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nous parlons, offrent ceci de remarquable: ils ont une parfaite analogie de style avec les écrits de la même espèce composés à cette époque. C'est la même verve, les mêmes sarcasmes, la même logique prétentieuse qui veut prouver jusqu'à l'évidence la scélératesse, la sottise, le ridicule d'un adversaire; la même entente des ressorts dramatiques, remuant les passions du lecteur pour des querelles privées.

Ces hommes firent l'histoire secrète de la cour de Louis XV, et plus tard celle de la cour de Louis XVI. Ils trouvèrent là une mine féconde de thèmes lucratifs, de compositions, qu'il serait facile de calculer pour un grand débit, parce qu'elles étaient > susceptibles de l'obscénité recherchée par les uns, des diffamations recherchées par les autres; enfin parce qu'elles s'adressaient à tous les ressentimens populaires, depuis long-temps excités par les mœurs du pouvoir.

Une autre de leurs ressources consistait à espionner les riches et les puissans, à surprendre quelque infâme secret, et à les menacer d'un libelle s'ils ne payaient une rançon. De là leur vint le nom de sommateurs. Une bande de ces sommateurs, parmi lesquels figurent Morande et le marquis de Pelleport, alla s'établir à Londres, vivant des contributions que leur envoyaient du continent ceux qu'ils effrayaient de quelque divulgation importante. Le ministre Vergennes mit plus d'une fois leur silence à prix. L'espion Receveur fut envoyé en Angleterre pour acheter du marquis de Pelleport une vie de Marie-Antoinette, et pour gagner Morante à la police française par des offres considérables. Il ne réussit que dans cette dernière négociation. Pelleport lança bientôt après la brochure fameuse : Le diable dans un bénitier. Nous empruntons ces détails aux mémoires de Brissot, et c'est principalement pour expliquer les combats livrés à ce dernier, lors de sa candidature à la législative, que nous faisons cette introduction.

Brissót rencontra dans sa carrière d'homme de lettres, la société des pamphlétaires. Il avait frappé à la porte des encyclopédistes, et il n'avait pas été admis. Obligé de vivre de sa

Įdume, il fut attiré en Angleterre pour une entreprise de journal, et là il vécut dans l'intimité des sommateurs, abhorrant, dit-il, la noirceur des uns, déplorant la faiblesse et la facilité des autres. Il se lia avec Pelleport, et lui rendit même des services. Avant d'exposer les suites que ces contacts eurent pour Brissot, nous dirons quelle opinion on est autorisé à se former de son caractère d'après ses écrits; nous donnerons en second lieu les pièces de quelques-uns de ses actes.

On voit Brissot débuter dans les lettres par un opuscule intitulé: Rome démasquée. C'était s'enrôler sous la bannière de celui qui avait dit: Écrasons l'infâme! Pyrrhonien sur tout, excepté sur la révelation, à laquelle il ne croyait pas, il voulut se faire bénédictin pour satisfaire à sa vocation scientifique: dom Mulet le dégoûtą du cloître. Sa seconde publication fut une traduction libre d'un ouvrage anglais, qu'il édita sous le titre de: Lettres philosophiques sur la vie et les écrits de saint Paul. Virchaux, libraire à Hambourg, le même qui joue un rôle dans notre précé dent volume pendant le mois de juillet, imprima ces lettres en 1782. Brissot dit que c'est le seul ouvrage contre la religion sorti de son portefeuille. Il ajoute que son portefeuille contenait beaucoup de plaisanteries irréligieuses, qu'il s'applaudit d'avoir détruites, entre autres, une parodie du Stabat, dont l'obscénité était piquante. Il fait l'aveu que ce caractère d'obscénité lui était étranger, et qu'il le prenait pour plaire à la société de ses esprits foris. Ses deux ouvrages suivans furent une Théorie des lois criminelles, et le plan d'un travail philosophique, iutitulé : Le Pyrrhonisme universel. Il songea à faire valoir ces deux titres auprès des encyclopédistes en chef. Il adressa son Essai de méta¬ physique à d'Alembert, qui lui répondit par des complimens, et il porta lui-même son Essai de législation à Voltaire. Il y mit tant de façons qu'il ne put arriver au patriarche, lequel cependant venait de recevoir la Dubarry au moment où Brissot se présenta, Il obtint uéanmoins de Voltaire une lettre flatteuse.

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A l'occasion de la guerre déclarée par la France à l'Angleterre pour soutenir l'indépendance des États-Unis, Brissot fit le Testa

ment politique de l'Angleterre, brochure qui le mit en rapport avec Swinton, propriétaire du Courrier de l'Europe. Las de vivre dans le bourbier où ses connaissances l'avaient plongé, Brissot accepta avec joie une place inférieure dans ce journal, et partit pour Boulogne. Il se trouva que ses nouveaux amis étaient des modèles de dépravation. Ils le tourmentaient de conseils odieux ; ils le poussaient par l'appât d'une fortune rapide dans la voie du libellisme. Il vécut une année au milieu de ces tentations, Plus tard, il passa en Angleterre et se lia avec le marquis de Pelleport. En 1786, il y publia en deux volumes des Lettres philosophiques sur l'histoire de l'Angleterre. C'est une apo logie continuelle de l'aristocratie et une satire du peuple, ou vrage avoué par Brissot dans sa réplique à Morande, mais sur lequel il a toujours évité de s'expliquer : il n'en est pas question dans ses mémoires.

Nous ne pousserons pas plus loin notre notice sur les ouvrages de Brissot. L'auteur n'avait point de principes arrêtés; il flottait sans doctrine aucune, dans un milieu où sa probité ne pouvait se préserver des souillures que par une lutte de chaque instant. Le seul dogme qu'il ait professé, spéculativement d'ailleurs, est celui de l'immortalité de l'âme. Il y a de lui dans la Chronique du mois (juillet 1792) un article contre le système d'Helvétius où il attaque le matérialisme. Mais le spiritualisme de Brissot était individuel comme ses autres pensées. Il affectait une grande prédilection pour la morale des philosophes cyniques, pour ces intrépides stoïciens qui disaient : Le vrai sage est Dieu. Malheureusement ces intrépides stoïciens furent tous, plus ou moins, des hommes sans mœurs; tous, y compris Sénèque, laissèrent de tristes exemples de cette fausse et orgueilleuse sagesse par laquelle ils avaient prétention de ne s'appuyer que sur eux-mêmes. Quiconque ne s'appuie pas sur la société, quiconque ne déduit pas sa règle de conduite d'une morale sociale, nettement formu lée, manque à la fois de moyen et de but. N'ouvrir qu'en soimême la source des obligations et des devoirs, c'est n'avoir avec ses semblables ni croyance commune, ni dépendance commune,

ni devoir commun: c'est couper le nœud social par un sophisme, sauf à le rattacher ensuite par les conséquences pratiques de ce même sophisme. Or, ce qui sépare en théorie, sépare nécessairement dans la pratique; l'égoïsme matériel, le mal, le crime, selon les degrés auxquels le fédéraliste est poussé par les circonstances ou par sa volonté, est la seule manifestation possible de l'égoïsme spirituel dont il a fait son principe. L'histoire nous prouve que rien ne fut plein de misères et plein de vices comme ces sages superbes qui s'adorèrent eux-mêmes, méprisant ce qu'il y avait d'humain en eux, et méprisant au même titre ce qu'il y avait de réellement humain chez les autres. Nous allons voir quels actes précédaient et garantissaient la vie politique du stoïcien Brissot; nous verrons plus tard quels furent ses amis, quels furent les Girondins, et ce qu'il faut penser de cette secte révolutionnaire, l'analogue rigoureux de la secte cynique ou stoïcienne.

Lorsque Brissot se mit sur les rangs pour l'assemblée législative, ses amis et lui n'inspiraient aucune confiance aux vrais patriotes. Quelques mois après leur élection, Robespierre s'exprimait ainsi sur Condorcet et sur Brissot: N'est-ce pas dans le moment où l'autorité royale était suspendue, et le roi confié à la garde de la Fayette, que la coalition dont ce dernier était le chef rendit au monarque une autorité immense, transigea avec lui aux dépens de la nation, en faveur des ambitieux qui avaient ourdi cette trame, et appesantit, en son nom, un joug de fer sur tous les patriotes de l'empire? Que faisiez-vous durant ce temps-là, vous Brissot, vous Condorcet? car c'est vous et vos amis que j'ai ici en vue? Tandis que nous discutions à l'assemblée constituante, la grande question, si Louis XVI était au-dessus des lois, tandis que, renfermé dans ces limites, je me contentais de défendre les principes de la liberté, sans entamer aucune autre question étrangère et dangereuse; et que je n'échappais pas pour cela aux caloninies de la faction dont j'ai parlé; soit imprudence, soit toute autre cause, vous secondiez de toutes vos forces ses sinistres projets. Connus jusque-là par vos relations avec la Fayette, et

par votre grande modération; long-temps sectateurs assidus d'un club demi-aristocratique (le club de 1789), vous fîtes, tout à coup retentir le mot république. Condorcet publie un traité sur la république, dont les principes, il est vrai, étaient moins populaires que ceux de notre constitution actuelle ; Brissot répand un journal intitulé le Républicain, et qui n'avait de populaire que le titre : une affiche dictée par le même esprit, rédigée par le même parti, sous le nom du marquis Duchâtelet, parent de la Fayette, ami de Brissot et de Condorcet, avait paru en même temps sur tous les murs de la capitale. Alors tous les esprits fermentèrent; le seul mot de républiqne jeta la division parmi les patriotes, donna aux ennemis de la liberté le prétexte qu'ils cherchaient, de publier qu'il existait en France un parti qui conspirait contre la monarchie et la constitution: ils se hâtèrent d'imputer à ce parti qui conspirait contre la monarchie et contre la constitution; ils se hâtèrent d'imputer à ce motif la fermeté avec laquelle nous défendions à l'assemblée constituante, les droits de la souveraineté nationale contre le monstre de l'inviolabilité. C'est par ce mot qu'ils égarèrent la majorité de l'assemblée constituante; c'est ce mot qui fut le signal du carnage des citoyens paisibles, égorgés sur l'autel de la patrie, dont tout le crime était d'exercer légalement les droits de pétition, consacré par les lois constitutionnelles. A ce nom, les vrais amis de la liberté furent travestis en factieux par les citoyens pervers ou ignorans; et la révolution recula peut-être d'un demi-siècle. Il faut tout dire, ce fut encore dans ces temps critiques que Brissot vint à la société des Amis de la constitution, où il n'avait presque jamais paru, proposer dans la forme du gouvernement, des changemens dont les règles les plus simples de la prudence nous avaient défendu de présenter l'idée à l'assemblée constituante. Par quelle fatalité Brissot se trouva-t-il là? Je ne prétendrai pas cependant que les intentions de Brissot et de Condorcet furent aussi coupables que ces événemens désastreux ; je veux bien ne point adopter les reproches que leur ont fait beaucoup de patriotes de n'avoir feint alors de se séparer de la Fayette dont ils avaient été les panégyristes, que

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