citoyens.

Concours nécessaire de la nation représentée par ses mandataires, pour la confection des lois et pour le vote et la répartition de l'impôt.

Abrogation des lois, usages et coutumes en vigueur seulement dans quelques provinces.

Promulgation de nouvelles lois, embrassant dans leurs dispositions tous les besoins sociaux, obligatoires dans toute l'étendue de la France et pour tous les citoyens sans exception.

Liberté de la presse, sauf la répression des écarts. Libre exercice des cultes, et protection accordée à toutes les croyances religieuses; institution d'un clergé rétribué par l'État, sans priviléges, dont les membres sont assimilés, dans beaucoup de cas, aux fonctionnaires publics, et renfermé dans le cercle de sa mission spirituelle.

Création d'une magistrature de l'ordre judiciaire, de différents degrés, pondérée de manière à assurer la réforme des écarts, des erreurs, des fausses interprétations des lois, et soumise sur tous les points à une même jurisprudence.

Droits d'élection et d'éligibilité assurés à tous, aux conditions déterminées par les lois.

Intervention du pays, par le jury, dans le jugement des causes criminelles.

Faculté pour tous les citoyens de parvenir aux emplois publics, aux grades, aux honneurs.

Autorités municipales pour l'administration des

communes.

Les citoyens de toutes les classes (le clergé excepté) soumis aux lois de la conscription. Institution de la garde nationale.

Contrôle sévère par les chambres et par la cour des comptes de l'emploi des deniers publics.

Droit de chasse et de port d'armes étendu à tous aux mêmes conditions.

Suppression ou rachat des redevances et servitudes féodales.

Liberté dans l'exercice des professions; les arts, l'industrie, le commerce et l'agriculture protégés et honorés.

Encouragements donnés à l'instruction de toutes les classes de la société.

Je puis mettre encore au nombre des conquêtes modernes l'institution de la Légion d'honneur.

Il faut aussi rappeler que les réformes avaient atteint la royauté elle-même, puisque son pouvoir, renfermé dans les limites constitutionnelles, était soumis à l'autorité des lois.

Enfin, je ne dois pas oublier que la vente et le morcellement des biens du clergé et des émigrés

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