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pas que le pacte d'union entre les rois était un contrat entre propriétaires, se garantissant mutuellement la propriété héréditaire d'un royaume, de ses habitans et de son étendue territoriale. Or, que pouvait garantir aux rois de l'Europe une constitution qui, bien loin d'offrir le caractère immuable et indépendant d'un possesseur, était sujette à toutes les vicissitudes d'une chose possédée? Que pouvaient-ils lui garantir à elle-même? Ce fut cependant sur des calculs de cette nature, tranchons le mot, sur un sophisme aussi grossier, que la constituante eut prétention d'asseoir l'Europe.

Au moment où elle quitta le pouvoir, le défaut d'initiative que nous lui avons tant de fois reproché, défaut qui généralise au reste très-exactement ce qu'on vient de lire, avait engendré pour ses successeurs des fatalités redoutables. Au sortir de ses mains la France constitutionnelle était passive à l'égard de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs; tolérante envers les prêtres nonassermentés, tolérante envers les émigrés; elle n'était protégée contre les agressions contre-révolutionnaires que par le système répressif d'une vaine légalité. La Vendée prenait les armes, et on lui opposait la loi; les prêtres prêchaient la guerre, et on eur opposait la loi; les émigrés préparaient des coalitions, et on leur opposait la constitution. Le manque d'activité initiatrice de la part des chefs de la bourgeoisie, les ayant détournés sans cesse de l'attaque, les avait détournés aussi de la défense; car la force, le pouvoir de la sécurité, comprend indispensablement l'attaque et la défense; car l'attaque et la défense sont les deux aspectsdu même moyen. Ainsi les hommes de loi, les avocats célèbres, exparlementaires pour la plupart, qui gouvernèrent la France du nois de mai 1789 au mois d'octobre 1791, la dotèrent d'une costitution que ne sanctionnait aucun principe moral, et ne songèrent nullement à lui tenir prête la sanction qui convient seule à ces sortes de législations, une force brutale invincible.

Ouverte à l'invasion, sillonnée en tous sens par des émgrans, des conspirateurs et des traîtres, atteinte sur un point de la guerre civile, et menacée sur tous de la guerre étrangèe, telle

était la France lorsqu'elle fut remise à l'assemblée législative. Nous allons voir celle-ci, pour première démarche, s'inféoder solennellement à la constitution. Obéissante jusqu'à l'enthousiasme au codicile des testateurs, elle va prendre possession d'une base immobile, du terrain sacré de l'inactivité, avec des démonstrations qui lui seront plus tard ainsi rappelées : « Ce code fut apporté en triomphe par des vieillards, comme un livre saint; plusieurs lé baignèrent de leurs larmes et le couvrirent de baisers. L'acte constitutionnel fut reçu avec moins de gravité et de respect, que de superstition et d'idolâtrie, et l'assemblée législative parut se tenir dans une humble contenance devant l'ombre même de l'assemblée constituante. (Le Défenseur de la constitution, no 1, p. 3.) Aujourd'hui cependant, il faudra agir pour vivre; aujourd'hui chaque acte sera réellement un acte de salut. Privée, par la position fatale qu'elle a volontairement subie, de la capacité et de la verve initiatrice, la législative ne nous présentera dans ses paroles et dans ses œuvres que des mouvemens à posteriori. Attaquée au vif, elle réagira; ses colères révolutionnaires les plus exaltées ne seront que de pures réactions; à des insultes elle répondra par des insultes; à des conspirations flagrantes, par des dénonciations qui se traîneront, sans aboutissement, dans les embarras des formes judiciaires, après s'être traînées dans ceux des formes parlementaires; à des fauteurs de guerre civile, par des décrets qui les priveront de leur pension; enfin, à des armées prêtes à faire feu, par une déclaration de guerre.

La séance du serment étant une des pièces de notre introduction, nous la plaçons sous les yeux de nos lecteurs.

SÉANCE DU 4 OCTOBRE.

[M. le président. L'ordre du jour est la prestation du serment individuel prescrit par la constitution. La loi du 17 juin porte que le président en prononcera la formule, et que tous les membres monteront successivement à la tribune, et diront: Je le jure. N.... Ne serait-il pas convenable de donner à cette cérémonie tout l'appareil et toute la solennité propres à caractériser son

importance? Je demande que la constitution soit apportée par l'archiviste, et que ce soit en tenant la main posée sur ce livre sacré, que chacun prête le serment. (On applaudit.)

M. Girardin. J'appuie la motion du préopinant; mais j'y joins un amendement ; c'est de nommer une députation pour aller chercher aux archives l'acte constitutionnel. (Il s'élève des rumeurs.)

N.... La loi du 17 juin 1791 porte que: chaque membre montera à la tribune, et dira: Je le jure; mais la constitution n'en parle point; puisque nous avons déjà dérogé hier à cette loi, je demande qu'afin qu'il n'y ait point de restriction mentale, il soit décrété que chaque membre prononcera la formule du serment. dans toute son intégrité.

N.... J'appuie la proposition de l'anté-préopinant, et je demande qu'il soit décrété que l'acte constitutionnel sera apporté à la tribune.

Cette proposition est adoptée.

M. Lacroix. Je demande l'ordre du jour sur la proposition qui a été faite d'envoyer une députation aux archives..

N.... Le préopinant paraît ne pas avoir compris l'esprit de la proposition. Ce n'est pas à l'archiviste qu'on envoie une députation, c'est au dépôt sacré qui ne peut être déplacé sans être sous la garde d'une commission de l'assemblée.

N.... Il n'est point question d'une députation; je demande qu'il soit décidé simplement que l'assemblée nommera des commissaires.

N.... Pour terminer tous ces inutiles débats, je pense que comme l'acte constitutionnel ne peut arriver ici tout seul, il est tout naturel de l'envoyer chercher.

M. Lacroix demande la parole contre cette proposition, et fait de longs efforts pour l'obtenir.

L'assemblée ferme la discussion, et décrète que le président nommera parmi les plus anciens d'âge, douze commissaires chargés d'apporter l'acte constitutionnel.

M. Moulin. Je pense qu'avant de nous occuper de rien de ce

qui concerne le serment individuel de maintenir la constitution, nous devons renouveler au nom du peuple français, que nous représentons, le serment de vivre libres ou mourir. (On applaudit.)

A l'instant même tous les membres se lèvent, par un mouvement spontané, et prêtent, par une acclamation unanime, le serment de vivre libres ou mourir,

Les applaudissemens des tribunes se prolongent pendant plusieurs minutes.

MM. les commissaires, ayant le vice-président à leur tête, se retirent pour aller chercher l'acte constitutionnel.

N.... Je demande que toute l'assemble reste debout jusqu'à ce que l'acte constitutionnel soit déposé sur le bureau.

N.... L'acte constitutionnel est l'étendard sous lequel nous devons marcher; le serment que nous allons prêter, sera le garant de la fidélité avec laquelle nous devons maintenir la constitution. Je demande que le serment que nous allons prêter, soit imprimé en gros caractères, et placé au-dessus du bureau du président, afin que chaque membre qui demandera désormais la parole, ait sous les yeux ce serment qui lui représente constamment ses devoirs.

N.... Il n'y a personne qui puisse l'oublier.

M. l'évêque du département de.... Pour ajouter à la solennité de ce serment, je demande qu'il soit annoncé dans toute la ville, d'une manière quelconque, au bruit du canon, par exemple; cela cela ne sera peut-être pas de trop. (Il s'élève beaucoup de murmures.)

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N.... Je rappelle à l'assemblée un trait de l'histoire des Athéniens. Tout le monde le connaît sans doute: après une défaite, ils firent prêter à leurs soldats le serment de mourir ou de vaincre. Ces soldats furent fidèles à ce serment; on l'écrivit ensuite sur les drapeaux, il y eut beaucoup de transfuges. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

M. Ducos. Plus la prestation du serment sera simple, plus cette cérémonie sera sublime. Je demande la question préalable sur toutes les motions nouvelles.

N.... L'assemblée a décidé que les vieillards qui sont dans son sein, iraient chercher l'acte constitutionnel; je demande que les plus jeunes aillent le recevoir. (On murmure.)

L'assemblée ferme la discussion, et passe à l'ordre du jour sur toutes les motions proposées.

M. le président. La loi du 17 juin porte que chaque membre montera à la tribune, et dira: Je le jure. On a proposé que la formule du serment fût prononcée en entier. Je vais mettre cette proposition aux voix.

N..... Avant que l'assemblée soit consultée, je me permettrai une observation déterminante : c'est qu'il y aurait entre le président et le membre qui dirait je le jure, un concours dans la pres- · tation dn serment; en sorte que ce serment ne serait plus individuel.

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M. le président consulte l'assemblée, et prononce que l'assemblée nationale déclare que, conformément à l'acte constitutionnel, le serment sera prêté individuellement et dans toute son étendue.

Plusieurs minutes se passent dans l'inaction.

Un huissier. Messieurs, j'annonce à l'assemblée nationale l'acte constitutionnel.

Les douze commissaires, escortés par les huissiers et par un détachement des gardes nationales et de la gendarmerie, entrent dans la salle au milieu des applaudissemens de l'assemblée et du public.

M. Camus, archiviste, porte l'acte constitutionnel.

Tous les membres restent levés et découverts.

N.... s'adressant aux spectateurs. Peuple français, citoyens de Paris, Français généreux, et vous, citoyennes vertueuses et savantes, qui apportez dans le sanctuaire des lois la plus douce influence, voilà le gage de la paix que la législature vous prépare. Nous allons jurer sur ce dépôt de la volonté du peuple, de mourir libres et de défendre la constitution.... (Il s'élève des rumeurs qui étouffent la voix de l'orateur.)

M. Camus porte à la tribune l'acte constitutionnel.

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