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vous disent-ils, un roi n'est qu'un homme, et l'on ne doit à sa destinée aucune sollicitude particulière. Cette assertion n'est point vraie ; elle ne l'est point sous le rapport de nos sentimens. Un roi, dans l'écroulement de sa fortune, un roi, lorsqu il parvient au comble du malheur, nous retrace tous les intérêts qui nous ont unis à lui. Il nous a paru long-temps, par son pouvoir tutélaire, une partie morale de nous-mêmes, et son humiliation semble nous appartenir. Nous ne saurions oublier encore qu'un monarque héréditaire se trouve au timon de l'état, non par sa volonté, non par sa confiance en ses propres talens, mais par la condition de sa naissance et par le devoir que ce jeu du hasard lui impose. Il ne peut donc vouer à notre service que les moyens et les facultés dont l'a doué la nature; et par cette raison nous contractons l'engagement tacite de condescendre à ses erreurs et de compatir à ses foiblesses. Les momens d'enthousiasme ou de passion nous distraient de ces pensées, et semblent déranger, pour un temps, le cours naturel de nos sentimens ; mais au terme extrême des vengeances, les regards se tournent en arrière,' et là commencent les regrets et les repentirs. Je ne présente pas ici des idées spéculatives..

Qu'on lise dans l'histoire de la maison de Stuart, rédigée par un écrivain philosophe, l'impres sion convulsive que fit sur tous les cœurs la dernière catastrophe de l'infortuné Charles I. Qu'on y arrête, si l'on peut, son attention (1),

(1) Je fait transcrire ici un seul paragraphe, copié littéralement sur la traduction française de l'ouvrage de M. Hume į page 174 de l'edition in-4°., volume second.

» Il est impossible de représenter la douleur, l'indignation "et l'étonnement qui succédèrent, non-seulement dans les » spectateurs, qui parurent comme inondés d'un déluge de » tristesse, mais dans la nation entière, aussitôt que la nou

velle de cette fatale exécution y fut répandu. Jamais un mo»narque, dans le plein triomphe du succès et de la victoire, » ne fut plus cher à son peuple, que ce malheureux prince » l'étoit devenu au sien, par ses infortunes, sa grandeur ,, d'ame, sa patience et sa piété. La violence du retour au res» pect, la tendresse, fut proportionnée à la force desillusions » qui avoient animé tous ses sujets contre lui. Chacun se "reprochoit avec amertume, ou des infidélités actives, ou trop » d'indolence à défendre sa cause opprimée. Sur les ames plus » foibles, l'effet de ces passions compliquées fut prodigieux,. » On raconte que plusieurs femmes enceintes se délivrèrent, de leur fruit avant termes: d'autres furent saisies de convulsions ; d'autres tombèrent dans une mélancolie, qui les » accompagna jusqu'au tombeau. Quelques-unes, ajcute-, »t-on, perdant tout soin d'elles-mêmes, comme si la volonté. » leur eût manqué de survivre à leur prince bien-aimé, quand » elles en auroient cu le pouvoir, tombèrent mortes à

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et que l'on se demande ensuite si, dans le rapport de nos sentimens, un roi n'est qu'un homme; s'il n'est qu'un homme, sur-tout lorsqu'il fut si long-temps environné de notre amour, lorsqu'il fut si long-temps le signe de tous nos liens. Ah! qu'on lise le plus affreux des récits, et qu'on essaye ensuite de considérer sans émotion les idees funestes auxquelles on voudroit accoutumer la nation française. Oui, qu'on le lise cet affreux récit, et qu'on ose ensuite confier aux passions exaltées du moment présent, le jugement d'un prince réduit par la fortune à l'abandon le plus absolu. Ce monarque, dont vous poursuivez la déstinée, conserve le calme qui sied à l'innocence; et dans son humiliante captivité, il n'a point encore perdu le sentiment de fierté, dont ne doit jamais se départir celui qui régna pendant vingt ans sur la plus grande des nations, celui qui se vit dès son enfance.

l'instant. Les chaires même furent arrosées de l'armes non » subornées; ces chaires, d'où tánt de violentes impré»cations et d'anathèmes avoient été lancé contre lui. En un » mot, l'accord fut unanime à destester ces parricides hypocrites, qui avoient déguisési long-temps leurs trahisons sous » des prétexes sanctifiés, et qui, par ce dernier acte d'une » atroce iniquité, jetoient une tache inéfaçable sur la

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le premier des français; mais si la crainte et l'abattement valoient mieux auprès de vous, et s'il vous falloit des prières, si vous vouliez des supplications, voyez ce ralliement universel de toute l'Europe, voyez ce tremblement, cette émotion générale, voyez cet intérêt mêlé de tant de larmes, et pénétrez encore dans tous les sentimens ́retenus en ce moment, par une généreuse prudence. Ah! n'en doutez point, la cause de votre infortuné monarque est devenue celle de l'univers entier. Respectez donc les voix innombrables qui vous annocent déjà les arrêts immuables de la postérité. Ce n'est pas à son tribunal que vous pourrez présenter avec succès les illusions qui suffisent pour entraîner une multitude aveugle. Ce n'est pas auprès de ce tribunal que vous vous acquitterez, en disant: le peuple est souverain, le peuple l'a voulu; car cette volonté que vous proclamez avec tant de faste, cette volonté est votre propre ouvrage, et vous le savez mieux que personne. Le jour où le procès de Charles I fut commencé, et au milieu du tribunal sanguinaire, assemblé pour le condamner, le greffier de la cour de justice, ouvrant la séance, fit une lecture de l'acte d'accusation contre le monarque; et au moment où il prononça ces mots : «Ac

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cusation au nom du peuple d'Angleterre," on entendit une voix s'écrier: « Not a tenth part of them. » Pas une dixième partie de ce peuple. Cette voix étoit celle de Lady Fairfax, la femme de l'ami et du compagnon d'arme de Cromwel; on ne le savoit pas, lorsqu'un regard du tyran obligea l'officier de garde à commander que l'on fit feu sur la tribune d'où l'exclamation étoit partie. Un tel ordre imposa silence à Madame Fairfax; mais c'est aux paroles véridiques, sorties de sa bouche, que l'opinion de la postérité s'est unie. Qu'on ne nous parle pas non plus au nom du peuple français pour obtenir la condamnation de son malheureux roi ; il fut resté bon, ce peuple; il fut resté doux et pitoyable, s'il avoit été maintenu dans ses dispositions naturelles, et si l'on n'avoit pas employé tant de moyens pour dénaturer son caractère. C'est lui qu'on a changé, c'est lui qui n'est plus le même, et l'on veut qu'au moment de sa transformation, et à l'époque d'une transition si rapide, ses opinions soient reçues comme un jugement irrécusable. Ah! dites-lui, quand vous l'oserez, dites-lui que la bonté et la générosité dans la puissance, composeront dans tous les tems les plus purs élémens de la morale, et que sans elle, sans ce code éternel,

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