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Les élections vont leur train, et le choix des électeurs, dans tout le royaume, ne justifie que trop l'augure que nous avons tiré sur la prochaine législature. Partout on ne voit nommés pour députés que des procureurs-généraux et des administrateurs de districts; des maréchaux-de-camp, des commandans de gardes nationaux et des colonels de régimens ; des membres de directoires, des maires, des juges de tribunaux, des commissaires des guerres, etc., c'est-à-dire des suppôts de l'ancien régime et des créatures de la cour, que les intrigues des agens ministériels avaient portés aux places du nouveau régime, pour arrêter le triomphe de la liberté et favoriser la contre-révolution.

>La plupart des départemens ont même choisi pour leurs délégués des ennemis connus de la patrie. Tel est celui du Nord, qui à élu le frère de cet infâme Emmery qui, le premier, apostasia en s'enrôlant dans le club de 1789; de cet infâme qui fut le principal instigateur du décret atroce contre la garnison de Nancy; de cet infâme qui, depuis deux ans, n'a pas laissé échapper une seule occasion de vendre au monarque les droits du peuple, et de machiner contre la liberté. Tel est celui du Jura, qui a élu Théodore Lameth, président du département, et frère de ces insignes tartufes, qui affichèrent long-temps un faux civisme pour capter les suffrages du peuple, et qui s'empressèrent de reprendre leurs rôles de bas valets de la cour, dès qu'ils crurent le moment favorable pour saper ouvertement l'édifice de la liberté naissante, qu'ils n'avaient jamais cessé de miner sourdement.

>Mais cesont surtout les électeurs du département de Paris qui se distinguent par le choix le plus honteux. Aux deux piêtres députés qui, les premiers, réunirent leurs suffrages, ils ont donné pour collègues les sieurs Pastoret, Cerutti, Bigault, Broussonet, Gouvion, etc.

> Qui ne connaît le doucereux Pastoret, à regard faux et à poil roux; ce roi des intrigans qui s'éleva par degrés de la fange à l'une des premières places du nouveau régime. En 1782, on le vit laisser ses sabots à la porte du musée de la rue Dauphine,

pour y jouer le rôle d'apprenti poète et de garçon bel-esprit. Parmi les douairières, auxquelles il fit les yeux doux, il en trouva une qui lui valut la charge de conseiller de la Cour des aides. Le voilà magistrat; mais il en méconnut toujours les fonctions, et toujours il en négligea les devoirs, pour courir après un fauteuil de l'académie des Belles-Lettres, que lui procurèrent mille bassesses prodiguées aux initiés. Bientôt il se mit à soupirer après la fortune. Un de ses parens, laquais de Champion, l'introduisit auprès de son maître, qui en fit peu après son blanchisseur : tantôt il lui faisait un mandement; tantôt il lui rédigeait un rapport au conseil; il lui fabriqua même des édits royaux. Mais son coup de maître fut de publier de honteux mémoires sur l'excès des impôts pour consoler tout doucement les Français du malheur d'être écrasés par les maltôtiers, en songeant que leurs aïeux n'avaient jamais été mieux traités. Pour prix de sa prostitution au chef de la justice, le voilà devenu gratuitement maître des requêtes. Bientôt, pour prix de sa prostitution aux valets de la cour, il devint le mari d'une riche héritière. Les ministres avaient besoin dans la municipalité d'un mouchard adroit et liant qui s'insinuat partout, et qui tìnt note de tous les projets des patriotes : ils en firent un municipal. Il leur fallait dans le département une âme damnée qui protégeât les ennemis de la révolution, et qui écrasât les amis de la liberté : ils en firent le procureur-général-syndic. Il leur fallait dans la nouvelle législature un meneur habile dans l'art d'en imposer et de barrer tous les projets qui y seraient portés : ils en ont fait un père-conscrit contrerévolutionnaire.

Je ne dis rien de Broussonet: c'est un mauvais singe de Pastoret: mais il serait son maître, si son esprit allait de pair avec

son cœur.

› Je ne dis rien non plus de Bigault, de cet Esculape qui, faute de patiens, se fit secrétaire de district, qu'un vain babil fit juge de paix, que l'intrigue vient de faire père-conscrit ; à coup sûr, c'est un membre de la confrérie antinationale, autrement la clique électorale l'eût rejeté bien loin.

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Vous connaissez Cérutti, ce disciple achevé de Loyola, ce caméléon subtil, auquel le ciel, avare de ses dons, donna un caquet fleuri, un esprit léger, auquel il refusa toujours une âme élevée et un cœur droit. Bas valet-né des grands, vil esclave des favoris de la cour; tout ce qu'il a d'astuce fut consacré à leur plaire. Vous l'avez vu parasite rampant à la table des Noailles, et déhonté flagorneur de Necker, l'accapareur adoré. Tremblant que la trie ne triomphât, on le vit un moment jouer le patriote. Ravi que le despotisme reprît le dessus, on le vit peu après recaresser la cour. Dans ses homélies villageoises, vous le voyez s'arranger de manière à être toujours en mesure, quelque parti que l'aveugle destin vienne à couronner. Jamais le sentiment ne poussa ses lèvres ; et si quelquefois il prêche aux rustres l'amour de la liberté, c'est toujours de manière à conserver au despote le cœur de ses sujets. Le voilà père-conscrit: quelque peu pro-noncé que soit son caractère, il n'en est pas moins dangereux; et parmi ses collègues, la fleur des tartufes de la capitale, je n'en connais aucun plus propre à fonder un nouveau club jacobite, et à renouveler le rôle des Barnave, des Menou et des Lameth.

Que vous dirai-je de Gouvion? c'est l'âme damnée de Mottié, le chef des ennemis de la patrie, la cheville ouvrière des traîtres et des conspirateurs contre-révolutionnaires.

>Le choix du corps électoral parisien est indigne, honteux, alarmant; mais ce corps est si indignement composé lui-même, que ce serait folie que d'entreprendre de le rappeler à ses devoirs son parti est pris, il ne nommera à la prochaine législature que des ennemis de la révolution.

› Pour peu que l'on ait de tact, on peut même s'assurer, que ce corps pourri ne nommera que des ennemis de la révolution, d'une tournure d'esprit jésuitique; de ces tartufes qui savent manier la lime sourde de la politique, perdre la patrie sans frapper de grands coups, et (comme on dit) plumer la poule sans la faire crier seuls suppô's du despotisme, qui puissent aujourd'hui conduire à un plein succès les projets sinistres de la cour,

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et empêcher de se perdre lui-même le despote impatient de faire sentir son joug, avant d'avoir cimenté son empire, avant que les folliculaires à gages aient réconcilié la nation avec ses nouvelles chaînes, avant qu'ils aient remis à la mode l'esprit de servitude.

>On verra donc nos électeurs vendus à la cour, continuer à faire entrer dans le sénat de la nation tous les hommes à deux faces, qui ont de l'adresse et des poumons; tels qu'un Champfort, vil flagorneur de Condé, qu'il a généreusement abandonné au moment où il l'a vu délaissé de la fortune; un Condorcet (1), tartufe consommé sous le masque de la franchise, adroit intrigant, qui a le talent de prendre des deux mains, et fourbe sans pudeur, qui veut allier les contraires, et qui, sans rougir, eut le front de débiter au Cirque son discours républicanique, après avoir rédigé si long-temps le journal du club ministériel.

>Puisque je suis sur ce chapitre, il faut que j'achève de dévoiler le plan actuel du cabinet des Tuileries. Pour consolider la constitution, s'assurer du corps-législatif, des corps administratifs et judiciaires, et de la force publique, il paraît arrêté que l'on tirera des tribunaux, des directoires de districts et de départemens, des troupes de ligne, les sujets les plus disposés à se prostituer aux volontés des ministres, et que l'on remplacera ces infâmes sujets par des membres de l'assemblée constituante, qui se sont le plus prostitués aux ordres de la cour. Ainsi, Dandré prendra la place de Pastoret; Desmeuniers, celle de Broussonet; Duport, celle de Lacepède; Emmery, celle de Lamourette, président du département des Ardennes; Nérac, celle de Barenne, procureur-général-syndic du département de la Gironde; Barnave, celle de président du département de Seine-et-Oise, etc., etc.

› Avec un pareil système, le plus profond que l'enfer pouvait enfanter, il est impossible qu'il survienne jamais aucun mouve

(1) C'est une observation d'histoire naturelle bien piquante, que les plus adroits fripons, les fourbes les plus consommés, les hommes à deux faces qui ont joué le grand rôle dans l'assemblée nationale, et qui le joueront à la prochaine législature, sont tous de la lisière du Dauphiné et de la Provence: témoin Mounier, Riquetti, Dandré, Barnave, Rabaud, Malouet, Condorcet, Pastoret, etc. (Note de Marat.)

ment populaire, aucune insurrection, sans qu'ils soient à l'instant étouffés, quelque violente que soit l'indignation publique.

› Ainsi, avec un nombre déterminé de fripons dévoués à la cour, destinés à remplir toutes les fonctions importantes de l'État, et tournant successivement sur eux-mêmes, pour leur remplacement, nos fers seront rivés pour l'éternité.

› Le peuple est mort depuis le massacre du Champ-de-Mars. Vainement m'efforcerai-je de le réveiller; aussi y ai-je renoncé, et probablement pour toujours: mais je puis encore m'amuser à faire le prophète.»

Les Révolutions de Paris repoussent la candidature de Lacépède, parce que c'est un ci-devant comte, et que des nobles sont toujours suspects. Il en est de même du marquis de Condorcet, ‹ lequel n'a déjà que trop justifié nos craintes. Nous n'avons pas encore pu oublier qu'il fut le rédacteur du journal du Club de 1789. Il est vrai qu'il a expié cette faute par son discours républicain, prononcé au Cirque; mais peut-être ne devons-nous ce retour qu'à la proximité des élections et à l'espoir de rentrer en grâce dans l'opinion publique. >

Le journaliste ne veut pas plus des prêtres que des nobles; il dit qu'il faut laisser à leurs ouailles Lamourette et Fauchet. Il s'exprime comme Marat sur le compte de Cérutti, sur Chamfort, et il dit d'Emmanuel Clavière qu'il a trop travaillé avec Mirabeau pour inspirer de la confiance; il répète sur Garan de Coulon un mot alors populaire : Ennuyeux comme la vérité, simple comme la vertu. Il trouve équivoque le patriotisme de Kersaint, et demande qu'on donne à P. Manuel et à quelques autres patriotes le temps de mûrir leurs idées. Son opinion sur Broussonet et Pastoret est la même que celle de l'Ami du peuple. (Révolutions de Paris, numéro CXII.)

Le même journal, numéro CXVI, renferme sur la candidature du libraire Panckoucke un article que nous allons transcrire.

Trait de folie remarquable.

• Il vient de passer par la tête du libraire Panckoucke un trait

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