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son régnante accordait au clergé une prédilection marquée, dans laquelle on pourrait chercher une des causes principales de sa chute.

L'admission des hommes d'église dans les affaires temporelles, notamment leur introduction à la chambre des pairs, les encouragements de toute nature accordés à l'intolérance religieuse, préludèrent aux excès qui ont accompagné les missions, les plantations de croix et les sermons des prêtres fanatiques.

Le rétablissement de plusieurs fêtes, même de celles abolies par le concordat, avait plus que l'inconvénient d'être antipathique à nos mœurs, de nuire aux classes laborieuses en paralysant leurs travaux; c'était comme un défi, quelquefois un outrage aux citoyens appartenant à d'autres cultes.

Une pieuse douleur expliquait mais ne justifiait pas, dans ses formes récriminatoires, l'institution d'une fête funèbre en commémoration du 21 janvier 1793; c'était imposer à la nation la honte d'une amende honorable.

Décidée à faire triompher son système à tout prix, la restauration ne rougissait pas de recourir à des moyens réprouvés par la morale et par la conscience.

Combien de fraudes signalèrent la concession et l'exercice des droits électoraux! Combien se firent remarquer plus tard les tendances aristocratiques du pouvoir dans la division des électeurs en grands et en petits colléges!

Ces prémisses devaient produire leurs conséquences. Les lois sur la censure, la loi sur le sacrilége, le projet de loi sur le droit d'aînesse, témoignaient assez l'intention de reconstruire pièce à pièce l'édifice qui s'était écroulé avec les murs de la Bastille.

Enfin le licenciement de la garde nationale engagea le pouvoir dans cette voie funeste où chaque pas faisait naître un écueil. Au lieu d'éclairer, les résistances de l'opinion suscitèrent des mesures de plus en plus extrêmes; et la restauration, croyant s'affermir et s'élever, tomba de faute en faute jusque dans l'abîme creusé par les ordonnances de juillet.

Dans cette esquisse, où je n'ai consulté que mes souvenirs, et qui, pour cette raison, doit être fort incomplète, le lecteur retrouvera en partie les actes par lesquels la restauration s'est aliéné l'esprit public, et qui ont justifié toutes les préventions dont elle était l'objet.

Mais ces actes étaient-ils une condition nécessaire, une déduction logique de la position qu'elle s'était faite ? C'est une question dont l'examen me conduirait trop loin, et que je crois susceptible de recevoir des solutions bien opposées. Je dirai, néanmoins, que la plupart de ces actes, liés entre eux, s'harmonisaient avec le système qu'on voulait faire prévaloir.

Dès l'instant où l'on se fut décidé à méconnaître les besoins de l'époque, on se trouva contraint de

déclarer la guerre à nos institutions modernes, pour les remplacer par celles dont avaient fait justice les hautes lumières de l'assemblée nationale.

Et, sans vouloir aucunement atténuer les fautes de la restauration, je conviendrai qu'environnée d'obstacles multipliés, elle n'avait pas toujours le choix des moyens; qu'elle pourrait, jusqu'à un certain point, trouver sa justification dans l'impossibilité de concilier la nature et les conditions de son existence avec les prétentions et les vœux légitimes du pays.

Mais si l'indulgence lui tient compte des difficultés qu'elle ne pouvait surmonter, l'histoire marquera d'un sceau réprobateur quelques-uns des faits que j'ai signalés. Ils suffiraient pour mettre en évidence l'incorrigible aveuglement de ces princes qui n'ont pas même pu s'éclairer à l'école du malheur faut-il rappeler que Charles X tirait vanité de l'inflexibilité de ses principes, et se proclamait le seul esprit immuable, le seul qui n'eût pas changé depuis quarante ans?

Ne doit-on pas s'étonner de cette ignorance, presque volontaire, de périls toujours croissants, contre lesquels va se briser une obstination sans exemple, quand il était si facile de les éviter?

Car, on doit le dire, la France, longtemps saturée de victoires, avait d'abord trouvé dans un repos acquis aux dépens de sa dignité, une sorte de compensation aux sacrifices de tout genre, aux douleurs profondes qui résultaient de la chute de

l'empire; elle s'était résignée à la paix des vaincus, qui allait ménager le sang de ses fils. L'industrie, le commerce, trop longtemps immolés aux considérations politiques, reprenaient leur essor; des relations ouvertes sur tous les continents offraient des débouchés à nos manufactures; les intérêts matériels voyaient enfin devant eux une ère de prospérité.

Si le bon esprit de la nation, qui met toujours en première ligne les satisfactions de l'intelligence, eût reconnu dans le gouvernement imposé une volonté franche et loyale de maintenir ses droits, de lui accorder successivement les institutions en rapport avec la masse des lumières répandues, oh! certes, eût-elle dù n'obtenir ces libertés que lentement et une à une, la pensée d'un bouleversement, d'un changement de dynastie par la force, ne lui serait point venue.

Il dépendait donc des Bourbons de se maintenir au trône, d'y perpétuer leurs successeurs : le secret de la durée de leur puissance était dans la marche des temps. Mais, au lieu de l'observer, d'étudier les progrès de l'esprit humain, les modifications, les mouvements de la société régénérée, pour y satisfaire en leur imprimant une direction, ils demeuraient, ils voulaient rester stationnaires.

Peut-être qu'en soumettant à une investigation attentive le caractère, les idées du dernier roi de la branche aînée, on parviendrait à pénétrer dans l'intimité de ses vues, à expliquer toute sa conduite.

Ce prince, uniquement adonné pendant sa jeunesse aux plaisirs futiles, et dont l'intelligence restreinte ne s'était pas développée par des goûts studieux, repoussa même l'instruction offerte à l'homme dans la moralité des revers.

Engagé dans les intrigues de cour, et séduit par des espérances souvent déçues et tant de fois renouvelées dans les longues années de l'exil, son caractère avait dù s'en aigrir. Accessible uniquement aux petites passions, toujours puissantes où les lumières manquent, son esprit avait négligé l'observation qui nourrit et féconde.

Parvenu au trône à cet âge où les facultés perdent de leur énergie, Charles X, ainsi fait, devait être l'ennemi de toutes les innovations auxquelles il attribuait ses malheurs. Trop peu éclairé pour connaître la limite dans laquelle le jeu des libertés publiques est sans danger pour le pouvoir, sa répugnance confondait l'expression des besoins légitimes avec les témérités de la licence; et chaque obstacle à des actes d'une politique rétrograde était à ses yeux un signe précurseur des saturnales révolutionnaires.

Dans cette situation, touchant à la vieillesse, où l'homme fait un retour sur lui-même, et juge, sous l'aspect religieux, les plaisirs qu'il ne peut plus goûter, Charles X s'était livré sans réserve aux pratiques de la dévotion. L'ascendant des prêtres sur sa volonté devint manifeste.

Alors, ce prince put admettre, dans sa bonne

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