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si faciles sous le ministère vertueux de M. Necker, ne pouvaient plus se remplir sous celui de M. de Calonne : les impôts ne pouvaient plus s'accroître; et, touché de la situation des peuples, le roi prononça ce mot qui a déterminé l'époque de la révolution : Je ne veux plus ni impôts ni empruns.

Alors M. de Calonne, surchargé d'un fardeau énorme, chercha dans son esprit hardi et fécond les moyens de se tirer d'embarras et de maintenir son crédit. Il s'occupa secrètement, pendant plusieurs mois, à préparer des plans de réforme où quelques-unes des demandes du peuple étaient accordées et le clergé sacrifié, et à mettre en ordre des comptes où l'énormité du deficit retombait sur ses prédécesseurs. Ainsi sa gloire était sauvée; et il croyait s'en acquérir une nouvelle en persuadant à la nation qu'il était le régénérateur de la France.

Mais des projets qui véritablement étaient d'une assez vaste étendue ne pouvaient être déterminés par un ministre; il sentait d'ailleurs que, s'il les présentait seul et sans appui, il ne pourrait résister à la nuée d'ennemis que lui susciteraient ses réformes. Il imagina donc d'appuyer ses projets d'une manière de vœu national; et, ne voulant pas convoquer les états-généraux, dont l'idée seule l'effrayait, il s'arrêta à la pensée de convoquer une assemblée de notables, et enfin il présenta ses vues au roi. Nous l'avons dit, Louis XVI a toujours désiré le bonheur du peuple. Il fut ébloui des réformes utiles que lui présentait le ministre ; il s'en occupa même souvent avec lui, prenait plaisir à un travail dont ce courtisan habile lui dérobait toutes les épines. Le roi regardait déjà l'assemblée des notables comme la plus pure jouissance qui pût être.offerte à son cœur ami du bien; il en ordonna enfin la convocation.

et

On ne peut dépeindre la surprise de la nation à cette nouvelle inopinée, ni son indignation quand elle apprit l'énormité du deficit. Les maux de la France étaient sentis, mais ils n'avaient pas été calculés.

Les notables cependant se rassemblèrent. Le ministre, en leur présentant ses plans, les leur donna comme des ordres auxquels ils n'avaient autre chose à faire qu'à se conformer. Il avait eru, non sans quelque apparence, que des hommes titrés pour la plupart, ayant tous besoin de la cour, et d'une nation accoutumée à fléchir, ne reculeraient pas devant des or¬ dres du roi, et qu'ils se tiendraient honorés de lagloire d'avoir représenté dans cette grande scène. Il comptait aussi sur l'influence du peuple, à qui la suppression de quelques impôts désastreux et l'humiliation du haut clergé ne pourraient manquer d'être agréables : il espérait par là même que les parlemens n'oseraient pas s'élever contre les impôts qu'il proposait, de peur de perdre l'opinion publique, qui faisait toute leur

force. Enfin il comptait sur l'appui du roi, qui se montrait très-attaché à ses projets, et sur celui de la reine et des princes, auxquels il avait rendu de si grands services : il avait d'ailleurs disposé la distribution des bureaux des notables de manière à s'y conserver la prépondérance.

Toutes ces combinaisons furent renversées. La réputation d'immoralité attachée au nom de M. de Calonne inspira une défiance générale sur ses projets. Ils étaient utiles, ils expri-, maient le vœu national; et cependant on n'en voulait pas, parce qu'ils venaient de lui. Les impôts par lesquels il remplaçait ses réformes furent jugés désastreux: on voyait qu'en dernière analyse c'était encore de l'argent qu'il demandait. Ses opérations fiscales étaient trop récentes pour qu'on n'attribuât pas à lui-même une partie du deficit. Il avait inculpé M. Necker, qui se crut obligé de lui répondre; et M. Necker fut exilé. Cet acte d'oppression indisposa tous les esprits. De leur côté les notables voulurent tout voir et tout connaître ; outre que leur gloire y était intéressée, et qu'ils savaient qu'ils étaient surveillés par une nation éclairée et agitée, toute assemblée qui représente ou qui est censée représenter la nation, se respecte et connaît l'étendue de ses droits. Ils voulurent aller au fait et chercher la cause du deficit: M. de Calonne ne répondit qu'en disant que c'était la volonté du roi; qu'il fallait obéir. Il fut accusé directement sur les échanges des domaines du roi et sur plusieurs de ses opérations fiscales; et, quelque adresse qu'il mît dans ses réponses, les tergiversations nécessaires qu'il employa diminuaient chaque jour son crédit. Cependant il parvint à faire renvoyer M. de Miromesnil, alors garde-des-sceaux, et à le faire remplacer par M. de Lamoignon, ennemi des parlemens. Il voulait le leur opposer, au cas qu'ils imitassent la résistance des notables. Maître de l'esprit du roi, qu'il avait séduit dès le commencement par les graces de sa conversation, et depuis par l'utilité apparente de ses projets il ne le laissait pas approcher, et lui représentait les oppositions qu'il éprouvait, comme l'effet des intérêts particuliers. Un ennemi lui restait encore, c'était M. de Breteuil, que le crédit étonnant de M. de Calonne avait éloigné de la faveur du roi, mais que la reine protégeait. M. de Calonne voulut le faire renvoyer, et il se perdit. La reine l'abandonna. Chacun se réunit pour éclairer le roi sur la perfidie de son ministre; et M. de Calonne fut disgracié. Alors il se livra aux transports de la rage la plus violente : fuyant dans sa terre, il fut témoin, sur sa route, de l'indignation qui le poursuivait; et ses malversations ayant été dénoncées au parlement, la crainte d'un décret l'obligea à sortir du royaume.

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Les notables furent congédiés. Ils emportèrent dans les pro

vinces leur mécontentement personnel, des lumières qui encore n'y avaient pas apparu, et quelques semences de liberté, qui devaient germer avec le temps. Leur insuffisance même à de si hautes fonctions, pour lesquelles ils n'avaient eu aucune mission légale, car il n'y en a de telle que celle qu'on a reçue du peuple, annonçait par-tout cette vérité, qu'il n'était pas au pouvoir de quelques hommes de guérir tant de maux. On savait que M. de Calonne avait rejeté avec effroi l'idée de convoquer les états-généraux; et tous les hommes éclairés convenaient qu'ils étaient devenus inévitables. Le gouvernement lutta cependant encore quelque temps contre la mauvaise fortune, et fut aux prises avec sa propre impuissance. Un homme qui avait administré pendant quelques années quelque partie des deniers d'une province se crut en état de sauver un empire abîmé. Ambitieux au-delà de la mesure de ses talens, aimable, mais faible, plus spirituel qu'éclairé, plus confiant que hardi: M. de Brienne, qui, toute sa vie avait aspiré au ministère par les moyens sourds qui y conduisaient, avait prévu la chute de M. de Calonne, et parvint à le remplacer. La nation se mit à espérer encore. Mais le nouveau ministre, arrivé sans plan et livré au torrent qui entraînait tout, ne put qu'écarter les réformes proposées par son prédécesseur, et adopter ses impôts sous des formes plus désastreuses encore. Alors l'indignation fut générale. Paris déploya ces premiers mouvemens d'énergie dont les gens clair-voyans prévirent les suites. Le gouvernement de son côté voulut être obéi. Le parlement trouvant une occasion favorable pour justifier le nom de père du peuple, qu'il faisait servir de voile à son ambition particulière, fit des remontrances; et la cour, ayant décidé le roi à tenir un lit de justice pour forcer l'enregistrement des impôts, le parlement trancha le nœud gordien : il déclara qu'il n'avait pas le droit d'enregistrer des impôts qui n'étaient pas consentis par la nation, et demanda la convocation des états-généraux. A ces mots terribles le gouvernement fut déconcerté. Paris se livra aux transports de la plus vive joie; un mouvement général d'espérance anima la nation toute entière; et le parlement, élevé au plus haut degré de gloire, devint l'idole des Français.

LIVRE SECOND.

Fx demandant la convocation des états-généraux, le parlement de Paris avait cédé à l'opinion publique. Personne ne pouvait la connaître aussi bien que fui, puisqu'il l'étudiait sans cesse pour s'en appuyer. Plusieurs membres de ce corps, les jeunes magistrats en particulier, aimaient véritablement la liberté : ils étaient sincères dans la demande qu'ils faisaient de la convocation des états-généraux. Mais les anciens n'y voyaient qu'un moyen d'accroître leur pouvoir: c'était même le seul qu'ils pussent trouver; car la nation ne pensait plus, ni que les parlemens eussent le droit de tenir les rois en tutelle, ni qu'ils fussent les états-généraux réduits au petit pied. Ces magistrats crurent prévoir que ceux qui avaient demandé les états-généraux y joueraient le premier rôle, et qu'ils y entreraient investis de la confiance du peuple.

Dès que le mot eut été prononcé, et que les états-généraux eurent été demandés par le parlement et promis par le roi, les événemens se pressèrent et s'entassèrent. Tandis que la nation s'occupait de la douce idée d'une régénération qui désormais la mettrait à l'abri de la tyrannie, ceux qui étaient en possession de la maîtriser s'occupaient des moyens de conserver leur empire. Mais le colosse imposant de la majesté publique eroissait chaque jour, et à ses pieds vinrent se briser successivement toutes les autorités fantastiques qui l'avaient si longtemps dominée.

et

Personne ne fit alors ce qu'il devait, parce que personne ne voulait véritablement le bien public. Il fallait sauver l'état, chacun ne s'occupait que de soi. La cour voulait se débarrasser des parlemens, et ceux-ci voulaient contrarier la cour. M. de Lamoignon songeait à les humilier; M. de Brienne voulait être premier ministre; et, tandis que sur ce théâtre orageux se passaient tant de scènes indécentes, le peuple voyait avec indignation qu'il était toujours sacrifié aux intérêts et aux disputes des grands.

La cour exila le parlement à Troyes. Celui-ci racheta son exil en enregistrant la prorogation du deuxième vingtième, et donna ainsi la juste mesure de son patriotisme. Cependant, au milieu de ces différends entre ceux qui se disputaient l'autorité, le besoin d'argent se faisait toujours ressentir. Les parties contendantes reconnaissaient également la nécessité d'y pourvoir; et comme c'était de là que naissait l'inquiétude et par conséquent le courage du peuple, ceux qui voulaient l'asservir avaient besoin de faire entre eux quelque trève. Un em

prunt successif fut convenu entre le ministère et plusieurs membres du parlement, et il devait être accordé dans une séance royale aussi convenue. Mais chaque autorité y vint avec ses prétentions; le parlement avec celle d'opiner à la pluralité des suffrages, le garde- des-sceaux avec celle de faire enregistrer sans compter les voix, quoiqu'il dût avoir la majorité. Les magistrats s'indignèrent : quelques-uns soutinrent avec force leur prétention, l'appuyant de l'intérêt des peuples. M. d'Orléans demanda au roi s'il tenait un lit de justice, et protesta contre ces formes arbitraires. Le roi touché tour-à-tour des discours éloquens de quelques magistrats et de l'insulte qu'il croyait faite à son autorité, éprouvait des mouvemens contraires. L'emprunt n'eut pas lieu; mais M. d'Orléans fut exilé, ainsi que M. Fréteau et M. Sabbatier qui avaient parlé avec beaucoup de courage.

Quoique le parlemeut eût encore moins le droit de consentir les impôts pour la nation, que le gouvernement de les ordonner, il fut l'objet de la reconnaissance publique. Ces actes arbitraires faisaient des magistrats autant de martyrs; et le peuple s'attache à ceux qui souffrent pour lui. D'ailleurs le parlement était alors la seule barrière au despotisme : on ne se fiait pas sur lui, mais on l'appuyait.

Le gouvernement ne faisait que des fautes. Il était alors réuni dans la personne de deux ministres, M. de Brienne, devenu archevêque de Sens, et le garde-des-sceaux. Le premier était premier ministre, et entraînait la confiance du roi, le second fut obligé de s'appuyer sur lui pour écraser les parlemens. Ils réunirent leurs projets comme ils avait réuni leurs forces. M. de Lamoignon préparait à la magistrature deux coups, qu'il jugeait terribles; c'était la création de plusieurs grands bailliages, laquelle diminuait le ressort, le crédit et les épices des parlemens; le second était la réforme des lois criminelles. Le peuple, sur-tout dans les provinces, devait voir ces changemens avec plaisir. M. de Lamoignon y travaillait et y faisait travailler avec une constance qui tenait à son caractère. Je ne sais quel homme à vue courte proposa, en même temps, à M. de Brienne le projet de la cour plénière, où les édits devaient être enregistrés. C'était une réunion sans principe de princes, de pairs, de magistrats, de militaires, que l'on croyait devoir remplacer avec avantage les parlemens dont s'entouraient nos premiers rois. C'était encore un coup que l'on préparait à la magistrature. Le garde-des-sceaux, qui en avait combattu le projet fut obligé de céder à l'ascendant de M. de Brienne dont il avait besoin.

Le parlement avait perdu de l'estime publique en s'opposant à l'établissement des assemblées provinciales et à l'édit

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