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longtemps dans mon esprit; toutes les heures dérobées aux devoirs de ma position commerciale, je les consacrais à l'étude des questions d'économie politique. Un sentiment instinctif, en quelque sorte, dirigeait ma pensée vers ces études, dont les circonstances rendirent l'intérêt plus palpitant chaque jour. Quand mes sympathies n'auraient pas été naturellement acquises aux sentiments libéraux, il serait difficile de croire que j'eusse pu me soustraire à l'influence d'une amitié éclairée. Vivant dans l'intimité de Casimir Périer, je connus ses principes, je les partageai; ceci explique assez pourquoi, en atteignant l'âge et les conditions prescrits pour l'exercice des droits électoraux, je mis en action, dans le cercle de ces mêmes droits, tout ce qu'il y avait en moi de force et de chaleur patriotiques.

Pendant près de dix années, je m'associai aux hommes indépendants et courageux qui s'efforçaient d'exercer une influence légitime dans les élections, pour contribuer au bonheur du pays par des institutions politiques appropriées aux besoins de notre époque. C'est chez moi qu'avaient lieu les réunions électorales et les scrutins préparatoires pour les élections du deuxième collége. Il fallut bien qu'on appréciât mon zèle puisque, du moment où les électeurs de l'opposition acquirent la majorité, je fus constamment nommé membre des bureaux définitifs du petit et du grand collége.

VII

Quelle était l'opinion publique lors du retour des Bourbons. Situation de la France sous la monarchie absolue. Réformes opérées par la révolution de 89. - Les fautes de la restauration. - Réflexions et remarques sur Charles X. -L'opposition pendant la restauration. - La société Aidetoi, le ciel t'aidera. L'adresse des 221.

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Peut-être il ne sera pas sans intérêt d'arrêter un moment nos regards sur la physionomie politique de la France à l'époque dont je viens de parler; mais, pour mieux juger l'ensemble des causes et des circonstances qui ont amené un changement de dynastie, je crois indispensable de reprendre d'un peu plus haut le cours des événements.

Quand les Bourbons, presque oubliés après un long exil, reparurent sous la protection des baïonnettes étrangères, si l'on put voir au nombre de leurs partisans les débris de la vieille noblesse, le

clergé, quelques mécontents et quelques trattres qui les accueillirent avec transport, il n'en fut pas ainsi de l'immense majorité de la nation.

Les hommes éclairés, les esprits généreux, amis du progrès, les véritables patriotes enfin, éprouvèrent ce sentiment pénible si bien exprimé par le courageux Manuel quand il a dit que la France avait vu le retour des Bourbons avec répugnance.

Ce n'était pas seulement l'orgueil national blessé dans ses plus beaux souvenirs, le mépris du drapeau de la république et de l'empire, témoin des mémorables faits d'armes de deux générations, la présence de ces bataillons tant de fois vaincus par nous, et foulant en maîtres le sol de la patrie; nos frontières mutilées, l'avilissement de notre grandeur, l'humiliation substituée à la gloire; ce n'était pas seulement, dis-je, ce tableau de nos misères qui blessait au cœur les hommes sincèrement dévoués aux intérêts du pays.

Il était facile de prévoir que le retour aux anciennes idées serait la conséquence du rétablissement des Bourbons. Ainsi, la conquête des libertés publiques, utile et glorieux résultat de la révolution, cette conquête, plus précieuse encore que celles payées du sang français sur quarante champs de bataille, se trouvait en péril. Nos institutions civiles et politiques, appropriées aux besoins de l'époque et consacrées par trente années d'expérience, pouvaient se corrompre par la restauration d'une famille dans laquelle se personnifiaient tous

les principes et tous les abus de l'ancien régime. Une sorte d'instinct national faisait pressentir qu'il faudrait recommencer les luttes séculaires que le pays avait soutenues, d'abord pour défendre, ensuite pour reconquérir les droits, les franchises dont il s'était vu dépouiller. Ce pressentiment, cette crainte, devaient surtout éveiller la sollicitude de ceux qui ont profité des enseignements de l'histoire. Pouvaient-ils oublier que les princes de l'ancienne monarchie avaient toujours montré une tendance à briser tout ce qui faisait obstacle à l'exercice illimité de leur pouvoir, et que les institutions favorables à la liberté des peuples ne s'obtiennent que lentement?

Combien de siècles écoulés, que de souffrances subies par nos pères, depuis l'affranchissement des communes jusqu'à l'abolition des gabelles et de la torture!

Dans cette longue période d'oppression et de servitude, qui s'étend de Louis le Gros jusqu'à Louis XVI, malgré les germes de civilisation qui remontent au temps des croisades, malgré le développement fécond de l'intelligence humaine, dù à la découverte de l'imprimerie, la France voit dans ses annales le supplice des templiers, les exterminations de la jacquerie, la guerre des Albigeois, la Saint-Barthélemy, les massacres des Cévennes, les dragonnades... sanglants trophées du despotisme et de la superstition, qui sont autant de témoignages de la lutte acharnée soutenue par

ceux qui souffraient contre ceux qui profitaient des abus.

Mais, dans ces débats perpétuels entre les besoins de la nation et le privilége, entre l'aristocratie et les éléments de liberté invoqués au nom des classes inférieures, il y eut des fâcheuses alternatives; les mauvais rois se hâtaient de détruire tout ce qui leur semblait un affaiblissement de leur puissance, et, trop souvent, les ministres de la religion encourageaient ces usurpations pour maintenir le peuple dans un état d'ignorance profitable aux erreurs et aux préjugés exploités par le fanatisme.

Les effets de cette tendance prouvent assez combien elle était active et persévérante; ils démontrent évidemment quels puissants obstacles le trône et les priviléges groupés à sa base opposaient à l'accès des lumières et aux efforts des classes dont elles auraient amélioré la position. C'est ainsi qu'au lieu de s'accroître progressivement, la somme des libertés dévolues à la nation a été de plus en plus restreinte, et s'est trouvée anéantie lorsque la royauté, résumant en elle toute la puissance publique, a pu dire comme Louis XIV: L'État, c'est

moi.

Mais si les formes d'un gouvernement imposent à la nation une sorte d'ilotisme, son bien-être peut surgir de ses souffrances matérielles; la gestation des idées en prépare l'avenir; elles attendent leur maturité pour éclore, et l'opportunité du temps pour se manifester.

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