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d'une violation de dépôt, sans les réfuter autrement. Il raconte dans ses Mémoires sa détention à la Bastille; il y parle des libellés, mais il n'y nomme même pas d'Aspremont et Vingtain; quant à Desforges, il noie ses relations avec cet homme en des récriminations qui ne concluent à rien. L'affaire des 13,335 liv. et le commerce des libelles restent done incontestés.

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Parmi les journaux qui s'emparèrent des pamphlets de Morande, les uns, comme l'Ami des patriotes, se contentèrent d'y renvoyer leurs lecteurs les autres, comme la Gazette universelle de Cerisier, le Babillard, et le Chant du coq (1), les exploitèrent largement.

Brisson cita les rédacteurs du Babillard devant le tribunal de paix séant aux Petits-Pères. Ceux-ci présentèrent pour leur défense les numéros de l'Argus, journal avoué par son auteur et par son imprimeur, et dont ils n'avaient fait qu'emprunter certains passages. Brissot déclara ne vouloir pas répondre à Môrande, sous prétexte que son journal n'était pas connu. « Nous croyons donc nécessaire, ajoute le Babillard en rendant compte de ce procès, de propager autant qu'il est en nous les accusations que celui-ci garantit, et dont il offre les preuves, afin de forcer l'imperturbable Brissot à descendre dans l'arène où l'on ne cesse de l'appeler. (Babillard du 14 août.) si va un

(1) Ce journal-affiche, qui parut après la journée du 17 juillet, était rédigé par les auteurs du Babillard,'dans un sens royaliste-constitutionnel. La garde nasionale du temps avait adopté cette feuille, et villait à ce qu'elle ne fût pas déchirée. Elle portait pour épigraphe: Gallus cantat, gallus cantabit. A cette époque, les murs de Paris étaient tapissés de placards de toute espèce, ce qui

un exemple. Gait souvent lieu à une gueres colleurs dont voici

(Journal de la cour et de la

raconte de visu qu'à l'un des angles des rues Saint-Lazare et du Mont-Blanc, le colleur de la colleur du Chant du cog, et

lettre de Pétion à ses co le couvrirédiatement. Ce dernier avait

attendait qu'il f fût parti pour le

remarqué son antagoniste; en conséquence, il colla son journal et fit sem

blant de s'en aller. Mais il i revint sur ses pas, et trouvant sur son Coq la lettre de Pétion, il la couvrit à son tour; ce qui faire à Gauthier force plaisanteries sur ce pauvre Pétion collé entre deux coqs. -- li n'existe qu'une seule coliection des journaux-affiches faite dans le temps par Dufourny, Jacobin dont il a été plusieurs fois question dans notre histoire. Il se levait la nuit pour les décoller. Cette collection fut d'abord vendue à Portier de nous tenons ces détails d'un con

l'Oise; elle est aujourd'hui en Angleterret imprimé à la suite du Babil

temporain bien informé. Le Chant du coq lard, à compter du onzième numéro; nous ne sommes privés que des dix premiers.

(Note des auteurs.)

Ce procès n'eut pas de suite. Le Babillard ne cessa cependant de harceler Brissot: il l'accusa en son propre nom d'avoir oublié dans sa bourse, pendant plus de six mois, une somme de 580 1. qu'il avait puisée dans la caisse du district des Filles-St-Thomas, dont il était président. Le Babillard affirma posséder là-dessus des preuves authentiques.

Ce fut alors que le club de la rue de la Michodière, principal soutien de Brissot, décida qu'une justification devenait indispensable. Ce club, composé des membres les plus influens de la section de la Bibliothèque, tels que Clavière, Condorcet, Kersaint, Calvet, Carra, les maîtres perruquiers Thomet et Gallois, etc., avait balloté MM. Lecomte d'Estaing et Brissot. Celuici fut préféré. Dans sa séance du 17 août, la société délibéra sur le parti que son candidat devait prendre à l'égard des libelles. Il fut convenu qu'il répondrait au Babillard par la voie de l'affiche.

L'affiche de Brissot parut le 25 août. Elle renfermait deux certificats, l'un de Pascal Lepage, attestant que, successeur de Brissot à la présidence du district des Filles-Saint-Thomas, il en avait reçu une solde de 580 liv., et que lui-même P. Lepage avait remis cette somme à M. Picard, marchand épicier, rue de Richelieu, aussitôt qu'il avait eu connaissance de la nomination des commissaires chargés de liquider les comptes du district. Dans le second certificat, Picard déclarait que, le 20 ou 22 janvier 1790, ayant averti Brissot de payer au district une dette de 580 liv., il lui avait été répondu de s'adresser à Lepage, et que ce dernier lui avait en effet remis ce que Brissot redevait à la caisse. Ces deux certificats sont datés du 20 août 1791. J Le Babillard, directement renseigné par Duclos Dufresnoy, trésorier du district des Filles-Saint-Thomas, rendit à Brissot affiche pour affiche. Il commença par lui faire observer que lorsque l'on rendait ses comptes, c'était entre les mains du trésorier et non pas entre celles d'un président, officier étranger à la comptabilité. Ensuite, il établit, par un extrait du chapitre des dépenses expédié par Dufresnoy, que Brissot avait pris la somme en deux fois, le 22 juillet et le 10 août 1789. Puis, expliquant la.

manière dont Brissot avait obtenu ses certificats, il disait que P. Lepage, honnête homme, connu pour sa malheureuse facilité, était en outre l'imprimeur et le fermier du Patriote Français; que M. Picard, sollicité à plusieurs reprises de sauver l'honneur de Brissot, avait consenti à signer le plus insignifiant et le moins inexact des trois certificats que Lepage lui présentait ; qu'au reste, il avait eu soin d'en garder l'original écrit de la main de Lepage. -Ce qui d'ailleurs mettait à néant toutes ces subtilités, tous ces replâtrages tardifs, c'était le compte de recouvrement, portant, à la date du 25 janvier 1790, qu'une somme de 580 livres avait été remise par M. Brissot de Warville. Après cette exhibition de preuves officielles, le Babillard s'écrie:

< Les fidèles du club de la rue de la Michodière peuvent prendre des délibérations fulminantes contre les auteurs du Babillard. Le sieur Joigny-Gorjus, en bonnet de coton et en tablier de cuisine, peut faire la motion de nous empaler, en attendant que son frère, le commissaire de police, ait acquis les pièces nécessaires pour nous faire pendre. MM. Thomet et Gallois peuvent diriger contre nous toutes les ressources de leur science moderne. Nous attendons en paix les suites de cette conspiration contre de coupables écrivains qui ne rougissent pas de dire la vérité. Nous prions aussi les amis ardens de l'irréprochable Brissot de ne pas se compromettre par de petits oublis, dans le genre de ceux que nous avons rapportés, parce que plus leur mémoire s'affaiblira, plus la langue indiscrète du Babillard s'efforcera de la réveiller. (Le Babillard du 28 août.)

Nous terminerons ici l'historique des attaques portées à Brissot. L'activité des brigues électorales, les passions en sens contraire qui agitaient les partis, empêchèrent alors que ce procès fût examiné froidement. Le côté politique de la vie de Brissot attira exclusivement l'attention des électeurs. La Chronique de Paris, les Annales patriotiques et le Père Duchesne furent les seuls journaux qui prirent vaguement sa défense; ils n'entrèrent dans aucun détail. Son ami Manuel lui écrivit une lettre de condoléance. Voici un échantillon des apologies du Père Duchesne.

T. XII.

2

On a beau dire, on méprise la calomnie et les libelles : je vois cependant avec douleur que les calomniateurs multiplient bougrement leurs venimeux pamphlets, qui devraient servir à torcher tous les culs électoraux, plutôt qu'à troubler, un tantinet, les cervelles toutes disposées à recevoir le poison de la haine et de la vengeance. Ces ordures répandues avec profusion au moment même du scrutin, finissent toujours par laisser dans les esprits une teinte sale contre celui sur qui on les fout à pleines mains, et tout le sayon de la raison ne suffirait foutre pas pour enlever la tache. Ici, le Père Duchesne, après avoir dit que Brissot n'avait jamais varié, fait aux électeurs ce dilemme : « Si nous avons la paix, croyez-vous l'homme que vous rejetéz comme un factieux, asseź sot, assez déraisonnable pour la troubler? Si vous avez du boucan, n'aurez-vous pas besoin qu'il se montre?

« Oui, foutre, c'est faire triompher les ennemis du peuple que de rejeter celui qui les combattit sans crainte. Pourquoi, par exemple, le pauvre Duchesne a-t-il eu une ou deux voix? Si mon zèle m'a mérité cet honneur, si mon amour ardent de la patrie m'a mis en scène, moi, triste bougre et chétif ouvrier, mon radotage burlesque et mon âge, joint à mon goût dominant pour la bouteille, ne sont foutre pas des titres. Laissez, laissez Duchesne, et nommez Brissot. Je ne suis qu'un pauvre diable, et celui-là vaudra dix fois mon chétif individu.

. Mais, mon camarade, si tu succombes sous les coups d'ongles et de becs de tous les jean-foutres de coqs, ne seras-tu pas sur tes pieds? N'auras-tu pas toujours de la bonne encre et l'estime de tes amis?» (168 Lettre bougr. patriotique.)

Ces scandales mirent à la mode, dans les feuilles royalistesconstitutionnelles, le mot brissoter, dont elles se servirent longtemps à la place d'escroquer. Lorsque Brissot fut nommé député, elles dirent que l'élection avait été brissotée,

Marat fut le seul démocrate qui exprima des doutes politiques sur Brissot. Il lui adressa dans son Ami du peuple du 11 septembre de sévères conseils.

▾ Brissot, dit Marat, n'a jamais été à mes yeux un patriote bien franc.

>Je ne lui pardonne pas d'avoir été si long-temps l'apologiste des infidèles administrateurs municipaux et du traître Mottié : moins encore d'avoir été le premier auteur du plan inique d'administration municipale. Soit bassesse, soit ambition, il a trahi jusque-là les devoirs d'un bon citoyen; vrai défenseur de la liberté, pourquoi faut-il qu'il ne soit revenu à la patrie que lorsqu'il s'est aperçu qu'il était la dupe du général tartufe, lequel pour cacher sa trahison, s'étant fait prôner par ses créatures comme un républicain décidé, n'a rien eu de plus pressé que de les laisser dans le lacs, dès l'instant où l'on a vu le succès de son imposture? Pauvre Brissot, te voilà victime de la perfidie d'un valet de la cour, d'un lâche hypocrite: souviens-toi de la fable du singe et du chat. Si tu avais connu les hommes, si tu avais su les juger à leur conduite, à leurs grimaces, à leurs réticences, tu te serais bien gardé de prêter ta patte au commandant parisien, et, comme l'Ami du peuple, tu l'aurais démasqué sans ménagement. Que veux-tu! tu éprouves le sort de tous les hommes à caractère indécis. En voulant concilier des intérêts incompatibles, tu as déplu aux deux partis; les patriotes clairvoyans n'ont point de confiance en toi, et les ennemis de la patrie te détestent; ils te repousseront avec dédain de tous les emplois, et tu ne perceras jamais ni dans le sénat ni dans les corps administratifs. S'il te reste quelque sentiment de dignité, hâte-toi d'effacer ton nom de la liste des candidats à la prochaine législature; ne l'expose pas plus long-temps aux dédains ipjurieux des ennemis de la liberté, et borne tes vœux à l'honneur de servir de la plume la patrie. Si tu aimes la gloire, mets sous tes pieds toute considération d'intérêt personnel; n'écoute que l'austère vérité, et, sans blesser la sagesse, immole sans pitié, sous les traits de la censure, les nombreux essaims des ennemis du bien public.

Dans ce même numéro, Marat critique ainsi les élections:

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