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de folie trop singulier pour n'en pas dire un mot. Cet accès, qui lui prit le 9 septembre, est consigné dans une lettre à messieurs les électeurs, écrite d'un bout à l'autre par lui-même; car personne ne m'aide, dit-il naïvement, page 21, comme l'a imprimé UN GREDIN LITTÉRAIRE: mes ouvrages sont à moi, et à moi seul. La seule expression gredin littéraire, qui ne pouvait tomber que de la plume du libraire Panckoucke, suffit en effet pour prouver qu'il n'a point de faiseur, et qu'il se peint ordinairement dans ce qu'il écrit.

› Mais revenons au trait de folie dont vient d'être atteint le cerveau du bibliopole de la rue des Poitevins. A l'exemple de l'Angleterre, où il a été prendre la justification de son Moniteur, à l'exemple encore de M. Lacretelle, ledit sieur se propose tout uniment pour député à l'assemblée nationale. Il ne se dissimule pas qu'il faut des titres aux suffrages des électeurs: il en produit de deux sortes, de négatifs et de positifs.

› Titres négatifs du libraire Panckoucke. — D'abord il n'a eu garde de mettre le pied dans la société des Amis de la constitution, ni même dans sa section, qui est celle des Cordeliers. Les électeurs auraient dû sans doute en faire un mérite au libraire qui tenait et tient encore Mallet du Pan à ses gages.

→ Ensuite il n'a cessé de pleurer sur les malheurs du roi et sur les crimes du 6 octobre, et même du 18 avril. Si ce sont ses titres d'exclusion, il s'en avoue coupable et consent à ne pas être député. Je ne suis point votre fait, répète-t-il avec candeur à chaque alinéa, et ce refrain a produit son effet. Panckoucke ne siégera pas cette fois parmi nos législateurs.

> Notre homme poursuit sa pointe, et ajoute avec un cynisme rare: J'ai écrit, imprimé que la liberté de la presse est le scandale de l'Europe et la terreur des honnêtes gens; s'il faut penser autrement, je ne suis point votre fait.

› Les brigands consommés assassinent l'homme qu'ils ont dépouillé sur la route; mais ils ne s'en vantent pas. Panckoucke s'est soutenu pendant la révolution à l'aide de la liberté de la presse,

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dont il a profité jusqu'à l'abus, et le bélître calomnie impudenment sa bienfaitrice!

Serait-ce un titre d'exclusion d'être chargé de journaux aristocratiques et démocratiques? Mais, ajoute-t-il dans une note, plus de cent familles eussent été livrées au désespoir, si je n'eusse imprimé rue des Poitevins ce qui l'eût été rue Saint-Jacques. Le saint homme! L'un de ces jours, dans une foule, un gredin fut surpris la main dans la poche de son voisin : « Quand vous me ferez pendre, dit-il sans se déconcerter, en serez-vous plus avance? Je vous prenais votre tabatière d'or, il est vrai; mais à deux pas plus loin, elle vous eût été prise par un autre coquin

comme moi. »

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Passons aux titres positifs du sieur Panckoucke. Ce n'est pas le moment d'être modeste, observe-t-il d'abord page 17. M. son père est mort janséniste; mais de son vivant, c'était un véritab épicurien, qui a fait vingt volumes, et qui a inoculé le goût et la passion pour l'étude à toute sa famille. Donc le Panckoucke de la rue des Poitevins est le fait des électeurs. Page 27 : Madame sa mère était une des plus belles femmes de son temps; donc M. son fils doit être nommé député. Il a une sœur (madame Suard) pleine de goût et d'esprit ; donc le frère a des principes et de l'éloquence.

› Il a été l'ami de cœur de Rousseau, de Voltaire, de Buffon, page 9, et il a donné à M. Beaumarchais un dîner qui lui coû'a 28,000 7. C'est-à-dire il a bien voulu se contenter de 172 mille l. pour prix des manuscrits de Voltaire, que ce grand homme lui légua à sa mort, et qu'il avait vendus cent mille écus à Beaumarchais. Il a écrit un mémoire sur le cerveau. Le sien fournirait matière à une dissertation curieuse. »

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L'Ami du roi ne contient sur les élections qu'un article Nouvelles, dont la seule phrase significative est celle-ci : « Les Jacobins l'ont emporté dans les élections, parce que les électeurs ont été nommés par les clubs. Toute la partie de ce journal qui n'est pas consacrée à l'assemblée nationale est garnie de protestations royalistes contre l'acte constitutionnel, de rétractations

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nombreuses des prêtres assermentés, et de pétitions par lesquelles le côté droit faisait demander ses comptes à la constituante, au nom du peuple souverain. Il y est aussi question des fameux placards que Durosoy affichait sur cette matière, et qui achevèrent de signaler cet écrivain comme le plus ardent zélateur de la contre révolution. Royou s'applique également à démontrer les progrès de la réaction aristocratique et ses prochaines victoires. Il donne le chiffre des défections journalières; il cite des traités entre les souverains; il fait voir la révolution chaque jour à la veille de périr dans le défilé que ferment incessamment les approches de la guerre civile et de la guerre étrangère. Sans doute ces bravades n'étaient que des illusions ou des mensonges, comme on peut s'en convaincre en les rapprochant de l'état de situation que nous avons emprunté aux Mémoires du prince de Hardemberg; mais le peuple y croyait, et cette persuasion d'une ligue formidable, qu'on prit tant de soin à lui faire naître, nous expliquera dans la suite de grandes catastroph s. Comment d'ailleurs ne pas ajouter foi à des faits présentés d'une manière si positive? Tantôt c'était « un baꞌaillon du régiment du Poitou qui, en sortant de Nantes, avait crié : Vive le roi ! vive la reine! vivent les aristocrates! ça ira, ça ira! Notre ventre est à la nation et notre cœur est au roi.» (L'Ami du roi du 20 septembre.) Tantôt le régiment de Vexin venait de passer le Var et de se rendre à Nice avec armes, bagages, drapeaux et caisse. Il avait été reçu en triomphe; tous les habitans s'étaient empressés de le loger, régaler, et de lui témoigner la plus vive satisfaction. › Dans ce même article, Royou affirme que la coalition est jurée, le traité signé, et que le contingent des puissances pour la grande armée d'invasion est ainsi arrêté : L'empereur, 80,000 hommes; la Prusse, 80,000; l'empire, 120,000; la Russie, 25,000; la Suède, 6,000; plus à sa solde, 16,000 Hessois; la Suisse, 12,000; la Sardaigne, 20,000; l'Espagne, 30,000; le Portugal, 30,000. Total, 419,000 hommes. L'armée des princes, sans compter qu'elle grossit chaque jour, ajoute le correspondant de Royou, monte déjà à 15,000 gentilshommes. › (L'Ami du roi du 7 septembre.)

Hébert s'occupa beaucoup des élections. Quoique son journal soit du commencement de 1791, nous avons jusqu'à cette heure évité d'en parler, parce que nous voulions attendre que la notoriété lui fût acquise. Ses lettres sont d'abord adressées à l'armée. La dix-septième fait la motion expresse que tous les Français indistinctement se tutoient. On voit qu'il était en progrès sur les clubs de Loches et de Lyon, lesquels demandaient seulement, à peu près à la même époque, l'abrogation du protocole. La vingtseptième prend pour épigraphe: Castigat bibendo mores. Hébert est un enfant perdu de l'école fondée par les romans philosophiques de Voltaire. Son genre est une exagération du Compère Mathieu, comme ce livre en était une de Candide. A part le cynisme des jurons, son originalité à lui, le Père Duchêne a écrit des pages qui ne le cèdent en esprit et en gaîté à aucune de celles que les matérialistes admirent le plus dans le patron des incrédules. Le diable, l'inquisition, les prêtres, sont le texte habituel de ses plaisanteries. En politique, malgré le fracas de ses mots contre les aristocrates, on le voit suivre avec beaucoup de souplesse le parti dominant. Ainsi, il est partisan de la Fayette et de la garde nationale: il fait des tirades pour Louis XVI et pour son ministre Duportail. Après la fuite à Varennes, il crie beaucoup contre Cochon Durosoy, Mallet du Pan, Royou, etc.; mais il penche visiblement pour les Feuillans. Ce qui va donner à nos lecteurs une idée de cet homme, c'est sa conduite au 17 juillet. Il signa la pétition du Champ-de-Mars, puisque son nom s'y trouve en toutes lettres (HÉBERT, écrivain, rue de Mirabeau); il fut même arrêté à cette occasion, mais relâché presque immédiatement. Eh bien! quelques jours après, dans ses lettres CXVIII et CXIX, il chante les louanges de la Fayette, de la garde nationale, et pousse son impudente palinodie jusqu'à parler de Dieu, lui qui la veille prêchait ouvertement l'athéisme. Tremblez, dit-il à ceux qui ont tué l'invalide et le perruquier, et qui ont lancé des pierres à la garde nationale, tremblez, infâmes! si vous échappez aux bourreaux armés par les lois pour frapper les coupables, un Dieu vengeur, un Dieu vous attend! Mais y croyez-vous, tigres sauvages, plus carnassiers que ceux des bois? Ailleurs il s'écrie:

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J'entends encore des enragés dire du général qu'on a manqué d'un coup de fusil et qui s'expose à tout: Mais qu'allait-il faire là? Eh! b.... d'imbécille, qu'y allais-tu faire toi-même? On serait un dieu, qu'on entendrait encore autour de soi ce cri infernal: A la Lanterne ! Eh bien! démons, vivez donc sans frein, sans loi, comme les Sauvages, et mangez-vous comme eux. Hébert déclame contre Marat. Les journaux dont il transcrit volontiers des extraits sont la Chronique de Paris, le Patriote français, les Annales patriotiques, et même la Gazette universelle de Cerisier, feuillant très-prononcé. A l'apparition du Chant du coq, Hébert, encore sous le coup de sa terreur du drapeau rouge, fit l'éloge de ce placard. Le Coq fut long-temps pour lui un bel oiseau, un joli oiseau, ayant bon bec, bons et solides ergots, haute et claire voix; il ne lui fit une demi-opposition qu'au sujet de Brissot. Il adressa un grand nombre d'articles aux électeurs. Ses candidats étaient Manuel, Condorcet, Mercier, Charles Villette, ‹ cet ami de Voltaire, qui nous l'a ramené; de Voltaire qui, le formant à son école, en fit un homme éclairé et sensible.› Hébert était ami de Tallien; il lui donna souvent ce titre, notamment dans sa cent quarante-et-unième lettre, où il annonce le nouveau journal de son ami Tallien (l'Ami des citoyens). Le Père Duchêne parle encore fort peu des Cordeliers et des Jacobins; il n'en est pas de même des sociétés fraternelles: Hébert nous apprend que les aristocrates désignaient par le mot sans-culottes les membres de ces sociétés, ce qui établit l'origine et l'usage d'une expression plus tard si fameuse, et déja usitée en 1791.

Nous nous sommes un peu arrêtés sur ce révolutionnaire afin de montrer à nos lecteurs ses principes, ses accointances, les débuts enfin du rôle que nous lui verrons accomplir. Quant à son journal, nous pouvons à peine y puiser une citation honnête : les extraits précédens sont une montre qu'il fallait bien donner une fois. Nous n'en ferons de nouveaux que dans les cas de nécessité historique.

Le Journal de Paris publie chaque jour, aussi exactement que le Moniteur, le bulletin électoral; mais il ne se permet aucune

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