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voix de citoyen de chaque arrondissement et de chaque commune, n'aurait pas à durer plus de huit jours, comme nous l'avons remarqué plus haut.

Dans les premiers jours de janvier, les députés des élections formant l'assemblée provinciale pourraient rendre compte à leurs commettants, assemblés pour la seconde fois pendant quatre jours, des décisions de la province.

Et du 8 au 15 janvier, chaque député de ville et de village revenu chez lui, la répartition pourrait être arrêtée dans les paroisses. Depuis la séparation des assemblées jusqu'à la nouvelle élection, les présidents, greffiers et députés de tous les grades conserveraient leur titre et le droit de compulser les registres et de veiller à leur conservation, afin que, lorsqu'on aurait besoin d'un renseignement sur un lieu quelconque, on pût se procurer tous les éclaircissements nécessaires par la voie de la correspondance, en s'adressant aux officiers de la province, qui s'adresseraient à ceux du district, et ces derniers à ceux du lieu dont il s'agirait.

Dès cette seconde année, la force et la proportion des revenus du royaume étant connues par le nombre des voix de citoyen, et la répartition ayant une règle claire et assurée, Votre Majesté pourrait remettre aux assemblées municipales comme une marque de sa confiance l'assiette des vingtièmes. Ce serait une occasion de témoigner des bontés à la première assemblée générale, et de supprimer une administration coûteuse et nécessairement fautive, quoique dirigée aujourd'hui par des hommes d'un mérite distingué.

Rien ne serait plus facile ensuite que de faire demander par les assemblées même les réformes que Votre Majesté aurait projetées, aurait préparées, et de leur faire proposer le remplacement de tous les impôts onéreux ou vexatoires que vous auriez intention de supprimer. Tous les obstacles seraient levés par l'union du vœu natio– nal à votre volonté.

Et si, par impossible, les assemblées municipales ne s'y portaient pas, vous n'en seriez pas moins le maître de faire ces réformes de votre seule autorité, après avoir établi leur utilité, dont en général chacun conviendrait, et de statuer sur les remplacements nécessaires. Car, encore une fois, ces assemblées municipales, depuis la première jusqu'à la dernière, ne seraient que des assemblées municipales, et non point des États. Elles pourraient éclairer, et par leur

constitution même elles éclaireraient sur la répartition des impôts et sur les besoins particuliers de chaque lieu; mais elles n'auraient nulle autorité pour s'opposer aux opérations indispensables et courageuses que la réforme de vos finances exige.

Elles auraient tous les avantages des assemblées d'États et n'auraient aucun de leurs inconvénients, ni la confusion, ni les intrigues, ni l'esprit de corps, ni les animosités et les préjugés d'ordre à ordre.

Ne donnant ni lieu ni prise à ce qu'il y a de fâcheux dans ces divisions d'ordres, n'y laissant que ce qu'il peut y avoir d'honorifique pour les familles illustres ou pour les emplois respectables, et classant les citoyens en raison de l'utilité réelle dont ils peuvent être à l'État, et de la place qu'ils occupent indélébilement sur le sol par leurs propriétés, elles conduiraient à ne faire de la nation qu'un seul corps, perpétuellement animé par un seul objet, la conservation des droits de chacun et le bien public.

Elles accoutumeraient la noblesse et le clergé au remplacement des impositions dont ils ne sont pas exempts aujourd'hui, et à un remplacement dont la charge serait moins lourde que celles qui retombent sur le revenu de leurs biens. Elles donneraient pour ce remplacement des règles de répartition équitables et sûres.

Par les lumières et la justice qu'elles apporteraient dans la répartition, elles rendraient l'impôt moins onéreux au peuple, quoique sa recette fût augmentée. Elles fourniraient par l'amélioration de cette recette les moyens de soulager les dernières classes, de supprimer par degrés les impositions spéciales au tiers-état, et même à la noblesse, d'établir une seule contribution uniforme pour tous les revenus.

Alors peut-être deviendrait-il possible d'exécuter ce qui a paru chimérique jusqu'à présent, de mettre l'État dans une société complète, proportionnelle et visible d'intérêt avec tous les propriétaires: tellement que le revenu public ordinaire, étant une portion déterminée des revenus particuliers, s'accrût avec eux par les soins d'une bonne administration, ou diminuât comme eux si le royaume devenait mal gouverné.

Mais il serait très-difficile qu'il le fût. Le gouvernement ne serait plus surchargé de détails. Il pourrait se livrer aux grandes vues d'une sage législation. Toutes les affaires intérieures relatives aux contributions, aux travaux publics, aux secours réciproques, à la charité

nécessaire dans les paroisses, les élections, les provinces même, se trouveraient expédiées d'après des règles de justice inviolables et claires, par les gens qui en seraient les plus instruits, et qui, décidant de leur propre chose, n'auraient jamais à se plaindre de l'autorité. Le royaume d'ailleurs serait parfaitement connu.

On pourrait en peu d'années faire pour Votre Majesté un état de la France par provinces, élections et paroisses, où la description de chaque lieu serait accompagnée de sa carte topographique; de sorte que, si l'on parlait devant vous d'un village, vous pourriez à l'instant, sire, voir sa position, connaître les chemins ou les autres travaux qu'on proposerait d'y faire, savoir quels sont les particuliers dont les propriétés y sont comprises, quelle est la forme et quels sont les revenus de leurs héritages.

Les assemblées et leurs députations perpétuelles offriraient l'occasion, et donneraient l'habitude, de la meilleure instruction que puisse recevoir la jeunesse déjà élevée. Elles l'accoutumeraient à s'occuper de choses sérieuses et utiles, en faisant tenir sans cesse devant elle des conversations sages sur les moyens d'observer l'équité entre les familles, et d'administrer avec intelligence et profit le territoire par les travaux les plus propres à l'améliorer. Cet objet général des conversations dans chaque lieu rendrait les hommes sensés, et diminuerait beaucoup les mauvaises mœurs.

L'éducation civique que ferait donner le Conseil de l'instruction dans toute l'étendue du royaume, les livres raisonnables qu'il ferait rédiger et qu'il obligerait tous les professeurs d'enseigner, contribueraient encore plus à former un peuple instruit et vertueux. Ils sèmeraient dans le cœur des enfants des principes d'humanité, de justice, de bienfaisance et d'amour pour l'État, qui, trouvant leur application à mesure qu'ils avanceraient en âge, s'accroîtraient sans cesse. Ils porteraient le patriotisme à ce haut degré d'enthousiasme dont les nations anciennes ont seules donné quelques exemples, et cet enthousiasme serait plus sage et plus solide, parce qu'il porterait sur un plus grand bonheur réel.

Enfin, au bout de quelques années, Votre Majesté aurait un peuple neuf, et le premier des peuples. Au lieu de la corruption, de la làcheté, de l'intrigue et de l'avidité qu'elle a trouvées partout, elle trouverait partout la vertu, le désintéressement, l'honneur et le zèle. Il serait commun d'être homme de bien. Votre royaume, lié dans

toutes ses parties qui s'étayeraient mutuellement, paraîtrait avoir décuplé ses forces. Et, dans le fait, il les aurait beaucoup augmentées. Il s'embellirait chaque jour comme un fertile jardin. L'Europe vous regarderait avec admiration et avec respect, et votre peuple aimant, avec une adoration sentie !.

1 M. Turgot voulait avec raison corriger cette esquisse. En appelant les propriétaires des terres à la participation qu'il leur croyait due, et qu'il jugeait utile au roi de leur accorder dans l'administration du pays, il aurait désiré que l'on joignit à cette constitution fondamentale des mesures qui donnassent une claire et complète garantie de la liberté des personnes, de celle du travail, de celle du commerce et de toutes les propriétés mobiliaires, aux natifs et aux habitants qui ne sont pas propriétaires de biens-fonds, mais dont le bonheur est le seul gage d'une active, d'une efficace concurrence pour l'exploitation du territoire, pour les fabriques, pour les manufactures, pour tous les moyens intérieurs et extérieurs de porter ce territoire à sa plus grande valeur. Il voulait procurer ainsi l'abondance, répandre la félicité sur toute la nation, assurer la paix par la raison, par la puissance, par la justice; donner au chef de la société une autorité d'autant plus grande, que n'étant, ne pouvant être que bienfaisante, il n'y aurait jamais ni motif, ni intérêt de la contester.

Il voulait conduire un plan si complet, si vaste, si sage, à toute la perfection dont son génie, son talent, ses lumières l'auraient trouvé et rendu susceptible; et ensuite arrêter la rédaction de toutes les lois nécessaires pour son exécution, avant de le soumettre au monarque, et de l'exposer à la critique d'un premier ministre sur l'appui duquel il ne comptait déjà plus.

Le temps lui parut trop court pour que ces grandes opérations pussent être entamées au 1er octobre 1775, comme l'aurait exigé le renouvellement de l'année financière. Il crut devoir les remettre à celui de 1776; se donner une année pour les mieux faire, et en remplir l'intervalle par des lois favorables à la classe laborieuse, à l'amélioration des travaux particuliers et publics.

La pureté de ses intentions, l'évidente utilité de ses projets, son zèle, son courage, ne lui permettaient pas de croire qu'il serait disgracié dès le mois de mai de cette même année où il comptait fonder sur des bases solides la prospérité générale.

Le bien qu'ont fait les assemblées provinciales, qui n'étaient cependant qu'un anneau détaché de la chaîne qu'il avait conçue, montre ce qu'elles auraient pu produire, si leurs inférieures et leur supérieure avaient existé.

Que de maux eussent été prévenus!

Ne blàmons pas un tel homme du retardement que sa prudence a jugé raisonnable.

Plaignons la France d'avoir été victime de la légèreté, de la frivolité, de l'indifférence à tout bien qui caractérisaient M. de Maurepas, et de la jalousie qu'il y joignit.

Déplorons la malheureuse modestie du bon Louis XVI, qui l'empêchait de croire à ses propres pensées, à la justesse de sa propre raison, et de tenir à ses propres affections, quand la majorité de ceux qui l'entouraient n'était pas de son avis.

Il a longtemps défendu M. Turgot. Il l'a toujours aimé. Il l'a regretté vivement. (Note de Dupont de Nemours.)

MÉMOIRE sur la manière dont la France et l'Espagne devaient envisager les suites de la querelle entre la Grande-Bretagne et ses colonies. (6 avril 1776.)

M. le comte de Vergennes m'a communiqué, de la part du roi, un Mémoire sur les suites qu'on peut prévoir des dissensions actuelles entre les colonies anglaises et leur métropole, sur les inquiétudes que la France et l'Espagne peuvent en concevoir, et sur les précautions que la prudence peut suggérer aux deux couronnes dans ces circonstances. Il m'a fait savoir en même temps que Sa Majesté désirait que je lui donnasse mon avis par écrit. Pour obéir aux ordres du roi, je hasarderai mes réflexions, les subordonnant aux lumières et à l'expérience de M. le comte de Vergennes.

Ce ministre se fixe dans son Mémoire à trois objets principaux. 1° Il fait envisager sous quatre points de vue différents les conséquences possibles de la querelle de l'Amérique, dans les différentes suppositions qu'on peut former sur la manière dont elle se terminera. 2° I expose le danger où se trouveraient, dans le cas d'une invasion, les possessions de la France et de l'Espagne dans le NouveauMonde, et les motifs de craindre une puissance accoutumée à abuser de ses forces, souvent sans consulter la justice, ni même la prudence. 3° Après avoir indiqué la possibilité de prévenir cette puissance, en profitant de ses embarras actuels pour l'attaquer (si d'un côté nos moyens encore trop peu préparés, et de l'autre l'esprit de modération et de justice des deux monarques n'écartaient toute idée d'agression), le Mémoire développe la nécessité de fixer par un plan certain, concerté entre les deux couronnes, les précautions à prendre pour prévenir les malheurs possibles; il finit par quelques considérations sur les différentes mesures qu'on peut proposer.

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Je ne puis mieux faire que de suivre le même ordre dans mes réflexions.

I. M. le comte de Vergennes met en problème, et ce me semble avec grande raison, si les deux couronnes doivent désirer l'assujettissement ou l'indépendance des colonies anglaises. Il remarque, avec non moins de raison, qu'il n'est peut-être pas dans l'ordre de la prévoyance humaine de prévenir, ni de détourner les dangers qui peuvent résulter de l'un ou de l'autre événement. Cette remarque me paraît d'autant plus juste, que, quel que soit ou doive être à cet égard le vœu des deux couronnes, rien ne peut arrêter le cours des choses, qui amènera certainement tôt ou tard l'indépendance absolue des

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