Page images
PDF
EPUB

et n'attendre que la suppression de la loi des passeports pour se réunir aux rebelles.

Laissez done les sermens aux charlatans, aux sectaires, aux faux prophètes, et que la tranquillité nationale ne repose jamais sur une pareille garantie! Le serment est inutile pour l'honnête homme, et il ne lie pas les scélérats. (Applaudissemens.) Sous ce rapport, l'engagement proposé serait donc inutile : je vais démontrer qu'il serait dangereux.

Ce serment ou cette déclaration exigée de chaque Français émigré serait une véritable patente de conspirateur; les émigrans pourraient librement, en pays étranger, conspirer contre la patrie. L'assemblée nationale a certainement le droit de rappeler les fonctionnaires publics hors du royaume: cependant, en exigeant d'eux un pareil engagement, ils pourraient rester dans les pays étrangers. L'assemblée nationale a non seulement le droit, mais c'est un devoir pour elle que d'attaquer les chefs des rebelles ; et cependant les chefs mêmes des rebelles, en souscrivant cet engagement, seraient parfaitement tranquilles.

Le décret proposé par M. Condorcet est donc d'une exécution. lente et difficile; il est complétement inutilé; enfin il est dangereux, puisqu'il ne vous permet plus de distinguer vos amis de ceux qui veulent trahir la patrie. Je demande en conséquence la question préalable sur ce projet, et, si elle est admise, je demande que la discussion s'ouvre sur celui de M. Vergniaud.

M. Condorcet. Je vais essayer de répondre successivement aux différentes objections qui m'ont été faites.

La première est celle de l'inutilité du serment, ou plutôt de la déclaration que j'ai proposée. Je sais que les honnêtes gens n'ont pas besoin de sermens; je sais que les scélérats les méprisent; mais je sais aussi qu'entre les honnêtes gens vraiment fermes dans leurs engagemens, et les scélérats, il y a un nombre infini d'hommes qui manqueraient à leur devoir, et qui ne manqueraient pas à l'engagement qu'ils viennent de prendre. ( Murmures.) Ce n'est pas seulement par une espèce de demi-conscience que l'on respecte un engagement d'honneur ; c'est par intérêt, parce qu'en

manquant à un engagement on perd toute confiance, et qu'iln'est pas possible de se trouver dans une circonstance où l'on n'ait pas besoin de la confiance d'autrui. La mesure que je propose n'est donc pas inutile.

On a parlé des difficultés que pouvait renfermer l'exécution de la loi que je propose : c'est précisément parce que j'ai cru qu'il fallait commencer par s'assurer invariablement des dispositions des Français émigrés, que j'ai proposé des mesures qui paraissent un peu lentes. (Murmures. )·

On m'a parlé des fonctionnaires publics. Il y a très-peu de fonctionnaires publics qu'on puisse regarder comme tels parmi les émigrans. D'abord, les officiers qui ont quitté leurs régimens sans avoir donné leur démission, ne sont plus regardés comme des fonctionnaires publics; on doit pourvoir à leur remplacement ces mêmes officiers sont l'objet d'un article particulier. Il reste les personnes qui, sans être fonctionnaires publics, sans être placées dans le militaire d'une manière active, ont cependant, d'après les lois militaires, conservé des droits à un remplace ment, à une promotion dans différens grades. Ceux-là, Messieurs, sont aussi l'objet particulier d'un de mes articles : le ministre de la guerre, d'après cet article, est chargé de n'admettre dans les remplacemens que ceux qui auraient souscrit l'engagement de reconnaître la constitution, de lui être soumis, et de vouloir rester citoyens français.

On a dit que ma loi n'atteignait pas les chefs, puisqu'ils en seraient quittes pour violer leur engagement. Je réponds que les chefs, s'ils persistent dans leurs projets, ne prendront pas un pareil engagement, parce qu'ils ne pourraient plus, après l'avoir pris, solliciter aucun secours étranger; parce que jamais les chefs d'un parti ne peuvent prendre un engagement au moment où ils veulent le violer, car par cet engagement ils cesseraient d'être chefs : ce qu'un individu peut faire, un chef, qui doit à son parti l'exemple du plus grand zèle, ne le peut pas.

Je n'ai pas voulu désigner nominativement les princes dans la

loi générale, parce qu'il ne faut pas faire soupçonner qu'ils puissent, comme princes, en être exceptés.

On dit que ces mêmes hommes auxquels on demande une déclaration, car c'est une déclaration que j'ai proposée, et non un serment; que ces mêmes hommes ont déjà prêté des sermens, et qu'ils y ont déjà manqué... Messieurs, lorsqu'on a prêté le serment civique au 4 février 1790, beaucoup de gens qui l'ont prêté n'y ont manqué que parce qu'ils avaient prêté le serment à une constitution qui n'était pas encore faite... (Murmures.) Messieurs, c'en est fait; personne ne convient d'avoir fait un faux serment: ils ont dit qu'ils avaient prêté lenr serment de bonne foi, mais qu'on avait ajouté à la constitution : ils ont invoqué contre leur serment une exception que je crois très-mauvaise ; mais cette exception ne peut avoir lieu actuellement; et s'il est vrai qu'on ait pu mettre une différence entre les sermens, le premier serment ne pouvait pas comprendre des articles qui n'existaient pas encore d'une manière positive et précise; c'était un engagement de patriotisme différent d'un serment positif sur un article existant: il ne faut donc pas confondre le serment du 4 février avec le serment solennel et positif qu'on a juré depuis que la constitution est finie: le serment de la maintenir ne donne lieu à aucune exception, à aucun prétexte de le violer.

On demande à aller aux voix.

L'assemblée consultée décide à une très grande majorité qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet de décret de M. Condorcet, et charge son comité de législation de lui en présenter, sous trois jours, un nouveau.]

La rédaction définitive du décret relatif au premier prince français, fut adoptée en ces termes ;

Premier décret.-L'assemblée nationale, considérant que l'héritier présomptif de la couronne est mineur, et que LouisStanislas-Xavier, prince français, parent majeur, premier appelé à la régence, est absent du royaume, en exécution de l'article II de la section III de la constitution française, décrète que Louis-Stanislas-Xavier, prince français, est requis de ren

trer dans le royaume sous le délai de deux mois, à compter du jour où la proclamation du corps-législatif aura été publiée dans la ville de Paris, lieu actuel de ses séances.

› Dans le cas où Louis-Stanislas-Xavier, prince français, ne serait pas rentré dans le royaume à l'expiration du délai ci-dessus fixé, il sera censé avoir abdiqué son droit à la régence, conformément à l'article 2 de l'acte constitutionnel. >

Second décret. ‹ L'assemblée nationale décrète qu'en exécution du décret du 28 de ce mois, la proclamation, dont suit la teneur, sera imprimée, affichée et publiée sous trois jours dans la ville de Paris, et que le pouvoir exécutif fera rendre compte à l'assemblée nationale, dans les trois jours suivans, des mesures qu'il aura prises pour l'exécution du présent décret. ›

[ocr errors]

Proclamation. «Louis-Stanislas-Xavier, prince français,l'assemblée nationale vous requiert, en vertú de la constitution française, titre 3, chapitre 2, section 3, nombre 2, de rentrer dans le royaume dans le délai de deux mois, à compter de ce jour ; faute de quoi, et après l'expiration dudit délai, vous serez censé avoir abdiqué votre droit éventuel à la couronne. ›

SÉANCE DU 2 NOVEMBRE.

[Un de MM. les secrétaires fait lecture d'un mémoire adressé à l'assemblée nationale, par M. Belleredon, citoyen français; il est ainsi conçu:

« J'ai pensé qu'il était de mon devoir de communiquer à l'assemblée nationale, non pas les craintes que l'on pourrait concevoir sur les dispositions des émigrans, mais les faits dont j'ai pris note dans un voyage que je viens de faire.

[ocr errors]

J'arrive à Varennes, ville que l'arrestation du roi rendra célèbre dans l'histoire. Cette ville est entièrement dévouée à l'aristocratie, par différens manifestes, que M. Berfontaine, ancien intendant de M. Condé, a répandus. Il est préposé de la part des émigrans, et a fait nommer une municipalité à sa fantaisie. Le procureur de la commune partage ses sentimens : il a remplacé le courageux citoyen Sausse, qui a arrêté le roi.

> M. Berfontaine, auquel j'avais été adressé, mé donnait des renseignemens sur la conduite que je devais tenir pour passer chez l'empereur. Il m'adressa à M. Henriquet, ingénieur des ponts et chaussées, pour qu'il me conduisît dans la forêt voisine de Dhums, lieu de sa résidence. Il me fit conduire par le nommé Gentil, maréchal-ferrant dudit lieu, qui me dit en avoir passé plus de trois cents. La municipalité de cette ville et la garde nationale sont étroitement liées par l'aristocratie, et m'ont même offert un passeport, ainsi qu'à trois gardes-du-corps qui ont passé avec moi. Ils avaient des ordres conçus en ces termes : Monsieur et cher camarade, je suis chargé, par ordre supérieur, de vous inviter à rejoindre vos drapeaux à Coblentz, ainsi que beaucoup de nos camarades qui y sont, etc. Signé, le duc DE GUICHE.

› Arrivé aux différens villages qui avoisinent Luxembourg, les paysans éprouvaient une joie surprenante, et semblaient désirer ardemment la réussite des projets des princes. Ils nous donnèrent un passeport pour Luxembourg, que nous fûmes faire viser chez M. Désauteux, major-général de l'armée, qui est préposé, ainsi que le baron de Pouilly, pour viser les passeports, ainsi que pour prendre des renseignemens sur ce qu'on y va faire, et, d'après ces renseignemens, ils vous indiquent l'endroit où vous devez aller, et vous fournissent de l'argent quand vous en manquez.

› Il faut être porteur d'un brevet, et avoir quatre répondans gentilshommes, pour pouvoir aller se faire inscrire sur la liste des émigrans qui veulent prendre les armes. S'ils éprouvent des refus, ils n'y répondent que par des traitemens aussi barbares que leurs projets.

› Les louanges feintes que je donnais à ces projets leur firent penser que je pourrais être habile à remplir une place dans une des compagnies rouges à Coblentz....

› J'arrive à Coblentz, où j'ai vu tous les princes se livrer fré-· nétiquement aux projets les plus étonnans. Toute cette ville est électrisée d'aristocratie. Il leur échappe souvent, dans les accès

T. XII.

14

« PreviousContinue »