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qu'ils peuvent s'élever au-dessus des formes légales pour l'intérêt de la république. Créateurs des loix, ils savent qu'ils doivent être les premiers à en ordonner la marche, à s'en prescrire l'application, sur-tout lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un homme, que sa chûte étonnante met en spectacle à l'univers, et dont le délaissement et la détention attestent l'impuis

sance.

Mais si l'argument qu'on attaque ici est atroce dans ses conséquences, il est encore absurde dans son principe, et il offre une incohérence d'idées qu'il est facile de démontrer. Robespierre semble avoir envisagé la royauté comme une propriété qui ne peut être enlevée qu'en vertu des loix civiles, et d'après la disposition précise de ces loix. Mais la royauté ne présente pas ce caractère. C'est une dignité créée originairement par le peuple et investie par lui et pour lui de pouvoirs et de prérogatives; il

la délégue à qui il lui plaît, comme il lui plaît, et pour le tems qu'il lui plaît. Son intérêt seul en détermine la forme,' les conditions, la durée. Or, ce même intérêt peut la modifier, peut la transférer, peut la détruire, sans le consentement, sans l'intervention, ni même le jugement de celui qui en a été revêtu. Autrement ce seroit supposer que l'exercice de la royauté la convertit en une sorte de propriété civile, irrévocablement acquise par l'usufruit au titulaire, tant qu'un délit soit public, soit privé n'en exige pas l'extinction ou la translation. Et on admire comment le plus ardent promoteur de la doctrine de la souveraineté du peuple a pu produire une idée dont les conséquences sont si attentatoires à cette même souveraineté. En effet quand même un roi auroit rempli fidèlement les clauses du contrat primitif passé entre lui et son peuple, quand même son zèle pour le bonheur de tous l'auroit

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porté à des efforts plus qu'humains, aux sacrifices les plus généreux, la nation a toujours le droit de reprendre l'autorité souveraine, et de se ressaisir du gouvernement. Elle seule est juge suprême des convenances, parce qu'elle agit pour ellemême ; et elle ne peut être appelée en compte pour les pouvoirs qu'elle retire, qu'elle transporte, qu'elle éteint, qu'elle constitue. C'est d'après ce principe de sa souveraineté absolue que la nation française a supprimé la noblesse, le clergé, les parlemens et tous les corps, sans avoir eu besoin de leur faire le procès. Il est donc ridicule de paroître craindre pour la nation, comme l'a fait Robespierre,' l'issue du jugement que la nation doit prononcer sur Louis; comme s'il pouvoit, en politique, s'élever de controverse entre elle et un de ses délégués. Louis peut sortir absous du jugement qu'il va subir, ans que pour cela la nation soit déclarée rebelle. Mais elle pourroit devenir cou

pable, si ce jugement violoit les loix faites ou consenties par elle, et c'est ce qui, dans l'hipothèse de la condamnation de Louis XVI à la mort, arriveroit népuisque la constitution acceptée et jurée par tout l'empire, a déclaré sa personne inviolable.

cessairement

Et en effet, non seulement la justice, cette justice positive qui est aussi impérieuse pour les hommes réunis que pour les hommes isolés, seroit blessée par là condamnation de Louis, mais encore les bienséances qui sont des loix pour les souverains, et qui semblent constituer la morale des gouvernemens et la religion de la politique. Quoi ! tandis que les tribunaux civils et criminels, et les corps administratifs quand toute hiérarchie sociale et politique n'existe que par la constitution; quand la convention nationale elle-même se trouve créée et organisée d'après les principes et les formes établies par la constitution; quand elle

tient de cette constitution le pouvoir en vertu duquel elle a traduit Louis à sa barre, Louis seul ne pourroit devant les représentans du peuple invoquer ce même code provisoire lorsqu'il régit encore tout l'empire? L'action de la loi seroit divisée pour lui? Ses Juges prendroient dans la constitution la loi qui tranche le fil de cette vie politique dont la constitution l'avoit animée ; et la par tie de cette même loi qui protège ses jours, ils la rejetteroient pour l'époque de sa vie naturelle à laquelle elle est appliquable, pour le tems où eux-mêmes, comme législateurs, ont juré de la maintenir et de lui être fidèles ?

La convention a annoncé que jalouse de l'honneur national, elle vouloit mettre la plus grande solennité dans le jugement de Louis XVI. Cette déclaration lui trace son devoir; la solennité ne consiste point ici dans le spectacle d'un roi déchu des pompes du trône, traduit

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