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et proposa, à la suite d'un discours très-étendu dans le quel il fit sentir la nécessité de l'union, et que l'assemblée écouta avec un vif intérêt, la nomination de commissaires conciliateurs qui fut adoptée sur-le-champ. Il demanda dans les séances suivantes, qu'une désignation nouvelle fût donnée aux communes, et pensa qu'un emprunt était de toutes les opérations de l'assemblée, celle qui devait d'abord fixer son attention. Il combattit ensuite la ridicule motion de Bouche, tendant à ce qu'aucun orateur ne pût garder la parole au-delà de cinq minutes. La rapidité d'une Notice biographique ne nous permettant de rapporter ici que les extraits de quelques-unes des opinions émises par Rabaut dans le cours de l'assemblée constituante et qui sont recueillies dans ies Moniteurs du temps, nous nous bornerons à rappeler celles de ces opinions qui se rattachent plus particulièrement à des circonstances ou à des faits qui sont d'un plus grand intérêt historique. Il établit, avec évidence, que la liberté des cultes dérivant de tous les autres droits, devait être spécialement consacrée; traita successivement quelques autres questions constitutionnelles, et fut nommé membre du comité de constitution. Depuis lors, il parut se renfermer de plus en plus dans les travaux de ce comité, et se montra plus rarement à la tribune. Elu president, le mardi 16 mars 1790, Rabaut manifesta, dans une de ces brillantes discussions relatives à la liberté de la presse, l'opinion de soumettre à un jury les ouvrages regardés comme incendiaires, afin de prévenir l'inquisition de la pensée, par ce moyen si simple et si tutélaire, autour duquel viennent de se réunir, en décembre 1817, dans la chambre des députés de la France, tous les bons esprits qui ne regardent pas l'autorité ministérielle comme infaillible, ou qui n'ont pas sacrifié leur conscience à leur crédit. Après avoir prouvé l'insuffisance dont étaient les assignats existans, pour la facilité des transactions, il vota l'émission de cinquante millions d'assignats de cinq livres. Il fit décréter que le rejet de la réunion d'Avignon, que venait de prononcer l'assemblée, ne préjugeait rien sur les droits de la France relativement au Comtat Vénaissin; proposa l'envoi de commissaires français dans ce pays, et demanda que les sujets français qui y étaient établis, fussent tenus de rentrer en

France. Lorsqu'au 20 juin 1791, Louis XVI, dont l'autorité royale et celle de l'assemblée elle-même, ne pouvaient plus protéger la liberté, se fut éloigné de Paris, Rabaut fit mander à la barre le maire de cette ville, pour obtenir de ce magistrat (1), des renseignemens sur la situation de la capitale. Depuis la fin de la session de l'assemblée constiuante, jusqu'à la convocation de l'assemblée législative, Rabaut s'occupa de son Précis historique de la révolution française, ouvrage non moins remarquable par la profondeur des pensées et celle des aperçus politiques, que par la candeur et la vérité des récits, et où la conscience de l'homme de bien se fait reconnaître à chaque page. Ce n'est pas qu'on n'y rencontre quelquefois des erreurs de fait et d'opinion; mais ces taches sont si rares, elles sont de si peu d'importance, et les honorables intentions de l'auteur sont tellement à découvert, qu'il est presque superflu de les faire remarquer. Député par le département de l'Aube, à la convention nationale, Rabaut porta dans cette assemblée l'esprit de modération dont il ne s'était pas départi un seul moment pendant la durée de la session constituante; mais les vertus qui lui avaient mérité l'estime universelle de ses collégues, dans cette assemblée où tant de talens réunis à tant d'amour pour la patrio n'obtinrent que de si funestes résultats, n'étaient plus devenues, dans la convention, que des titres de proscription et de mort. Nul ne le sentait mieux que Rabaut, et cependant par une condescendance funeste à laquelle quelquesuns d'entre les plus honorables républicains se croyaient alors obligés, pour ne pas irriter des hommes qui avaient autrefois marché dans leurs rangs et qu'ils ne désespéraient pas d'y ramener encore, il ne cessait, contre sa propre conviction, d'attribuer aux royalistes les pamphlets anarchiques qui inondaient Paris, et dont il n'était que trop évident, à cette époque, que le crime appartenait tout entier à la faction des jacobins, dont l'audace et les attentats ne connaissaient plus de bornes. Des écrivains qui ont cru honorer Rabaut par cet étrange témoignage de leur impartialité, ont dit qu'il avait suivi dans la convention, une marche absolument contraire à celle qu'il avait adoptée dans l'assemblée cons

(1) Bailly.

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tituante: cette assertion est malveillante et inexacte; Rabaut pensa, jusqu'en 1791, qu'il y avait tout à redouter du parti contre-révolutionnaire, et il dévoua ses efforts à le combattre; les premiers jours de septembre et les violences exercées pendant le procès de Louis XVI, lui avaient appris qu'une faction exécrable menaçait le berceau de la république, et il résolut, au péril de sa vie, de s'opposer à ses fureurs; voilà tout le secret de cette prétendue contradiction qui n'exista jamais. Après avoir combattu avec le plus généreux courage, l'opinion de ceux de ses collégues qui prétendaient que la convention avait le droit de juger Louis XVI, il s'éleva avec une énergie nouvelle contre le mode de jugement adopté par cette assemblée, qui, en adoptant contre l'accusé tout ce que le code criminel avait de rigoureux dans ses formes, en rejetait tout ce qu'il avait de protecteur! Il déclara qu'aux tribunaux seuls appartenait le droit de rendre des jugemens, et que la mort de Charles Ier avait amené en Angleterre l'usurpation de Cromwell, laquelle avait été suivie du retour de la royauté. Il voulait que la convention prononcât par oui ou par non sur la culpabilité de Louis, et qu'après avoir, ainsi, rempli les fonctions de grand-jury national d'accusation, elle renvoyât l'application de la peine aux assemblées primaires. Pendant le cours des débats de cette affaire à jamais déplorable, où les menaces d'une faction sanguinaire, soutenues de toutes les fureurs des assassins de septembre, ne purent arracher à la convention, pour la peine de mort, que la majorité effective d'une voix (voy. LOUIS XVI dans la Galerie historique des Contemporains) on entendit plus d'une fois Rabaut s'écrier en répétant les mots par lesquels il venait de terminer le discours qu'il avait prononcé dans cette fatale circonstance « Je suis las de ma

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portion de despotisme, et je soupire après l'instant » où un tribunal national nous fera perdre les formes et » la contenance des tyrans. » Lors de l'appel nominal relatif à la peine à infliger à Louis, il se prononça, par mesure de sûreté générale, pour la détention jusqu'à la paix, et le bannissement à cette époque; joignant expressément à ce vote, celui de l'appel au peuple, seul et dernier moyen, comme on l'a vu ailleurs, de sauver ce malheureux prince (voy. BONET DE TREICHES, dans la Ga

lerie historique des Contemporains). Il fut, possible même après l'horrible catastrophe du 21 janvier 1793, de concevoir encore quelques espérances d'un meilleur avenir, lorsque l'on vit le mercredi 23 du même mois, la majorité conventionnelle porter à la présidence de l'assemblée, ce même Rabaut qui venait de se prononcer avec un si honorable courage contre le jugement qu'elle venait de rendre ; toutefois cet espoir fut de peu de durée. Toujours plus ferme à mesure que les dangers devenaient plus grands, il ne cessa de s'élever contre les factieux; proposa de mander Pache, maire de Paris, à la barre de T'assemblée, pour s'expliquer sur les bruits qui se répandaient relativement à la fermeture prochaine des barrières ; empêcha l'envoi aux départemens, du compte infidèle que venait de rendre, sur la situation de la capitale, ce facLieux hypocrite, et l'un des plus criminels instrumens de l'anarchie, et combattit la dénonciation faite par les administrateurs du département de Paris, contre les adresses départementales qui, s'élevant unanimement contre les usurpations de la commune de Paris, témoignaient de vives craintes sur les dangers dont la convention nationale était menacée. Nommé le 21 mai, membre de la commission des douze, que le côté droit, par un reste de son influence expirante, avait réussi à faire créer par la convention, en l'intéressant toute entière dans ses dangers, il appuya fortement une pétition dirigée contre la montagne et présentée par une députation de la ville de Bordeaux. Son opinion fut l'une de celles qui, dans la séance de la commission des douze, du 25 mai, contribuèrent le plus puissamment à décider les membres de cette commission à faire arrêter l'infâme Hébert, substitut du procureur de la commune de Paris. Rabaut rendit immédiatement compte à la convention, des mesures que ses collégues et lui venaient de prendre, « mais, ajouta-t-il, ce n'est point à ce coup qu'il faut s'arrêter; le trouble est porté entre » les conspirateurs, mais non encore la crainte; la commission veille; tout est sauvé si la convention lui garde sa confiance, tandis qu'elle brave tout pour répondre à la sienne. » Cet espoir fut détruit presqu'aussitôt que conçu. Dès le surlendemain 27 sur la proposition de Legendre, la commission des douze fut dissoute;

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le jour suivant 28, le décret qui la supprimait ayant été rapporté, à une majorité de quarante-une voix, un horrible tumulte venait d'éclater dans l'assemblée, lorsque Rabaut se présenta à la tribune, et déclara qu'il était chargé d'annoncer, au nom de la commission, que tous ses membres donnaient leur démission. Cet acte de faiblesse n'eut d'autre résultat que d'enhardir les séditieux qui sentirent dès-lors qu'ils n'avaient plus de résistance à craindre. Sans doute la commission ne pouvant plus disposer de la force publique, avait perdu son pouvoir, mais l'inutile abdication qu'elle en faisait, ne parut, avec raison, qu'une transaction de la faiblesse, et ne sauva, plus tard, aucun de ceux qui la composaient. Quoi qu'il en soit, ce ne fut qu'à la suite de la séance du 31 mai, et sur la position qu'en fit Barrère, au nom du comité de salut public, que la convention décréta définitivement la suppression de la commission des douze, qui ne précéda que de quarante-huit heures le décret d'arrestation prononcé contre les membres les plus distingués du côté droit, parmi lesquels on n'eut garde d'oublier Rabaut. Trop convaincu du sort auquel les bourreaux de la France le réservaient, il prit la fuite, et se rendit d'abord dans les environs de Bordeaux, où les députés de la Gironde s'étaient si vainement flattés de trouver pour eux-mêmes et pour leurs amis, un asile et des défenseurs contre la proscription qu'ils prévoyaient devoir bientôt les atteindre. Dès que l'évasion de Rabaut fut connue, un décret de mise hors la loi fut rendu contre lui. A cette nouvelle il quitta sa retraite, erra de nouveau à travers la France sous divers déguisemens, et espéra pouvoir se soustraire plus facilement aux recherches de la tyrannie, sous les yeux même des tyrans. Un ami, insensible à ses propres dangers, avait eu l'admirable courage de le recevoir chez lui. L'épouse de Rabaut, l'une de ces femmes héroïques qui, dans ces époques de crime et de deuil, semblaient s'être chargées de réconcilier la France avec l'humanité, veillait sur les dangers de l'illustre proscrit; elle sortait souvent pour recueillir les nouvelles qui pouvaient l'intéresser. Un jour, c'était le 14 frimaire an 2 (4 décembre 1793), elle rencontra Amar, (voy. ce nom dans la Galerie historique des Contemporains), membre du comité de sûreté

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